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Dans son jardin, elle soigne des bébés hérissons

En danger et peu autonomes, de plus en plus de bébés hérissons trouvent refuge dans le centre de soins de Sara Stahl, près de Paris. Ces choupissons y sont dorlotés, puis relâchés. Une aide essentielle pour l’espèce.

Orsay (Essonne), reportage

Le bébé du hérisson s’appelle le choupisson. Une telle mignonnerie, peu connue du grand public, méritait à elle seule un reportage. Direction le sud de Paris, dans la ville d’Orsay (Essonne), pour rencontrer Sara Stahl, une amoureuse de l’espèce qui a ouvert son centre de soins baptisé Les P’tits Kipik en 2018. Ses protégés sont installés dans une jolie cabane au fond de son jardin, au bout d’une allée fleurie de cistes roses et d’énormes fleurs de pavot.

À l’intérieur, six cages, un lavabo et des étagères débordant de produits vétérinaires. On arrive pile à l’heure de l’allaitement. Sara Stahl saisit avec douceur un choupisson qu’on lui a apporté la veille. Le petit tète goulûment la seringue d’un lait hyper protéiné. Affamé, il n’avait sans doute pas mangé depuis plusieurs jours, avant d’arriver dans le centre.

Le choupisson en pleine séance d’allaitement. © Mathieu Génon/Reporterre

« Les gens m’ont appelé, car ils n’arrivaient pas à s’en occuper. C’est normal, à cet âge-là il ne suffit pas de déposer un bol de lait pour chatons. Il faut également l’aider à faire ses besoins. » Elle tapote doucement le bas ventre de l’animal. Une petite crotte sort. Elle lui nettoie ensuite les babines pour éviter l’irritation de la peau. « Dans la nature, c’est la maman qui lèche et l’aide à faire tout cela. »

200 hérissons relâchés en 2021

Prendre soin d’un spécimen de l’espèce Erinaceus europaeus ne s’improvise pas. Sara Stahl s’est formée pendant plusieurs années à l’école vétérinaire de Maisons-Alfort avant d’obtenir un certificat de capacité délivré par la Direction départementale de la protection des populations (DDPP). La sélection est rude : il faut monter un dossier assez costaud, justifiant de deux ans d’expérience, passer devant une commission composée de vétérinaires, de chercheurs et de scientifiques qui vérifient l’état des connaissances. Le tout pour décrocher le fameux sésame : l’arrêté préfectoral permettant d’ouvrir son propre centre.

Un parcours du combattant d’autant plus long que Sara Stahl travaille par ailleurs à 65 % en tant que coordinatrice dans un mouvement d’éducation populaire. Mais cette formation s’avère indispensable pour bien comprendre l’espèce et la soigner au mieux. « Un animal sauvage va cacher ses symptômes jusqu’au dernier moment, sinon dans la nature il se fait manger. Il faut donc être capable de déceler les infimes signes de maladie, sans quoi c’est fichu : il peut mourir en 48 heures. J’en apprends tous les jours, même après dix ans d’expérience. » Son dévouement porte ses fruits. L’année dernière, elle a recueilli 250 hérissons et en a relâché 80 % dans la nature.

Sarah Stahl et son mari Jérôme Gripon, qui l’aide à s’occuper de ses pensionnaires à piquants. © Mathieu Génon/Reporterre

Un taux plus important que les centres multiespèces, comme celui de Maisons-Alfort. « Là-bas, il y a trop de bénévoles qui ne peuvent pas connaître toutes les espèces. Et quand ce n’est pas la même personne qui s’occupe de l’animal tout le temps, le stress augmente », explique la soigneuse. Elle a longtemps géré seule avec l’aide de son mari, Jérôme Gripon. Mais depuis cette année, deux bénévoles en formation à l’école vétérinaire viennent lui donner un coup de main. De quoi la soulager et lui permettre de partir parfois en vacances en toute quiétude.

Une fois soignés, les hérissons passent un peu de temps dans un enclos extérieur pour se réhabituer à la vie sauvage avant d’être relâchés. © Mathieu Génon/Reporterre

« Beaucoup de gens jardinent et nous contactent »

En ce moment, Sara Stahl s’occupe d’une vingtaine de pensionnaires. Des protégés bien dorlotés installés dans de grandes cages, tapissées de papier journal et recouvertes d’une petite serviette pour éviter les lumières vives des néons. À l’intérieur, un des pensionnaires ronfle bruyamment. Il s’agit de Dominica, une hérissonne souffrant d’un ver pulmonaire l’empêchant de respirer correctement. Sara Stahl enfile ses gants, la soulève. La hérissonne se met en boule. « Je te réveille ma belle, je suis désolée. » Elle l’installe dans un caisson étanche pour sa séance de nébulisation. Un nuage de fines molécules de vapeur dont l’inhalation pénétrera profondément dans ses bronches. Elle pèse ensuite l’animal, qui reprend un peu de poids et semble en voie de guérison.

