En Espagne, le jour se lève sur l’énergie solaire

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Énergie MondeDepuis un an et la nouvelle réglementation introduite par le gouvernement, la part de la production électrique venant du solaire augmente. L’autoconsommation photovoltaïque, soutenue par des coopératives citoyennes, retrouve de l’intérêt. Les grands fournisseurs d’électricité lancent dans le même temps d’énormes projets.
- Madrid (Espagne), correspondance
L’Espagne et son sempiternel cliché soleil-chaleur-plage. II est vrai que le voisin du sud des Pyrénées est l’un des pays les plus ensoleillés d’Europe, justifiant sûrement une grande partie de l’intérêt touristique qu’il dégage. En revanche, à l’heure de profiter de cette ressource naturelle pour générer son électricité, il est loin d’être à la hauteur de son potentiel. D’après le baromètre photovoltaïque 2019 d’Eurobserv’ER, l’Espagne n’arrive qu’en cinquième position de l’Union européenne en matière de production d’électricité d’origine photovoltaïque (7.785 TWh en 2018) derrière l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni et la France. Mais depuis un an, date d’un changement de législation, un regain d’intérêt pour le solaire a touché le pays.
« Cette modification a entraîné un tournant dans le secteur, surtout pour l’autoconsommation. On estime que 40 % des installations individuelles mises en place en 2018 datent du dernier trimestre, soit juste après la publication du décret », explique Paula Santos, directrice technique de l’Union espagnole photovoltaïque (Unef). « On n’a pas encore de chiffres exacts mais on considère qu’environ 1.300 installations individuelles seront implantées dans les prochains mois, ajoute Víctor Naval, membre de la coopérative solaire Som Energía, la plus grande du pays avec 60.000 adhérents. On a l’impression que les Espagnols n’ont plus peur d’entreprendre des changements au niveau de leur maison, de leur toit, pour être moins dépendants des fournisseurs d’électricité. »
« Le problème de fond n’est cependant pas réglé »
En octobre 2018, le gouvernement mené par le socialiste Pedro Sánchez a abrogé le dénommé « impôt sur le soleil », une taxe polémique instaurée en 2015 par les conservateurs sous la pression des grandes entreprises du secteur. Il s’agissait d’un prélèvement sur l’énergie produite par les panneaux solaires. Le but : freiner une autoconsommation qui avait décollé à la fin des années 2000 grâce aux subventions puis reculé après la crise économique et l’assèchement des aides. En avril dernier, une série de mesures a également été approuvée pour simplifier les démarches administratives, notamment pour les habitations individuelles et les résidences collectives. Pour ces dernières, l’accord de seulement un tiers des propriétaires est désormais requis.
« Le plus dur reste de convaincre un nombre suffisant de voisins, nuance Genoveva López Morales, de la coopérative madrilène Ecooo. La loi a été modifiée, pour le mieux, mais il continue d’exister une certaine désinformation. On pensait que l’engouement allait être plus important. » Ces dernières années, alors que l’autoconsommation solaire patinait, les coopératives citoyennes telles qu’Ecooo ou Som Energía ont continué de lutter pour une transition vers un nouveau modèle énergétique. Elles ont par exemple racheté des installations photovoltaïques non retables ou délaissées grâce à l’investissement de leurs socios. Ou inauguré leurs propres installations via les contributions des adhérents.
« Le problème de fond n’est cependant pas réglé, regrette Genoveva López Morales. La loi n’a pas changé grâce à une prise de conscience politique mais sous une double impulsion : celle des règles européennes allant vers une réduction des émissions et celle d’un mouvement mondial concernant l’avenir de la planète. En Espagne, le lobby énergétique reste très puissant. Il n’y a, par exemple, pas eu de limitations pour les mégacentrales photovoltaïques. »
- Une installation fournie par Ecooo sur un toit à Las Rozas, en banlieue de Madrid.
Les coopératives écocitoyennes ne sont, en effet, pas les seules à s’établir sur un domaine qui a le vent en poupe. Les grands du secteur développent aussi leurs projets, d’une envergure bien supérieure. Le groupe Cobra a récemment construit un parc photovoltaïque de 494 MW dans la région ensoleillée de Murcie, dans le sud-est du pays. En Estrémadure (sud-ouest), Iberdrola, autre géant énergétique espagnol, a commencé les travaux sur un terrain de 1.000 hectares pour un parc d’une capacité de 500 MW, dont la mise en marche est prévue en septembre 2020. Le groupe a annoncé un projet encore plus important pour 2022 dans cette même région : des panneaux solaires sur 1.300 hectares pour une puissance de 590 MW. Ce serait la plus vaste centrale solaire d’Europe.
« Il y a encore, en Espagne, un incroyable potentiel solaire qui n’est pas exploité »
Cette logique à grande échelle inquiète les petits investisseurs. L’association nationale des producteurs d’énergie photovoltaïque (Anpier) alerte « des risques dérivants de l’actuelle ultraconcentration de la propriété des installations photovoltaïques pour l’approvisionnement de l’énergie électrique au réseau général ». Et ajoute qu’il est urgent « d’encourager […] la génération solaire en promouvant les initiatives locales ». Pour l’Unef, qui représente quelque 250 organisations allant d’Ecooo à Iberdrola, « l’autoconsommation est certes indispensable mais aussi compatible avec les grands parcs, qui agissent dans un contexte de production différent ». Les coopératives savent pertinemment qu’il leur est impossible de rivaliser avec les mastodontes du secteur. « On cherche à développer un modèle plus démocratique, explique Nuri Palmada, une des pionnières de Som Energía. Et puis, à notre échelle, on rencontre déjà assez de difficultés, notamment pour obtenir des points de raccordement au réseau électrique pour nos installations. » Il existerait ici, selon Genoveva López Morales, une véritable « spéculation » qui bénéficierait aux grandes entreprises.
Malgré les avancées, les coopératives et les associations de producteurs estiment que le nouveau cadre législatif est encore loin d’être parfait. La gestion des points de raccordement en est un exemple. « On attend également la publication de certains protocoles de communication entre les entreprises de commercialisation, de distribution et les gouvernements régionaux pour que l’ensemble soit plus transparent », indique Paula Santos, de l’Unef. Le contexte politique instable, avec la tenue en novembre des quatrièmes élections générales en quatre ans, pourrait freiner quelque peu l’intérêt des Espagnols pour l’autoconsommation. C’est du moins la crainte de Genoveva López Morales : « Cela génère de l’incertitude, la peur d’un nouveau changement de législation. De manière générale, je ne sens pas un point d’inflexion clair en faveur de la production individuelle. Il y a encore, en Espagne, un incroyable potentiel solaire qui n’est pas exploité. »