La Zad de Notre-Dame-des-Landes, un bouillonnant laboratoire social et culturel

Durée de lecture : 10 minutes
Le gouvernement souhaite expulser les projets non agricoles de la Zad de Notre-Dame-des-Landes. Mais la ruralité ne se limite pas aux travaux des champs et à l’isolement. De la maison de retraite à l’auberge en passant pas la bibliothèque, la zone fourmille de lieux culturels et de vie collective.
Dans le cadre du processus de négociations avec l’État, des habitants de la Zad de Notre-Dame-des-Landes ont déposé quarante-et-un formulaires d’installation à la préfecture à Nantes, dont treize décrivent des activités artisanales, sociales et culturelles. Ces projets sont dans le collimateur du gouvernement, qui ne veut prendre en compte que les projets agricoles. Reporterre vous entraîne à la découverte d’un échantillon de ces ateliers et lieux de sociabilité, en deux volets :
- La filière bois et la forge ici,
- L’auberge des Q de plomb, le projet de maison intergénérationnelle et l’Ambazada aujourd’hui.
- Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), reportage
À la ferme de Bellevue, entre la cuisine collective, le Free Shop, le stand d’accueil et un des points Médics de la Zad, difficile de louper l’énergie communicative et la gouaille de Berthe. À « bientôt 70 » printemps, la Finistérienne n’a pas l’intention de troquer la lutte contre la maison de retraite. « Mon ami Paul — 84 ans — et moi avons des copains qui partent en Ehpad [Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes]. Quand vous n’êtes plus productif, on vous case dans des établissements où vous n’avez plus aucune liberté. Mais nous voulons continuer à cultiver notre jardin tant que nous le pouvons, cuisiner ensemble et avoir des échanges intergénérationnels. En un mot continuer à vivre ! » Pour s’inventer un avenir plus désirable, elle a entraîné une dizaine de personnes de sa génération dans la création, pendant l’été 2017, d’un groupe baptisé « Vivre à tous âges sur la Zad ».

Ce collectif informel se réunit un mardi sur deux à 16 h pour réfléchir à un projet de maison commune. Une façon aussi d’inscrire la Zad dans la durée et dans la diversité de ses activités, après l’abandon du projet d’aéroport. « On voulait aussi (se) rappeler que vivre sur cette zone, ce n’est pas seulement agricole. De fil en aiguille, on en est venu à […] penser à nos vieux jours sur cette zone, à accueillir les camarades de lutte qui prendraient bien leur retraite par ici, s’interroger sur la place de tout-es celleux qui ne sont pas jeunes et/ou valides et/ou efficaces dans le modèle de société qu’on combat, et de celui ou ceux dont on rêve. Et cette manière de montrer qu’on est ici, qu’on va rester ici et que cela va durer, on trouvait ça pas mal », expliquait le groupe en février dernier.
Depuis que la Pruche, une maison près du Carrefour de la Saulce, s’est libérée, le collectif y a établi ses quartiers. Une chambre et une cuisine sont à sa disposition. L’occasion pour les Vieilleux-ses, comme ils se surnomment, de donner un coup de main à leur façon. « On y a préparé des panneaux pour la déambulation du 10 février entre le Gourbi et Bellevue, raconte Berthe en se roulant une cigarette. On y a aussi installé un café de la sérénité, où les personnes peuvent se replier. La Pruche a même accueilli un salon de coiffure, et j’ai pu m’y faire masser par quelqu’un venu de l’extérieur ! » Mais l’objectif du collectif reste d’avoir sa propre cabane. « On a même commencé à imaginer les espaces et à dessiner les plans. Reste à trouver l’harmonie de désirs différents, entre des arbres partout et une cuisine collective ! »
Aux Q de plomb, Jules désaltère la lutte
À moins d’un kilomètre de là, au Liminbout, l’auberge des Q de plomb offre un autre lieu de convivialité aux habitants de Zad. En face, un enclos où folâtrent trois petits cochons. Dans les toilettes sèches, un tome fatigué de Rubrique à brac de Gotlib. Sur le comptoir, des verres en plastique consignés marqués du logo « Aéroport, non ! ». Casquette vissée sur le crâne et barbe de dix jours, Jules [*] tient le zinc depuis 2005. À son rythme de croisière, il sert le deuxième vendredi de chaque mois un dîner à prix libre, cuisiné à partir de produits de la zone et arrosé de bière locale brassée par un soutien de la lutte — le brasseur de la Zad ne produit pas encore suffisamment pour faire trinquer tous les convives. Une fois par trimestre, le week-end, un banquet d’au moins cinquante personnes est organisé sur le même principe. « Le premier était en 2009, à l’occasion du Camp action climat à Notre-Dame-des-Landes. Des gens sont restés, qui nous ont aidés, ma compagne et moi, à organiser les suivants. Cela permet de créer du lien et c’est devenu une institution », raconte le patron. Difficile de ne pas se lécher les babines à la lecture du menu du dernier festin : « œuf mimosa, pâté et carottes, cassoulet, plateau de fromages, riz au lait et madeleines, café et goutte ».

