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ReportageJustice

Devant le Conseil d’État, les Soulèvements de la Terre défendent le désarmement

Les porte-paroles et soutiens des Soulèvements de la Terre devant le Conseil d'État, à Paris, le 8 août 2023.

Le Conseil d’État a examiné le premier recours visant à suspendre la dissolution des Soulèvements de la Terre. Sa décision sera rendue en fin de semaine.

La dissolution des Soulèvements de la Terre va-t-elle être suspendue ? Il faudra attendre la fin de la semaine pour le savoir. Ce mardi 8 août, le Conseil d’État examinait le référé en suspension déposé le 26 juillet dernier par les avocats du mouvement, Me Aïnoha Pascual et Me Raphaël Kempf, ainsi que trois recours déposés par Greenpeace, Extinction Rebellion, Notre affaire à tous, Alternatiba, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature, l’Union syndicale Solidaires, le Gisti ou encore Droit au logement.

« Il s’agit d’une audience inédite au vu du nombre de personnes requérantes. C’est la première fois qu’on voit autant de gens concernés par une procédure contre un mouvement issu de l’écologie politique. Cela démontre le caractère populaire des Soulèvements », dit Basile Dutertre, l’un des porte-paroles, lors d’une conférence de presse donnée devant le bâtiment du Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative en France.

« Un mouvement composite et horizontal qu’on ne peut pas dissoudre »

À l’intérieur, la salle d’audience était pleine. Des avocats et des représentants d’une trentaine d’associations, syndicats et partis politiques sont venus apporter leur soutien. Durant trois heures, les avocats des Soulèvements et des associations ont battu en brèche les griefs du gouvernement.

« Il ne s’agit pas d’un groupement de fait mais d’un mouvement composite et horizontal qu’on ne peut pas dissoudre », a expliqué Me Aïnoha Pascual. Elle a également nié l’appel à la violence contre les personnes : « C’est la désobéissance civile qui est valorisée ».

Ils ont également répondu aux deux questions posées par le juge des référés. Tout d’abord, y a-t-il bien une situation d’urgence justifiant leur saisine ? Ensuite, existe-t-il des doutes sérieux sur la légalité du décret de dissolution datant du 21 juin ?

Un risque pour des dizaines de milliers de personnes

Lors les débats, les défenseurs ont tenté d’expliquer que ce décret avait un effet immédiat sur les 180 comités de soutiens locaux. « Si le décret est maintenu, des dizaines de milliers de gens qui se reconnaissent dans ces comités pourront être taxés de reconstitution d’un groupement de fait dissout s’ils lancent une action. Il y a urgence à leur laisser retrouver leur liberté de réunion et d’expression », a dit Me Antoine Lyon-Caen, avocat des Soulèvements auprès du Conseil d’Etat. Ils risqueraient ainsi trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

L’avocate de l’anthropologue Philippe Descola, Claire Loiseau, a dénoncé également le risque d’une surveillance accrue des militants. Deux points balayés par Pascale Léglise, directrice de la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’Intérieur. « Je crois que les Soulèvements continuent d’appeler aux actions sur leurs réseaux et je considère que l’urgence n’est pas établie », a-t-elle déclaré.

À propos de la surveillance policière, elle estime que les 150 000 personnes qui se sont déclarées sympathisantes via une pétition sont déjà sous l’œil des services de renseignements. « Tous ne vont pas être surveillés. Il faut avoir des raisons de penser que la personne est impliquée dans les violences collectives », poursuit Pascale Léglise.

La dissolution avait été annoncée par le ministre de l’Intérieur le 28 mars dernier après la manifestation fort réprimée contre les mégabassines à Sainte-Soline. © Charlie Delboy / Reporterre

Sur la légalité du décret, le juge a cherché à savoir si l’État avait mobilisé des moyens suffisants contre les Soulèvements avant d’envisager sa dissolution. Une décision qui ne peut être envisagée que « sous condition strictes et d’atteintes très grave à l’ordre public », a-t-il rappelé.

