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Libertés

En Aveyron, des amendes « sans contact » pleuvent sur les militants

Depuis l’été 2020, des dizaines de militants du département reçoivent des amendes à la suite de manifestations, sans avoir été directement verbalisés. Pire, tous n’ont même pas la possibilité de contester l’affaire devant un tribunal. Les autorités, elles, restent silencieuses.

  • Millau (Aveyron), correspondance

Quel est le comble pour un militant poursuivi ? D’ignorer comment il a été verbalisé et qu’on lui refuse l’audience lors de laquelle il devrait être condamné. C’est qui arrive à de nombreux militants en Aveyron, dans le sud-ouest de la France, depuis bientôt un an. À la suite de deux manifestations post-confinement en mai 2020 en soutien aux professionnels de santé et en protestation contre la gestion de la crise par le gouvernement, une cinquantaine ont reçu des amendes (135 euros) pour s’être rassemblés à plus de dix sur la voie publique. Le problème ? Aucun n’a fait l’objet d’une verbalisation directe ni de relevé d’identité le jour J. Agents du renseignement aux yeux d’aigle voyant au travers des masques, usage de la vidéosurveillance ou géolocalisation des téléphones ? Face au silence des autorités, vingt-cinq « amendés » ont contesté collectivement ces verbalisations « sans contact » pour comprendre.

Normalement, le ministère public doit au choix classer sans suite, convoquer en audience ou faire valoir l’irrecevabilité. Sauf que l’officier aveyronnais a, lui, décidé de lui-même que l’infraction était caractérisée. Les militants ont donc reçu des amendes majorées (375 à 450 euros), aussitôt contestées, sans réponse des autorités… jusqu’au 21 janvier. L’un des « amendés », Christian Roqueirol, membre historique de la Confédération paysanne, a alors reçu une injonction à payer avec blocage de la somme sur son compte en banque. Et toujours sans audience au tribunal. Les militants ont engagé dès lors une nouvelle procédure, peu orthodoxe : une requête en incident contentieux, qui vient mettre en cause le magistrat chargé de l’affaire lui-même.

La lettre reçue par Christian Roqueirol, le 21 janvier.

« C’est quand même fou qu’on en vienne à quémander d’être convoqués devant un tribunal ! » s’exclame Me Julien Brel, leur avocat. Additionnées, ces amendes représentent plusieurs dizaines de milliers d’euros. Pas de quoi effrayer le militant aguerri, mais pour Christian Roqueirol, il est « inacceptable qu’on nous empêche ainsi de manifester ».

« La mouvance anacho-libertaire »

Surtout que l’arrêté interdisant les rassemblements de plus de dix personnes a été cassé au Conseil d’État dès le mois de juin 2020 — mais la décision n’est pas rétroactive. L’affaire est en tout cas suffisamment grave pour être relevée par Amnesty International dans son rapport sur le droit de manifester en France.

À Rodez, la préfecture aveyronnaise, d’autres militants ont également été « amendés ». Cette fois, c’est pour s’être rassemblés le 25 mai 2020, au lendemain de l’incendie de la cabane des Gilets jaunes. « On était une petite vingtaine, quatre personnes ont reçu une amende, une seule a vu relever son identité », raconte N. Contestant cette volonté « de faire taire les manifestants », elle a obtenu une audience au tribunal de police, qui vient d’être repoussée — le juge était mystérieusement absent. Dans son dossier, elle a découvert que le policier a menti en affirmant avoir pris leur identité et signifié la verbalisation sur place, ce que la militante dément. Au passage, l’officier aurait « formellement identifié » des personnes faisant « partie de la mouvance anacho-libertaire » (sic).

Extrait du PV du policier ayant verbalisé N.

C’est que les autorités ont aussi dans leur viseur l’Amassada, qui rassemble les opposants au transformateur de Saint-Victor. En témoigne l’accusation de « jet de feuilles mortes » contre un gendarme, que Reporterre avait raconté en 2017. Après trois ans de procédure, la cour d’appel de Montpellier a finalement prononcé la relaxe sur ce motif le 20 novembre 2020. Quatre militants de l’Amassada ont également été poursuivis pour une manifestation ayant eu lieu une semaine après l’expulsion du hameau d’occupation, en octobre 2019, avec pas moins de sept chefs d’inculpation. Un capitaine de gendarmerie aurait été « blessé » par un jet de tomate. Sept mois de prison avec sursis avaient été requis en première instance, l’appel vient de se tenir à Montpellier le 16 février, et le délibéré sera rendu mi-avril.

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