Mais en ces temps troublés, s’il est là, Jules abreuve quiconque pousse la porte de son établissement. « Notre valeur, c’est l’entraide. Cinq cents à six cents personnes sont arrivées le premier jour des expulsions. Sans les gens qui vont au contact des gendarmes, on serait mort. Moi, je n’y vais pas, mais je leur permets de se détendre en leur servant des bières à la fin de la journée. » D’ailleurs, quatre visiteurs entrent, dont deux Corses qui se transmettent un poste d’ambulancier chargé de conduire les blessés de la Zad à l’hôpital. « Habituellement, je vis dans un lieu alternatif en Corse mais je n’ai pas hésité longtemps à venir quand j’ai vu ce qui se passait ici », confie le plus jeune.

L’histoire de cette auberge est étroitement liée à celle de la lutte. « Pendant les expulsions de 2012, des habitants se sont réfugiés ici. Ce n’était alors qu’une vieille grange au toit percé, mais on les a hébergés. Cela a duré six mois. » C’est le déclic. Alors que Vinci convoite la grange, le couple lance un appel à l’aide pour la reconstruire en dur et la transformer en une véritable auberge. Pendant les deux mois d’été, soixante à quatre-vingts personnes venues de partout se sont relayées chaque jour sur le chantier. Un copain menuisier a fabriqué l’escalier, un autre, électricien, installé le réseau. L’endroit est baptisé en hommage à « trois-quatre potes qui venaient me voir et qui ne partaient jamais — il y avait toujours une dernière cigarette, un dernier verre. Je les avais surnommés les culs de plomb », rigole le patron. Le nom inscrit en introduction des statuts de ce bar associatif traduit une autre envie de s’ancrer : « Le Liminbout restera debout ».
« Si on arrive à gérer cette crise, on a un bel avenir devant nous »
Mais l’auberge est en danger, comme les autres activités alternatives non agricoles de la Zad. « Je suis expulsable depuis le 31 mars », lâche Jules, amer. Des camarades ont déposé pour lui un formulaire simplifié à la préfecture à Nantes. « Deux choses. Une, je suis locataire. Si les flics veulent m’évacuer, il faudra qu’ils me prennent physiquement et me jettent dehors. De l’autre, si les camarades de la Zad se font virer, je quitterai la région aussi. Mais si on arrive à gérer cette crise comme en 2012, on a un bel avenir devant nous. On a un mode de vie agréable, on peut parler de politique, on n’est pas dans la surconsommation. Regardez les gens de Tarnac, ils ont mis dix ans à ce que leur innocence soit reconnue, ça a été une galère mais maintenant, c’est fait ! »
L’heure tourne, bientôt 18 h, l’heure de la représentation théâtrale à l’Ambazada. Il reste juste le temps de faire une halte à la Rolandière, pour demander aux Médics un peu d’huile essentielle d’arbre à thé à appliquer sur un petit abcès. À l’étage de cette belle étable, la bibliothèque du Taslu est calme ce jour-là. Officiellement inaugurée le 10 septembre 2016, elle abrite tout ce dont un habitant peut avoir envie de feuilleter, des très nombreux ouvrages historiques et politiques sur les révoltes et révolutions en France et dans le monde aux guides de permaculture et d’habitat léger, en passant par les fictions de « la Romandière ». On peut les lire (ou les emprunter si l’on habite la Zad) tous les mercredis, vendredis et dimanches de 15 h à 19 h. « Mais si vous avez des livres en retard, vous pouvez aussi les déposer dans la malle en bas de l’escalier, précise la jeune femme de permanence, en levant la tête de son écran d’ordinateur. On a eu un dernier gros arrivage à l’occasion de la mobilisation du 8 octobre, où de nombreuses personnes avaient rapporté un livre. On est obligé de trier, on ne garde que ce qu’on considère comme le plus intéressant pour nos lectrices et nos lecteurs. » La bibliothèque accueille aussi des animations, des soirées et des rencontres avec des auteurs. Dernier événement en date, un appel à lire des textes de résistance le 22 avril dernier, qui s’est transformé en une déambulation jusqu’au Gourbi entrecoupée de lectures allant de Pierre Rabhi à Kropotkine, en passant par Lucrèce et Thoreau.

