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ReportageLuttes

Dans les monts d’Ardèche, la basilique de la discorde

Selon les opposants, la construction de l'église porterait atteinte à certaines espèces protégées.

Après plus de deux ans de silence, en toute discrétion, la préfecture de l’Ardèche a autorisé la reprise d’un chantier polémique : une basilique. Une grande manifestation est prévue samedi 14 janvier.

Saint-Pierre-de-Colombier (Ardèche), reportage

« S’il avait voulu provoquer, il ne s’y serait pas pris autrement. » Martine Maurice fulmine. Comme nombre de militants, d’élus et d’habitants de la vallée de la Bourges, c’est la méthode de la préfecture de l’Ardèche qui l’interroge. Pourquoi raviver ainsi la polémique autour de la construction d’une église à Saint-Pierre-de-Colombier ? Signe de la reprise prochaine des travaux, une pelleteuse est déjà sur place.

Pour comprendre ce conflit, il faut revenir quatre ans en arrière. En 2018, dans ce petit village ardéchois, la congrégation religieuse La Famille missionnaire de Notre-Dame, installée dans la commune [1], a déposé un permis de construire pour édifier une église de 3 500 places, des logements, un parking et une passerelle sur le lit de la rivière. Le dossier a été validé par la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), alors qu’il contenait une erreur majeure. Elle concerne le parc naturel régional (PNR), dont la congrégation a assuré ne pas faire partie, or Saint-Pierre-de-Colombier se trouve effectivement sur la zone du PNR des monts d’Ardèche. 

Dans ce dossier, il est également stipulé que « le projet n’est pas concerné par des espaces naturels remarquables et que les habitats naturels sont fréquents dans le secteur ». La courte étude environnementale (réalisée en juillet et août) qui est annexée au dossier indique pourtant que plusieurs espèces à fort enjeu de conservation vivent ou transitent dans ce secteur : l’espace de reproduction du sonneur à ventre jaune (espèce à fort enjeu de conservation) se trouverait, par exemple, à 700 m en amont de la zone d’étude, tandis que l’écrevisse à pattes blanches vivrait, elle, dans la Bourges, en aval de cette même zone. 

Chiffré à plus de 17 millions d’euros, le projet d’église devrait être financé exclusivement par des dons. © Pauline De Deus / Reporterre

Une opacité volontaire ?

Actions en justice, manifestations, occupation des lieux... En 2020, alors que les travaux avaient commencé depuis un an, la mobilisation du collectif les Ami·es de la Bourges a fait bouger les choses. La préfète de l’époque, Françoise Souliman, a reconnu une « erreur administrative » des services de l’État. En octobre 2020, les travaux ont finalement été suspendus par arrêté préfectoral, dans l’attente d’une nouvelle étude environnementale quatre saisons — ou d’une dérogation pour la destruction d’espèces protégées. À cette même période, l’évêque de Viviers a lui aussi publié un décret pour interdire la construction de l’église — il n’est, quant à lui, pas revenu sur son choix.

La passerelle qui devrait relier le parking à l’édifice religieux de l’autre côté de la rivière a été construite en 2020. © Pauline De Deus / Reporterre

En novembre 2022, après plus de deux ans de silence, un nouvel arrêté préfectoral a abrogé le précédent et autorisé la reprise des travaux. Si aucune communication officielle n’a été menée autour de cette décision, le préfet a affirmé dans la presse locale, fin décembre, qu’une étude environnementale a été produite et que « les éléments ont été jugés probants » : l’incidence sur les espèces protégées serait négligeable si les mesures d’évitement sont mises en œuvre. Au moment où nous écrivons ces lignes, l’étude n’a toujours pas été rendue publique malgré des demandes répétées. Les opposants soupçonnent l’État de faire volontairement preuve d’opacité afin de réduire leurs moyens d’action.

« L’arrêté est sorti fin novembre et l’association a jusqu’à fin janvier pour le contester. Mais il faudrait pouvoir s’appuyer sur l’étude », souligne Pierrot Pantel, ingénieur écologue à l’Association nationale pour la biodiversité (ANB), également mobilisée contre ce projet. Intention délibérée ou non, les Ami·es de la Bourges sont bien décidés à contre-attaquer. Un référé a d’ores et déjà été déposé au tribunal administratif de Lyon pour contester l’arrêté qui autorise la reprise du chantier. « Nous allons avoir seulement quelques jours pour analyser des centaines de pages que l’administration a mis un an et demi à valider », déplore Pierrot Pantel.

Samedi 14 janvier, une première manifestation est organisée devant la préfecture de l’Ardèche. © Pauline De Deus / Reporterre

« Il ne faut voir aucun parti pris dans cette décision »

Le 5 janvier, lors d’un comité syndical du parc naturel régional, à Jaujac, le préfet de l’Ardèche, Thierry Devimeux, s’est présenté devant les élus de 146 communes du parc et plusieurs dizaines de militants qui s’étaient déplacés pour l’occasion. Pour le représentant de l’État, « il ne faut voir aucun parti pris dans cette décision ». L’étude environnementale, dit-il, « a été expertisée et validée par différents services de l’État, il n’y avait donc pas lieu de maintenir l’arrêté ». Et d’assurer : « Il s’agit de respect du droit, dans la plus grande honnêteté intellectuelle et juridique. »

Avec le projet d’église, les tensions se sont cristallisées. Depuis, deux clans se forment : les pour et les contre. Entre voisins, certains ne s’adressent plus la parole. Dans la rue, les uns et les autres s’observent à bonne distance. Certains pensent même à déménager. © Pauline De Deus / Reporterre

Loin d’être convaincus, les militants reprochent à l’État son manque de crédibilité dans ce dossier « alors que des erreurs ont déjà été commises par le passé ». De son côté, le PNR des monts d’Ardèche, seule collectivité à s’être officiellement prononcée contre ce projet, déplore le non-respect de la charte, imposée et signée par l’État. Le parc naturel aurait dû être consulté dès les prémices du projet, ça n’a pas été le cas. Quatre ans plus tard, la préfecture n’a pas jugé bon de lui soumettre l’étude environnementale pour avis, ni de l’informer de la reprise des travaux... L’histoire semble se répéter.

Qu’ils habitent ou non le village, les opposants sont bien décidés à ne rien lâcher. Réunis autour de l’association Pour l’avenir de la vallée de la Bourges, ils ont engagé une action en justice pour faire annuler le permis de construire. Si le chantier n’avait pas repris, la lutte se serait certainement limitée au prétoire. Mais depuis l’autorisation de reprise des travaux, dans la rue aussi la pression monte.

Samedi 14 janvier, une première manifestation est organisée devant la préfecture de l’Ardèche à l’appel d’une vingtaine d’organisations locales : preuve que la mobilisation a grandi depuis 2020. L’annonce est de bon augure pour la suite du mouvement. Pourtant, pour certaines espèces, le mal est certainement déjà fait. « Vous voyez les murs de soutènement, au niveau du parking ? pointe Dimitri Moine, membre du collectif. C’est par là que passaient les sonneurs à ventre jaune [une espèce de crapauds] pour aller se reproduire... »

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