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Agriculture

Crise de la bio : les agriculteurs dénoncent l’inaction de l’État

Poires bio.

Depuis un an, la filière bio est en crise. Pour faire face et se battre à «  armes égales  » avec les géants de l’agroalimentaire, elle réclame l’aide de l’État et une meilleure visibilité dans la grande distribution.

Désengagement de la grande distribution, produits bio noyés sous une myriade d’offres alternatives « durables », baisse des aides de l’État pour communiquer : l’agriculture bio, en difficulté depuis un an, s’inquiète. Le risque : que cette crise conjoncturelle provoque « de la casse dans les fermes et les entreprises, avec un impact à long terme pour la bio française ».

Dans une lettre ouverte du 28 novembre adressée aux leaders de la grande distribution, dont E.Leclerc, Carrefour ou encore Auchan, trois associations de la filière — la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab), le Syndicat réseau d’entreprises bio agroalimentaires (Synabio) et la Fédération des organisations économiques 100 % bio (Forêbio) — dénoncent le manque de visibilité accordé à leurs produits en supermarché. La Fnab déplore par ailleurs l’absence de moyens prévus pour la filière dans le projet de loi de finances (PLF) 2023, dont les volets agriculture et alimentation sont débattus mercredi 30 novembre au Sénat.

Moindre proposition de produits bio en grande distribution

En un an, les prix à la consommation ont augmenté de 6,2 %, a estimé l’Insee fin octobre. Face à cette inflation, « les consommateurs réagissent en modifiant leurs achats alimentaires », avec notamment une progression de la demande vers les premiers prix, analysent les associations. Et la filière bio en pâtit, avec une chute des ventes de l’ordre de 7 à 10 % en un an. « La filière dispose injustement d’une réputation de produits systématiquement plus chers, explique à Reporterre le président de la Fnab, Philippe Camburet. En réalité, les prix des produits alimentaires classiques ont davantage augmenté que ceux du bio, parce qu’ils dépendent davantage de l’énergie et des produits azotés [les engrais]. » Autre problème : le développement d’une multitude de labels tels que le « Haute valeur environnementale » ou « zéro pesticides », « qui s’approprient les codes du label bio alors qu’elles sont loin d’offrir le même niveau d’exigence, et créent la confusion chez les consommateurs », estime-t-il.

Pire, le « désamour » pour le bio serait appuyé par le désengagement de la grande distribution. En chute de 7,3 % entre janvier et septembre, les propositions d’assortiments bio en grande distribution poursuivent leur déclin « à un rythme très rapide », estiment les trois associations. Pour la profession, ce phénomène est « très préoccupant, car il risque d’alimenter le recul de la demande ». Moins les produits bio sont mis en avant, moins les consommateurs sont incités à les acheter. Une analyse que la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) conteste. Elle fait valoir que les produits bio disposent d’une place de choix dans leurs rayons : « L’offre en grande distribution de produits bio est nettement supérieure à la part du bio dans le chiffre d’affaires des enseignes. Par exemple, en octobre, le bio pesait 8,2 % dans l’offre des enseignes, contre 4,6 % de leurs chiffres d’affaires », détaille la Fédération à Reporterre.

0 euro pour la communication dans le budget 2023

Face aux géants de l’agroalimentaire qui inondent les écrans de spots publicitaires coûteux, le secteur s’inquiète de « ne pas se battre à armes égales ». Il y a un an, le gouvernement s’engageait à redynamiser le secteur en débloquant 500 000 euros pour communiquer sur les « bioréflexes ». Une campagne qui a porté ses fruits, mais est restée très insuffisante, juge Philippe Camburet. Malheureusement, le projet de loi de finances 2023 n’envisage pas de poursuivre la campagne. Une perte importante pour la Fnab, qui réclame dans un communiqué aux ministères de l’Agriculture, de la Transition écologique et de la Santé, d’abonder dans le PLF 2023 le budget de l’Agence Bio à hauteur de 500 000 euros chacun pour permettre la poursuite de la campagne #Bioréflexe. « C’est une question agricole bien sûr, mais également de protection de la biodiversité, de la qualité de l’eau et de lutte contre le réchauffement climatique. C’est aussi une question de santé pour les Français. Le ministère de la Santé doit prendre des orientations claires en matière de prévention », explique Philippe Camburet.

Questionné début novembre par le député Nupes Mickaël Bourloux sur le soutien à accorder à l’agriculture biologique, le gouvernement a défendu son bilan. « Après une période de croissance très soutenue, le secteur bio arrive, structurellement, dans une nouvelle étape de son développement. » Il estime ainsi que la filière doit envisager « de nouveaux relais de croissance ». Il rappelle également que la bio sera dotée tous les ans de 340 millions d’euros dans le cadre de l’aide à la conversion prévue par la Politique agricole commune, que le crédit d’impôt sera augmenté de 3 500 à 4 500 euros à compter du 1er janvier 2023 et qu’un nouveau plan de structuration des filières biologiques a été porté à 13 millions d’euros. En outre, le prochain programme Ambition bio 2027 devrait être prochainement élaboré « pour atteindre l’objectif de 18 % de SAU [surface agricole utile] bio à horizon 2027 », a promis le ministère de la Transition écologique dans sa réponse au député.

En juin, un rapport de la Cour des comptes épinglait toutefois le bilan du gouvernement dont les objectifs pour 2022 de 15 % des surfaces agricoles en agricultures biologiques n’ont pas été atteints (13,4 % seulement). Selon les conclusions du rapport, les soutiens financiers « ne sont pas à la hauteur, avec des aides à la conversion sous-dimensionnées et au maintien supprimées ». Il relevait par ailleurs que le soutien à l’innovation pour les industries agroalimentaires est « moins développé qu’en conventionnel » et regrettait ce « décalage » qui ne pourra pas se résorber sans une inflexion majeure de la politique agricole française.

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