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Élibio : les produits bio à petits prix cartonnent

Élibio, marque distributeur des épiciers bio indépendants, s'est lancée en 2019 avec un pari : « Démocratiser la bio. »

Il y a quatre ans, des épiceries indépendantes se réunissaient pour « rendre la bio accessible à tous ». Depuis, la marque qu’elles ont lancées, Élibio, cartonne. Au risque d’accentuer son industrialisation ?

[Série 3/4] Vous lisez l’enquête « L’agriculture bio dans la tourmente ». Pour ne pas rater le prochain épisode, abonnez-vous à notre lettre d’info.



Montpellier, reportage

« Ça cartonne ! » À la Cagette, supermarché coopératif montpelliérain, Antonin Molino est tout sourire : l’arrivée des produits Élibio en rayon, début janvier, est un succès. « C’est notre plus grosse rotation en magasin », précise le salarié. Dans sa main, une boîte de haricots verts en conserve, estampillée d’un logo orange. Élibio, c’est la marque distributeur des épiciers bio indépendants, ensemble de magasins n’appartenant ni à une enseigne de la grande distribution, ni à une chaîne de commerces spécialisés, comme Biocoop ou La Vie claire. Elle s’est lancée en 2019 avec un pari : « Démocratiser la bio. »

Quatre ans plus tard, le succès est au rendez-vous. Alors que les ventes de produits bio chutent — avec des baisses de 7 à 10 % l’an dernier —, la marque constitue un « ovni dans le secteur », selon Nathalie Besson, responsable commerciale. En 2022, les ventes ont bondi de 60 %. « On ne s’attendait pas à une telle réussite », admet Christian Lafaye, président de l’Association nationale des épiciers bio (Aneb), à l’origine du projet.

Les petits magasins bio ont eu l’idée de se fédérer, et de lancer leur propre marque « à petits prix ». © David Richard / Reporterre

Au départ, la démarche a été pensée comme une réplique au rouleau compresseur des gros distributeurs : « Les grandes surfaces développaient des marques distributeurs bio avec des prix très bas et elles rachetaient plein d’enseignes spécialisées, comme Carrefour avec Bio C Bon, Casino avec Naturalia, se rappelle Christian Lafaye. Ça nous inquiétait beaucoup. » Pour ne pas disparaître, dévorés tout crus par les supermarchés, les petits magasins bio ont eu l’idée de se fédérer, et de lancer leur propre marque « à petits prix ».

De bons produits à bas prix

1,10 euro le paquet de spaghettis, moins de 1,70 euro pour le kilo de farine, et autour de 9 euros le litre d’huile d’olive. Les prix d’Élibio concurrencent ceux de la grande distribution et séduisent des consommateurs pris à la gorge par l’inflation. « Avant, je n’achetais que les légumes et produits frais en bio, raconte Mme Besson, mère célibataire de deux ados. Maintenant, je peux me permettre d’acheter aussi des produits de base. »

Dans les rayons de la Cagette, les clients apprécient ces bons produits à faible coût : « C’est sûr que je fais davantage attention aux prix, dit Nicolas, commercial le jour et chanteur la nuit. Alors oui, des produits bio pas trop chers, ça me parle. » Dans ce supermarché coopératif, la farine, l’huile ou les conserves Élibio sont 5 à 40 % moins chers que les produits équivalents proposés jusqu’ici. Pour la commerciale, l’objectif est donc atteint : « On veut casser l’image du consommateur bobo à fort pouvoir d’achat. »

En 2022, les ventes de produits Élibio ont bondi de 60 %. © David Richard / Reporterre

La recette de cette réussite tient en quelques mots : « On massifie les volumes et on réduit les marges », précise Nathalie Besson. Côté quantité, il est plus facile pour les épiceries indépendantes de négocier de bons prix en étant nombreuses — le nombre actuel d’adhérents à l’Aneb est de 550. Côté marge, « tout le monde est invité à faire un effort », d’après la commerciale. Les grossistes, qui reçoivent, stockent et distribuent les produits, ainsi que les magasins.

« On veut casser l’image du consommateur bobo à fort pouvoir d’achat »

Mais à force de casser les prix, les épiceries bio ne vont-elles pas en perdre leur âme ? Le marché de la bio s’est industrialisé, non sans dérives. Dans leur course aux prix bas, les grandes surfaces ont favorisé une agriculture biologique faite de monocultures et de produits exotiques, portée par des travailleurs sous payés et mal traités. Biocoop et La Vie claire sont aussi régulièrement sous le feu des critiques.

Quid des magasins indépendants ? « Le but, c’est d’arriver à des prix similaires à ceux de la grande distribution, mais avec nos valeurs », affirme Tiphanie Verger, en charge de l’approvisionnement. Concrètement, elle assure suivre des critères précis pour sélectionner les fournisseurs : « Des entreprises indépendantes, familiales, pas cotées en bourse, avec des savoir-faire et des convictions. »

Le jus d’orange espagnol a ainsi été préféré au brésilien, bien moins cher mais moins écolo. La passata, purée de tomates italienne, a été sélectionnée pour son goût plutôt que pour son prix. « Pour les tablettes de chocolat, on a trouvé un artisan belge qui travaille sans ajouter de la lécithine [un additif très fréquent dans le chocolat industriel], poursuit Tiphanie Verger. Pour diminuer les prix, on a travaillé avec lui à réduire les coûts logistiques, pour que tout le monde s’y retrouve. L’idée n’est pas d’écraser les producteurs. »

« Ça reste de l’agriculture industrielle »

Volume oblige, l’Aneb travaille avec des entreprises plutôt qu’avec des paysans, des coopératives plutôt que des fermes. La farine provient par exemple de la minoterie Bellot, numéro un de la meunerie indépendante, où 90 000 tonnes de blé sont écrasées chaque année. Située dans les Deux-Sèvres, elle s’approvisionne en blé dans un rayon de 70 kilomètres. « Les relations avec Élibio, c’est ce qu’on rêverait d’avoir avec beaucoup de clients, s’enthousiasme Louis-Marie Bellot, le meunier en chef. On a des contrats labellisés commerce équitable, avec des volumes garantis et des prix intéressants. »

« Ça reste d’une certaine manière de l’agriculture industrielle, reconnaît Antonin Molino, à la Cagette. Mais ça permet à des gens dans une situation économique difficile de bien manger, sans aller dans les grandes surfaces. » Dans le supermarché montpelliérain, les paniers sont d’ailleurs souvent panachés : la farine bio premier prix côtoie les légumes du maraîcher local et les biscuits industriels.

« Cela permet à des gens dans une situation économique difficile de bien manger, sans aller dans les grandes surfaces. » © David Richard / Reporterre

« On ne veut pas concurrencer les producteurs locaux, insiste Nathalie Besson, mais proposer une marque premier prix de qualité, sur les produits du quotidien. » Élibio ne distribue ainsi plus de jus de pomme, car la majorité des magasins avaient déjà des produits paysans, qui se vendaient bien. Une petite centaine de produits sont aujourd’hui référencés, et l’Aneb ne vise pas à couvrir l’ensemble des aliments présents en rayon. « On s’arrêtera à 150 , précise M. Lafaye. Par contre, on aimerait toucher plus d’épiceries, pour être plus forts ! » La France compterait environ 1 500 points de vente indépendants. La petite marque orange a donc encore de « bios » jours devant elle.

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