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EntretienDéchets nucléaires

David Wahl : « Les déchets trahissent notre refus de la mort »

Qu’est-ce qui est sale ? Qu’est-ce qui est propre ? Dans son dernier ouvrage, « Le Sale discours », l’essayiste et comédien David Wahl s’amuse de cette fausse opposition et met en récit les « grands problèmes environnementaux ».

David Wahl est dramaturge, écrivain et interprète. Il tisse des liens entre différents domaines : recherches savantes et récits populaires, savoirs et curiosités, scène et science. Le Sale discours est le quatrième épisode de la série Causeries, après Traité de la boule de cristal, La Visite curieuse et secrète et Histoire spirituelle de la danse.

David Wahl.

Reporterre — Comment est né le projet du « Sale discours » ?
David Wahl — Je m’étais déjà penché sur les questions environnementales, un sujet qui me préoccupe grandement, avec La Visite curieuse et secrète, qui questionne notre rapport ambivalent à la mer. Au fur et à mesure de mes ouvrages, les scientifiques s’intéressent de plus en plus à mes méthodes de travail et, d’eux-mêmes, me proposent des sujets de réflexion.

Ça a été le cas de l’Andra [l’Agence nationale pour les déchets radioactifs], qui m’a proposé il y a deux ans de parler de son projet Cigéo à Bure [l’Andra projette d’y construire un centre de stockage des déchets radioactifs de haute activité à vie longue]. À l’époque, ce n’était pas encore très connu. Mais quand j’ai appris l’existence de ces trois cents kilomètres de galeries souterraines destinées à accueillir des déchets nucléaires pendant 300.000 ans, j’ai trouvé dingue le potentiel narratif de cette installation !

C’est la question nucléaire qui a déclenché mon envie de parler des déchets. Je me suis alors lancé dans une série d’immersions, comme à Cigéo, et au bout de toutes ces expériences, m’est venue la question qui guide le livre : pourquoi, si l’homme est de plus en plus propre, le monde est-il de plus en plus sale ?



Au bout de votre enquête, qu’avez-vous appris des déchets ?

On apprend beaucoup des poubelles ! C’est par exemple grâce à ses déchets qu’on connaît mieux la société romaine, industrielle, que la société gauloise, moins pollueuse.

Avec Le Sale discours, j’ai voulu raconter une facette de l’homme. C’est le récit de l’homme qui envisage sa survie au prix de l’environnement. Je pense profondément que les déchets disent quelque chose de notre rapport au monde. Ils trahissent notre refus de la mort — plus que de sa peur.

C’est plus que jamais le cas, notamment avec l’émergence du transhumanisme. Nos sociétés ne peuvent se rêver immortelles qu’en tyrannisant l’environnement, via la pollution. Nos déchets signifient que nous reportons le problème à plus tard. « Après moi le déluge ! » pourrait être l’adage de notre temps.



Polluer l’environnement, est-ce commun à toute civilisation ?

Je ne sais pas trop ce qu’il en est des autres sociétés, mais en Occident, il y a une rupture très nette à partir des XVIe-XVIIe siècles, avec l’émergence de l’humanisme et du cartésianisme. À compter de ce moment, on essaye de comprendre la nature, et non plus de la considérer comme un donné. Donc, l’observateur scientifique se met à distance des choses. Oubliant qu’il est lui aussi observé, il oublie qu’il appartient au monde. Et alors la nature, séparée des hommes, devient exploitable.

La rupture nature/culture n’était pas du tout présente auparavant. Au Moyen-Âge, il n’y avait pas de séparation entre microcosme et macrocosme. Vous aviez par exemple des procès d’animaux, notamment celui du cochon qui a tué accidentellement le prince Philippe de France en 1131. Le cochon avait droit à un avocat, c’est dire ce qu’on lui reconnaissait de personnalité juridique !

« Au Moyen-Âge, le cochon avait droit à un avocat, c’est dire ce qu’on lui reconnaissait de personnalité juridique. »



Vous considérez-vous comme un historien ?

Pas du tout. Même si les faits que je rapporte sont rigoureusement vrais, je ne prétends pas transmettre de savoir, car je les enrobe toujours de chair, de sentiment, au sein d’une œuvre de fiction. Je ne fais que leur donner un sens, une interprétation purement personnelle.

En revanche, je pense écrire une construction émotionnelle du savoir. C’est-à-dire rendre cohérent un ensemble de faits en vue d’amorcer un dialogue avec mes lecteurs. C’est pourquoi je monte des spectacles à partir de mes textes. Non seulement parce que je prends du plaisir à raconter des histoires, mais aussi parce que ces créations transmettent un souci, qui nourrit beaucoup de débats.



Les récits sont-ils importants pour l’écologie ?

Je ne dirais pas « écologie », un peu trop fourre-tout, mais « grands problèmes environnementaux ». Et je pense que oui, nous avons besoin de mettre en récit ces grands problèmes. Car les histoires sont le seul moyen de nous relier les uns aux autres.

Attention cependant à ne pas verser dans le catastrophisme ! Un discours qui fait peur a plus tendance à rendre impuissant qu’à pousser à l’action. Il faut donc trouver un juste équilibre entre sensibiliser les gens et leur donner envie de faire des choses.



Vous définiriez-vous comme un auteur engagé ?

Oui et non. Le Sale discours n’est pas un livre à thèse, mais il engage le lecteur à aller voir ailleurs. Pour qualifier mes ouvrages, je dirais qu’ils amènent à réfléchir autrement. À ne plus penser dans une logique binaire, qui efface la complexité du monde. Par exemple, pour reprendre le nucléaire, c’est une énergie à la fois propre et sale. Propre, parce qu’un minimum d’installation au sol dégage une énorme quantité d’énergie. Et sale, parce que les déchets qu’elle produit rentrent en absolue contradiction avec l’économie circulaire. Or, à notre époque, l’acte de jeter est invraisemblable, criminel même, encore plus lorsqu’il s’agit de déchets qui pollueront pendant trois cent mille ans !

C’est pour ça qu’il ne faut plus penser en termes de « ou/ou », mais avec des « et/et », deux mots autrement plus fertiles pour la réflexion.

  • Propos recueillis par Maxime Lerolle


  • Le Sale Discours ou géographie des déchets pour tenter de distinguer au mieux ce qui est propre de ce qui ne l’est pas, de David Wahl, éditions Premier Parallèle, janvier 2018, 84 p., 10 €.

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