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ChroniqueAgriculture

Des semences de Provence à la bibliothèque de la Zad, une même culture vivante

Ayons des graines plein la tête ! c’est le mot d’ordre lancé par notre chroniqueuse pour sauver la bibliothèque de la ZAD menacée de destruction et pour promouvoir les « maisons de semences » comme celle de Jean-Luc Danneyrolles, gardien de « semences paysannes » et passeur de savoirs.

Isabelle Attard a été députée écologiste du Calvados. Elle se présente comme « écoanarchiste ».

Isabelle Attard.

De passage un après-midi de mai à Uzès, le hasard, qui n’existe pas, m’a placé sur le chemin de Jean Luc Danneyrolles. Pas n’importe où. A la bibliothèque, ou plutôt, à la très belle médiathèque de cette très belle ville.

Ce paysan de 55 ans venait nous parler de l’histoire des semences, des jardins et de ceux qui prennent soin de la terre... ou pas. Militant infatigable de la préservation des semences paysannes, il cultive depuis plus de trente ans « le potager d’un curieux » à Saignon dans le Lubéron. Il transmet et ses serres grouillent d’apprentis permaculteurs du monde entier.

L’occasion était belle, la médiathèque s’agrandissait d’une grainothèque ! Nous allions donc entendre parler de graines, mais pas seulement. Cette conférence était ponctuée d’histoires personnelles, drôles et surtout émouvantes, ponctuée également de belles citations d’auteur.e.s et de philosophes.

Les idées rebondissaient en permanence. De la première mondialisation, la découverte de l’Amérique, qui nous amena une multitude de légumes nouveaux, à la deuxième, qui vit l’explosion des jardins familiaux et ouvriers à la fin du XIXe siècle. De la philosophie à l’(agri)culture, des printemps arabes aux expérimentations de la Zad, des dessins de la grotte Chauvet aux tableaux d’Arcimboldo.

Jean-Luc Danneyrolles sous la serre.

J’ai appris énormément. J’ai absorbé comme une éponge le maximum de choses, noté pour ne pas oublier. En parlant d’oubli, j’ai ainsi découvert Nikolaï Vavilov, agronome et académicien russe condamné par Staline à mourir de faim en prison en 1940. Vavilov avait créé la première banque de semences du monde. Dans son institut de Léningrad, un groupe de chercheurs se relaya pendant les 28 mois de siège pour protéger leur trésor, 250.000 échantillons de graines et de plantes. Neuf d’entre eux y perdirent la vie.

Mais tandis que j’écoutais, concentrée, mon cerveau faisait tout le trajet en diagonale du Lubéron jusqu’à la Zad, tout le trajet de la si paisible bibliothèque d’Uzès à celle du Taslu, si jeune et si fragile...

La bibliothèque du Taslu.

Le projet de la bibliothèque du Taslu a été rejeté par la préfecture de Nantes. Ce n’est pas un projet agricole. Ce n’est pas un projet individuel. Exact ! C’est du collectif, ça, Madame (la préfète), c’est un bien commun, et il faut absolument que ça le reste !

Et pourquoi les habitants du bocage n’auraient ils pas le droit de feuilleter à leur guise les livres du Taslu ? D’y entendre Alain Damasio parler de Zone Abondamment Désirable ? Est-ce parce qu’on y apprend la vie dans une société non capitaliste et post-industrielle ? Est-ce parce que 1984 d’Orwell et les livres de la collection Anthropocène des éditions du Seuil y sont particulièrement représentés ?

C’est une bibliothèque « pour permettre à nos imaginaires de dériver par-delà la terre ferme ».

La terre, nous y revenons automatiquement « puisqu’elle nous nourrit trois fois par jour », sourit Jean Luc Danneyrolles. Graines et livres, rangés et étiquetés. Conservés et transmis, gratuitement. Tel est le destin des biens communs.

Bibliothèques ou « maisons des semences », même combat ! Elles gardent des trésors de savoirs, ceux qui nous permettront de vivre pendant des générations. Il s’agit d’en faire germer le plus possible, partout, et d’empêcher que ces savoirs ne tombent exclusivement et définitivement dans les mains de multinationales, dont le but est de les monnayer, cher, très cher.

Je suis sortie du patio d’Uzes sonnée par les émotions qui s’étaient succédé en juste quatre-vingt dix minutes. Cet orateur passionné sait que notre monde capitaliste pétrolier va bientôt s’effondrer. Il parle même de « capitalocène » au lieu d’anthropocène pour décrire notre période. Il a raison. Tous les humains sur cette Terre ne sont pas responsables de l’état dans lequel se trouve notre planète. Les peuples indigènes n’ont rien demandé et n’ont rien détruit, eux.

Jean-Luc Danneyrolles et les habitants de la Zad préparent le monde d’après, ils se battent pour notre survie, comme tous ceux qui ouvrent des éco-villages, des oasis, des écoles alternatives, des jardins partagés, des lieux de rêves autorisés.

Nous parlons de notre avenir, de celui de nos enfants. Livres et cultures fabriqueront des têtes remplies de sens critique. Manger sainement nous maintiendra en bonne santé sans recourir aux laboratoires pharmaceutiques. Émancipation citoyenne et autonomie alimentaire. Deux sujets apparemment suffisamment subversifs pour rayer la Zad et sa bibliothèque de la carte.

Nous ne pouvons pas laisser faire.

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