Les médics de la Zad soignent les corps et les esprits

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Depuis 12 jours, l’équipe de médics de la Zad de Notre-Dame-des-Landes est à pied d’œuvre pour soigner les multiples blessures occasionnées par les grenades des gendarmes. Des traumatismes physiques et psychologiques bien plus importants que lors de l’opération César de 2012.
- Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), reportage
Plus de 272 personnes blessées. Voici le dernier bilan des médics de Notre-Dame-des-Landes, qui soignent les habitants et leurs soutiens venus s’opposer à l’expulsion de la Zad depuis le lundi 9 avril. Un chiffre terrible bien que sous-évalué selon Lola [*], une médic de la Zad. « Il s’agit ici de ceux qu’on a eu le temps de prendre en note dans nos carnets, mais je pense qu’on peut largement doubler ce nombre, entre ceux pris en charge par des équipes autonomes et ceux qui vont se faire soigner en dehors de la zone. » Lola est à Notre-Dame-des-Landes depuis 2012. Elle a donc vécu l’opération César menée cette année-là, la première tentative d’expulsion, qui s’est soldée par un échec. « À l’époque, il y avait moins de blessés. Aujourd’hui, il y a clairement une volonté de mutiler les gens avec des éclats qui partent dans tous les sens et qui visent tout le monde, même ceux qui ne vont pas au contact. Il n’y a jamais eu un tel usage intensif de grenades explosives, même à Bure ou à Sivens. Tous les jours, nous sommes à deux doigts d’avoir une personne à réanimer. » Depuis le début des opérations, près de 11.000 grenades ont été jetées. Au total, le coût de l’expulsion est estimé entre 300.000 et 400.000 euros par jour. « Et c’est reconstruction à prix libre », affiche un panneau sur la Zad. Des centaines de ces dangereux projectiles ont été déversées devant la préfecture de Nantes jeudi 19 avril, « formant des montagnes accusatrices rappelant la violence de ce que M. Hulot présentait comme une opération menée avec “retenue” », explique le site d’information de la Zad, Zad Nadir. La conductrice du tracteur ayant apporté les grenades a été temporairement arrêtée.

« Nous avons constaté des mauvais traitements au CHU de Nantes »
À la Rolandière, l’ambulance de la Zad est garée dans la cour. C’est elle qui transporte les blessés les plus graves au dehors de la zone, quand elle en a la possibilité. « La semaine dernière, notre ambulance devait évacuer un blessé mais les blindés de la gendarmerie ont bouché la route. Résultat : un retard de 30 minutes pour sortir », poursuit Lola. Car le Samu ou les pompiers n’acceptent pas toujours de venir sur la Zad, ou n’en ont pas forcément le droit. En 2012, lors de l’opération César, les pompiers avaient refusé de se rendre à la Vacherie pour évacuer un blessé, sur ordre de la préfecture. Dans les hôpitaux, Lola déplore également un accueil parfois déplorable. « Nous avons constaté des mauvais traitements au CHU de Nantes, avec par exemple un homme qui s’est fait jeter dehors à 2 heures du matin sans ses chaussures, alors qu’il ne connaissait pas la ville. Il est aussi arrivé que le personnel soignant demande aux patients se retirer eux-mêmes les éclats qu’ils avaient dans le corps. À la clinique de la main, certains soignants ne respectent pas le secret médical. Ils crient dans les couloirs des phrases comme “encore un zadiste” sans aucun respect de la vie privée. » Même lorsqu’ils sont correctement pris en charge, les blessés ne sont pas sauvés pour autant, car les blessures causées par les armes de la gendarmerie sont facilement identifiables par les policiers, qui rôdent parfois dans les hôpitaux en vue de procéder à des interpellations.

Des photos de ces blessures sont notamment visibles sur le compte Twitter de Street Zad Actionmédic. « Il faut montrer tout cela, c’est important que les gens réalisent la violence qui se joue ici. On retrouve parfois des éclats de 2 centimètres de profondeur dans les membres des gens. C’est comparable à une balle qui peut éclater des veines ou des os », s’alarme Lola. D’autres clichés décortiquent la nature des projectiles utilisés, dont on peut retrouver le détail dans une infographie du site Lundi matin. Dans cet article, il est expliqué que les dégâts occasionnés par les grenades GLI F4 seraient « psychologiques », selon la notice du fabricant.
Cette violence n’épargne personne, pas même la presse
Cette violence contre les chairs et les esprits n’est pas toujours évidente à gérer pour les médics. « Nous avons une approche qui se distingue des soignants classiques car nous partageons un sort commun avec les blessés, nous ne sommes pas extérieurs à cette lutte. On laisse les gens parler, nous raconter leur traumatisme. Parfois, nous aussi on craque. Parce que c’est trop dur . »
Sur une barricade, un jeune homme propose de nous montrer sa jambe, couverte par un énorme hématome violacé. « C’est arrivé lundi matin, à côté des Vraies Rouges, où ça a bien cartonné. J’ai jeté quelques cailloux en réponse à des jets de lacrymo. Je me suis mis un peu découvert et j’ai pris un tir de Flash-Ball dans la jambe alors que j’étais à 30 mètres. Les médics m’ont immédiatement ramassé pour me soigner. Et j’y suis retourné une heure plus tard, en me mettant un peu moins devant. » Cette violence n’épargne personne, pas même la presse, à l’instar de Marie Astier, une journaliste de Reporterre, blessée le 11 avril.

Après 12 jours de lutte, les opérations le harcèlement policier est permanent, en dépit de la « main tendue » par Nicolas Hulot et le gouvernement. Chaque jour, les hélicoptères et les drones sillonnent le ciel pour repérer les positions des barricades et prendre des images des habitants. Chaque jour, les gendarmes contrôlent les accès routiers au hasard (Reporterre s’est vu interdire l’entrée de la « route des chicanes » vendredi 20 avril). Chaque jour, la pluie de grenades tombe sur ceux qui n’ont « que leur corps à mettre en barrière face aux armes de guerre », lance Lola. En parallèle, les bulldozers s’activent pour déblayer et dégager les restes des cabanes détruites afin d’empêcher toute reconstruction. Un acharnement bien vain, puisqu’il n’entame en rien la détermination des zadistes. Jeudi 19 avril au soir, sur la route qui mène aux Fosses noires, plusieurs personnes alignaient des troncs d’arbres en vue de dresser une palissade géante. Sur le devant, une représentation grandeur nature de Superman, accrochée aux branches. Un super héros qui sauvera la Zad ?