À l’Ambazada, près de la Wardine, obscurité et silence pour la représentation de la pièce Le Dehors de toute chose, une adaptation du roman La Zone du dehors, d’Alain Damasio. Benjamin Mayet, le comédien, arpente la salle comble, étreint un spectateur, grimpe sur un banc, allume une cigarette. « La vertébrale colonne en moi, la colonne refuse de plier. Contre toute mesure et raison ! Elle dit non, je ne discute pas. Je sais que désormais il faudra aller au bout. La liberté est une chose complète. Une maladie dont l’hygiène sociale la plus stricte ne nous guérit pas. Non content d’être malade, on veut encore contaminer les autres. Leur passer nos miasmes ! » Les rires s’élèvent, joyeux. Habitants et visiteurs se serrent les uns contre les autres sur les étroits bancs de bois. D’autres s’appuient sur les piliers de cette belle charpente érigée à l’été 2017, ou sur les bottes de paille qui constituent les murs, empilées fin mars par une délégation d’une trentaine de Basques et de Bretons. Cette construction, dédiée aux assemblées de lutte et aux minorités, fait également office de lieu culturel et, bientôt de formation. « Elle va encore être améliorée et sera mise à disposition pour des réunions et des initiations, explique Benji, coprésident de l’association. Tous les projets de la Zad, y compris agricoles, peuvent avoir besoin d’organiser des transmissions vastes ou des colloques. Par exemple, le troupeau-école, pour la partie théorique de ses enseignements. C’est pour ça qu’avant les formulaires individuels, on leur avait proposé une convention collective. Parce que tout ce qu’on fait ici est indémêlable. »

Puisque vous êtes ici...
... nous avons une faveur à vous demander. Il n’y jamais eu autant de monde à lire Reporterre, mais nos revenus ne sont pourtant pas assurés.
Contrairement à une majorité de médias, nous n’affichons aucune publicité, et laissons tous nos articles en libre accès, afin qu’ils restent consultables par tous. Reporterre dépend en grande majorité des dons de ses lecteurs. Le journal, indépendant et à but non lucratif, compte une équipe de journalistes professionnels rémunérés, nécessaire à la production quotidienne d’un contenu de qualité. Nous le faisons car nous croyons que notre point de vue, celui de l’environnement et de l’écologie, compte — car il est aussi peut-être le vôtre.
« Notre société a besoin d’un média qui traite des problématiques environnementales de façon objective, libre et indépendante, en restant accessible au plus grand nombre ; soutenir Reporterre est ma manière de contribuer à cette démarche. » Renan G.
Si toutes les personnes qui lisent et apprécient nos articles contribuent financièrement, la vie du journal sera pérennisée. Même pour 1€, vous pouvez soutenir Reporterre - et cela ne prend qu’une minute. Merci. Soutenir Reporterre