Dominica se met en boule. © Mathieu Génon/Reporterre

Une bonne nouvelle, car les médicaments grèvent son budget. Heureusement, aujourd’hui, les dons des 250 adhérents de l’association Les P’tits Kipik couvrent l’ensemble des frais matériels et vétérinaires.

Cela lui a également permis de financer l’ouverture d’antennes à Saint-Maur-des-Fossés, aux Ulis ainsi qu’à Chevreuse, en Île-de-France. Un autre devait ouvrir à Dourdan en juillet et probablement à Rueil-Malmaison, si le dossier d’autorisation se débloque un jour.

Si tout va bien, ce choupisson sera relâché dans la nature lorsqu’il pèsera environ 300 grammes. © Mathieu Génon/Reporterre

De quoi satisfaire une demande grandissante : il existe entre 30 et 40 centres en France. Un chiffre bien insuffisant pour satisfaire les besoins. « Nous sommes à une période où beaucoup de gens jardinent et nous contactent, car ils trouvent des hérissons dans l’herbe. » Les appels proviennent de toutes les régions, car Les P’tits Kipik sont l’un des rares centres à être joignable par téléphone. Son site internet liste également une série de recommandations pour s’occuper d’un hérisson blessé. Malheureusement, Sara Stahl n’a parfois aucune solution à apporter aux particuliers désarmés. « Dans la Creuse, le premier centre se trouve parfois à 200 kilomètres. Si les gens ne peuvent pas se déplacer, je ne peux rien faire. »

Les hérissons, une espèce en danger

Les menaces qui pèsent sur les hérissons sont multiples. Et les lames de la tondeuse ou les roues des voitures sont loin d’être les plus meurtrières. L’animal fuit la campagne désormais devenue hostile. Les haies, où il trouve refuge, sont arrachées par le remembrement. Les champs, où il se nourrit, sont bourrés de pesticides. Les hivers, de plus en plus doux, dérèglent son processus d’hibernation. Les étés, trop chauds et secs, l’assoiffent et l’affament avec une terre trop dure à gratter pour trouver des insectes. Le hérisson se rabat alors sur les charognes, les limaces ou encore les escargots porteurs de vers pulmonaires qui l’infestent.

Les locaux du centre des P’tits Kipik à Orsay, dans le fond du jardin de Sara Stahl. © Mathieu Génon/Reporterre

« Tous les centres diront qu’ils reçoivent de plus en plus de hérissons. Regardez les statistiques en Angleterre, où ils risquent l’extinction, et en Belgique. Il n’y a pas de raison que ce soit différent chez nous », remarque Sara Stahl. En France, l’espèce est protégée, mais elle n’est pas classée comme menacée sur la liste rouge de l’inventaire national du patrimoine naturel, faute de données disponibles. Pour pallier ce manque, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) a lancé une mission de recensement, dont les résultats seront connus d’ici quelques années.

Harrisson, le hérisson qui termine sa convalescence au centre et qui va bientôt être relâché. © Mathieu Génon/Reporterre

En attendant, la soigneuse poursuit son travail. D’ici quelques jours, elle relâchera Harrisson, un hérisson dodu qui se refait une santé depuis un mois. Non sans pincement au cœur. « Le plus difficile, c’est lorsqu’on nous apporte des bébés avant l’automne et qui hibernent ensuite avec nous tout l’hiver. Pas facile de les laisser partir au printemps. Mais en même temps c’est gratifiant, comme lorsqu’on est fier de ses enfants quand ils quittent le nid familial. »

Sara Stahl n’a jamais gardé un seul de ses protégés. « Le hérisson est un animal primitif préhistorique. Il n’a pas changé depuis l’époque des tigres à dent de sabre. Il ne s’imprègne pas des humains. » Sans autorisation, il est d’ailleurs interdit de les détenir, sous peine d’une amende et d’une peine d’emprisonnement. L’espèce n’est pas domesticable et pour s’en convaincre, il suffit de regarder Harrisson, extrait de sa cage pour faire quelques photos. À peine les pattes au sol, l’animal détale à toute vitesse se cacher dans un fourré, loin, bien loin des humains qui l’ont soigné.


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