Il s’est interrogé notamment sur les poursuites judiciaires à l’encontre du mouvement. Une question à laquelle Pascale Léglise a eu du mal à répondre. Elle a fouillé ses papiers, bafouillé un peu : « Je n’ai pas fait le recensement de toutes les plaintes auprès de tous les préfets concernés. Vous avez des signalements dans la note des renseignements. Il y a des plaintes déposées contre des personnes pour destructions de biens, incitation à des agissements violents. Mais tout cela échappe au ministère de l’Intérieur. Tout ce qu’on peut savoir, c’est ce qu’on trouve dans les journaux ».

De toute façon, les éventuelles poursuites judiciaires à l’encontre d’individus seraient indépendantes de la procédure de dissolution, selon Pascale Léglise. « Si on dépose plainte contre les personnes, ce n’est pas cela qui va arrêter l’association. D’autres prendront leur suite et continueront à prôner le sabotage. »

Désarmement contre sabotage

La question du sabotage a d’ailleurs été vivement débattue. Le juge des référés s’est notamment interrogé sur la différence avec le désarmement, le terme utilisé par les Soulèvements pour désigner certains actes commis durant des actions, notamment contre les mégabassines.

« Désarmer c’est la promesse d’un apaisement. Ce n’est pas un terme violent », selon Me Antoine Lyon-Caen. Pour Stéphen Kerckhove, directeur général d’Agir pour l’Environnement, l’émergence des Soulèvements de la Terre est « un aveu d’échec de nos associations légales ». Il rappelle l’ensemble des outils mobilisés par les associations écologiques pour faire valoir leur cause : de la simple pétition aux innombrables recours juridiques, en passant par la participation à diverses commissions. En vain.

« Tout le travail que nous faisons n’aboutit jamais. Il ne faut pas s’étonner derrière qu’il y ait des gens qui prônent le désarmement », remarque Stéphen Kerckhove. Un argument qui n’a pas convaincu Pascale Léglise : « On ne discute pas du bien fondé ou pas des bassines. On parle des moyens d’actions de ce groupement de fait pour contester ces bassines. Le ministère de l’Intérieur ne peut pas cautionner un système dans lequel la fin justifie les moyens et la violence. Nous sommes ici au-delà de la désobéissance civile. »

Défaut de logique

Jusqu’où peut-on désobéir pour faire valoir le bien commun ? La question n’a pas été tranchée mais Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de la fondation du Droit au logement, s’est étonné du traitement différencié entre les Soulèvements et d’autres associations comme la sienne : « Nous aurions pu être dissous alors que nous occupions des immeubles ou détruisions des portes pour entrer à l’intérieur, sous l’œil des caméras. Mais cela n’a pas été le cas. La dissolution des Soulèvements traduit la fébrilité des pouvoirs publics. »

De fait, la représentante du ministère de l’Intérieur considère les Soulèvements responsables de tous les actes commis durant les manifestations qu’ils ont coorganisées. « La question n’est pas de savoir qui a fait quoi. Car le mouvement glorifie et revendique ces actes », précise Pascale Léglise.

Mais pour Me Aïnoha Pascual, l’État s’entête dans un absurde syllogisme. « Les Soulèvements appellent à une mobilisation. Pendant cette mobilisation, il y a des troubles à l’ordre public. Donc ces troubles sont imputables aux Soulèvements. Si on pousse cette logique, pourquoi ne pas imputer les troubles à l’ordre public des manifestations contre la réforme des retraites à l’intersyndicale ? Il y a un défaut de rigueur dans le raisonnement du gouvernement. »

« La violence n’appartient pas aux Soulèvements »

Même constat pour Benoît Biteau, paysan et député européen EELV : « Si des appels à la violence avaient été proférés, les gens ne seraient pas venus avec leurs enfants en poussette. C’est comme si on voulait dissoudre la CGT parce que dans les manifestations, quelques individus ont fait des agissements. La violence n’appartient pas aux Soulèvements. »

Les juges du Conseil d’État rendront leur décision d’ici la fin de la semaine. Une seconde procédure, pour juger de l’affaire sur le fond, sera organisée dans un délai d’une à deux années. Et si jamais les Soulèvements sont déboutés, ils promettent d’aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’Homme.

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