« Deux ans de perdus » : ce qu’ils voudraient faire de leur retraite

Parmi les manifestants à Paris le 7 février 2023, Emmanuel, 48 ans, paysan boulanger dans le Calvados et membre de la Confédération paysanne. - © NnoMan Cadoret / Reporterre
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Retraites Social PolitiqueLoisirs, temps pour soi, associatif : les opposants à la réforme des retraites ont une idée précise de ce qu’ils feraient si l’âge de départ à la retraite n’était pas repoussé.
Paris, reportage
« Si l’âge légal de départ à la retraite était maintenu à 62 ans, contrairement à 64 ans comme prévoit la réforme des retraites, que feriez-vous de ces deux années ? » C’est la question qu’a posée Reporterre aux manifestants contre la réforme des retraites, pour cette troisième journée de mobilisation. À Paris, devant l’opéra Garnier, la place est noire de monde. Malgré le froid mordant, le soleil de février réchauffe les cœurs, et fait ressortir les couleurs des drapeaux de l’intersyndicale. Environ 400 000 personnes sont descendues dans les rues de la capitale selon la CGT ; 87 000 selon le ministère de l’Intérieur.
D’abord, il y a ceux qui veulent profiter de la vie : « Moi, si on me laissait ces deux ans, je verrais mes amis, j’irais au musée, au théâtre, au cinéma, je me promènerais… Tant que j’ai mes jambes ! » répond Kamel, 52 ans, agent administratif. Passionné par le dessin animé « Goldorak », il a emporté avec lui une figurine du robot sur laquelle on peut lire : « La retraite à 60 ans. » Mais, ayant commencé à travailler à 16 ans, le fonctionnaire craint de ne pas rester en bonne santé suffisamment longtemps pour jouir pleinement de son temps libre : « S’il faut attendre d’être en fauteuil roulant pour avoir enfin le temps de profiter des loisirs, ça ne vaut pas le coup. »
- Kamel, accompagné de la figurine de « Goldorak » : « Je verrais mes amis, j’irais au musée, au théâtre, au cinéma, je me promènerais… » © NnoMan Cadoret / Reporterre
Pour d’autres, la retraite est plutôt synonyme d’évasion : « Moi, je voyagerais partout. Mais plus en tant que contrôleuse de train », sourit Aminata, 40 ans, contrôleuse SNCF à la gare Saint-Lazare. Radieuse, elle porte fièrement le gilet vert pomme du syndicat Sud Rail. « Deux ans de perdus, quand même, ce n’est pas rien. »
- Aminata : « Moi, je voyagerais partout. Mais plus en tant que contrôleuse de train. » © NnoMan Cadoret / Reporterre
« Hors de question de rester inactive »
Il y a aussi ceux qui souhaitent rester actifs : « Je crois que je mettrais ce temps à profit pour aider les jeunes agriculteurs qui s’installent », répond Emmanuel, 48 ans, paysan boulanger dans le Calvados et membre de la Confédération paysanne. D’autres, notamment des femmes, projettent de s’engager auprès d’associations : « Hors de question de rester inactive ! Moi, je me vois bien faire du bénévolat à l’hôpital, auprès des enfants malades », témoigne Laure, 54 ans, aide-soignante. Après avoir passé sa vie à soigner les autres, elle n’envisage pas de quitter brusquement cette activité qui donne du sens à son quotidien. Même si elle aimerait aussi pouvoir se reposer de temps en temps dans sa maison de campagne, en Vendée.
- Environ 400 000 personnes sont descendues dans les rues de la capitale, le 7 février 2023, selon la CGT. © NnoMan Cadoret / Reporterre
« L’image du retraité qui reste chez lui devant sa télé est en réalité très minoritaire, constate Marianne Maximi (La France insoumise, LFI), députée du Puy-de-Dôme présente à la manifestation. Les retraités font vivre les associations, il y en a qui font de la politique aussi. C’est un temps libre qui est mis à disposition de la société. » Un constat partagé par Ugo Bernalicis (LFI), député du Nord : « Même quand ils ne s’engagent pas dans des associations, les retraités s’investissent de facto pour leurs enfants, petits-enfants, pour leurs voisins… C’est aussi une forme d’engagement. »
- Nicolas Girod : « Si on me laissait ces deux ans, je ferais le tour de mes copains paysans. » © NnoMan Cadoret / Reporterre
Nombreux sont celles et ceux qui voudraient profiter de leur retraite pour s’occuper de leurs proches, tant qu’ils en ont l’énergie : « Si on me laissait ces deux ans, je ferais le tour de mes copains paysans pour passer du temps avec eux, et puis j’aurais certainement des petits-enfants, donc je voudrais pouvoir m’en occuper sans avoir de problème de santé », témoigne Nicolas Girod, 45 ans, éleveur de vaches laitières dans le Jura et porte-parole national de la Confédération paysanne. « Moi, je profiterais de ma famille, et je chouchouterais mes futurs petits-enfants », imagine Vincent, 56 ans, ingénieur tuyauterie chez Suez. « Ma retraite ? Les pieds dans l’eau, avec la famille ! » rit Sarah, 35 ans, contrôleuse SNCF.
« Le bonheur »
Le député Ugo Bernalicis, lui, a un autre programme : « Personnellement, je suis un geek, donc si tu me laisses deux ans à faire ce que je veux, je risque de passer mon temps à jouer à League of Legends ! » Et il n’est pas le seul à faire l’éloge de la « paresse » : « Moi ? Mais enfin, je ne ferais rien ! Et d’ailleurs, c’est mieux pour le bilan carbone, plaisante Vincent, 56 ans, ingénieur électricien chez Suez. Mon père était ouvrier, il s’est tué à la tâche, à 55 ans il était usé. J’ai eu la chance d’avoir de meilleures conditions de travail. Mais quand je serai à la retraite, j’ai envie de profiter de tout ce temps pour vivre au jour le jour. Me lever le matin sans savoir à quoi ressemblera ma journée : c’est aussi ça le bonheur. »
- Florence : « Pour moi, le temps libre de la retraite, c’est aussi rester au sein d’une société, et tout mettre en œuvre pour la changer. » © NnoMan Cadoret / Reporterre
D’autres veulent employer ce temps libre pour continuer à militer, comme Finette [*], 48 ans, bibliothécaire et Albatia [*], 32 ans, infirmière. Toutes deux membres d’Extinction Rebellion, elles portent fièrement le drapeau de l’organisation au logo de sablier : « Je suis déjà passée à mi-temps pour m’investir davantage dans mon militantisme, confie Finette, alors si je conservais ces deux ans de temps libre, je les emploierais à faire advenir le monde dans lequel j’ai envie de vivre. » Chez les « Rosies » d’Attac, Florence, 73 ans, médecin à la retraite, partage le même point de vue : « Pour moi, le temps libre de la retraite, ce n’est pas seulement les loisirs, dit-elle entre deux chorégraphies. C’est aussi rester au sein d’une société, et tout mettre en œuvre pour la changer. »