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ReportageAlternatives

Des étudiants allemands créent la cité U de leurs rêves

Des logements écologiques, autogérés et bon marché : à Heidelberg, dans le sud-ouest de l’Allemagne, le défi un peu fou d’un groupe d’étudiants est devenu réalité. Les premiers locataires ont emménagé en février.

Heidelberg (Allemagne), reportage

Devant la résidence universitaire de l’association des locataires Collegium Academicum (CA), des ouvriers s’activent au terrassement du futur jardin. « Dans la cour intérieure, nous allons planter un noyer. Et nous sommes en train de chercher une pelouse écologique avec des fleurs sauvages pour développer la biodiversité », relate Carla, étudiante à Heidelberg, ville dans le sud-ouest de l’Allemagne. « Au fond, il y aura un verger, et là, une mare », poursuit-elle, les yeux pétillants.

Comme Carla, ils sont 176 étudiants et apprentis à vivre depuis fin février dans ce lieu unique en son genre. Ici, l’association des locataires est à la fois copropriétaire, maître d’ouvrage et gestionnaire des bâtiments. L’aboutissement d’un défi un peu fou que s’est lancé il y a dix ans un groupe de copains de fac : bâtir leurs propres logements étudiants écologiques, autogérés et abordables. Le loyer de 345 euros par mois pour une chambre en colocation est en dessous du prix du marché fixé à « 500 euros en moyenne quand on arrive aujourd’hui à Heidelberg », dit Félix. « Nous, on ne cherche pas le profit », souligne-t-il.

Le bâtiment, dont les coursives encerclent une cour intérieure, se dresse sur quatre étages. © Stefanie Loos / Reporterre

Carla, résidente du « CA », fait le tour du propriétaire. Le bâtiment en bois se dresse sur quatre étages, dont les coursives encerclent une cour intérieure. Au rez-de-chaussée, la salle des fêtes de 600 places est encore en travaux. Une perceuse se fait entendre. Carla grimpe au quatrième étage, où elle partage un appartement de 80 mètres carrés avec un étudiant en soins infirmiers et deux autres en physique. Le froid de ce début de printemps ne pénètre pas dans le logement. « C’est une maison passive, explique Carla. C’est si bien isolé que nous n’avons pas besoin de chauffer, ou très peu. »

Logements social et atelier vélo

Et le projet ne s’arrête pas là. Juste à côté de la résidence, les étudiants ont lancé la rénovation de deux anciens bâtiments militaires étasuniens, à l’abandon depuis 2013 et rachetés à la mairie « pour un prix correct », précise Félix. L’un accueillera un café, l’autre offrira cet été quatre-vingt logements supplémentaires ainsi que des espaces d’enseignement et de travail en commun destinés à de jeunes adultes de 18 à 23 ans en « année d’orientation », entre la fin du lycée et le début des études supérieures. Trente chambres seront réservées à des profils différents, comme des actifs ou des réfugiés, et à du logement social. Un atelier vélo et un atelier métal seront accessibles à tous.

Dans une salle de réunion, un groupe de résidents planche sur le design des meubles en mélèze qui prendront bientôt place dans les bâtiments en rénovation : lits, bureaux, armoires, étagères… Les modèles sont entièrement conçus puis fabriqués par leurs soins dans l’atelier bois de la résidence.

Dans les appartements, chaque chambre fait 7 mètres carrés afin de laisser plus de place au salon. © Stefanie Loos / Reporterre

« J’étais un peu bricoleur mais sans plus, explique Jan, étudiant en physique. Je ne connaissais pas les logiciels de dessin 3D, je ne savais pas me servir d’une fraiseuse… maintenant, oui ! » Et en cas de problème, « il y a toujours quelqu’un à qui parler, poser ses questions, observe Nils, étudiant en chimie. Chacun est une partie d’un tout qui fait que ça fonctionne. »

Un grand laboratoire

Les initiateurs du projet ont quitté les bancs de la fac depuis longtemps et n’ont jamais pu profiter de la résidence. Cela n’a pas empêché le projet de grandir, année après année. Ni de surmonter la crise du Covid, puis l’explosion des coûts de l’énergie et des matières premières : la transmission des savoirs est la pierre angulaire de la communauté du Collegium Academicum et la clé de son succès.

Recherche de financements, choix des architectes et des entreprises de construction, respect des obligations légales, sélection des dossiers de candidature pour les logements… Les étudiants gèrent le projet de A à Z, essentiellement de façon bénévole. Sans oublier une bonne dose d’« autoesclavagisme », rigole Félix, le franco-allemand de la bande. De fait, les étudiants y consacrent une grande partie de leur temps libre.

Les étudiants gèrent le projet de A à Z, essentiellement de façon bénévole. © Stefanie Loos / Reporterre

« Ce n’est pas seulement un lieu de vie, mais une sorte de grand laboratoire dans lequel les jeunes sont autonomes, décident eux-mêmes de la manière dont ils veulent s’organiser et vivre », explique Félix. Les différentes tâches sont réparties au sein de groupes de travail. Les décisions importantes, qui concernent l’ensemble des locataires ou exigent un budget important, sont prises en assemblée générale une fois par semaine.

Financements éthiques

« On a des responsabilités bien plus importantes que des jeunes de 20, 23, 25 ans habituellement », admet Félix. D’autant que le budget est important : au total, le coût de la construction du bâtiment neuf et la rénovation des deux bâtiments anciens s’élève à plus de 31 millions d’euros.

Avec son groupe de travail, Jan participe à la conception des meubles de la résidence. © Stefanie Loos / Reporterre

Une somme réunie grâce à des prêts de banques « éthiques », des subventions publiques et 4,3 millions d’euros de crédits de particuliers. Pour se protéger de la spéculation immobilière, le Collegium Academicum a intégré le Mietshäuser Syndikat, qui fédère près de 190 habitats locatifs autogérés en Allemagne depuis 1987.

Copropriétaire de la cité U, le syndicat possède un droit de veto en cas de revente des bâtiments. « Tout ce qu’on apprend, tout ce qu’on expérimente ici, c’est unique, assure Félix. J’espère que notre projet donnera des idées à d’autres ! »



Notre reportage en images :


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