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Santé

En Île-de-France, les oeufs des poulaillers domestiques sont dangereux

Une étude menée par l’Agence régionale de santé d’Île-de-France a révélé la présence de polluants dangereux dans des poulaillers domestiques. Elle recommande de ne plus manger ces œufs maison.

Si vous avez un poulailler, n’en consommez plus les œufs. C’est la préconisation alarmante publiée par l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France pour toute la région, mercredi 19 avril.

Cette consigne fait suite à des prélèvements dans 25 poulaillers domestiques, afin d’y rechercher trois types de polluants dangereux et persistants : dioxines, furanes et PCB. Toutes les analyses de sols et d’œufs ont montré la présence des trois polluants. Et dans 21 de ces poulaillers, soit l’immense majorité, les concentrations de polluants dans les œufs dépassent les normes en vigueur.

Les produits commerciaux ne sont pas concernés, car la présence de ces polluants y est contrôlée. La mesure est « conservatoire et prudentielle », en attente de nouvelles investigations, mais rappelle que les poules sont particulièrement exposées aux polluants, et à travers elles leurs propriétaires qui consomment leurs œufs.

Sols pollués et aliments contaminés font des poules des réceptacles à substances nocives. CC BY-SA 4.0 / Tsaag Valren / Wikimedia Commons

« On est sous le choc », réagit Anne Connan, secrétaire de l’association 3R (Réduire, réutiliser, recycler). « L’étude devrait être finalisée dans deux mois, mais l’agence a décidé qu’elle ne pouvait pas attendre plus longtemps avant de recommander aux gens de ne plus manger leurs œufs. »

Ces analyses font suite à une étude réalisée pour l’association 3R — qui lutte pour la réduction des déchets et des pollutions dues à l’incinérateur d’Ivry — par la fondation Toxico Watch. En février 2022, elle avait analysé œufs, mousses et feuilles d’arbres persistants, et démontré la forte présence de dioxines autour de cet incinérateur, une des plus élevées d’Europe selon la fondation.

Des poules « considérées comme des poubelles »

L’ARS avait alors lancé ses propres analyses. Que les prélèvements d’œufs et de sol soient proches ou éloignés des incinérateurs, tous ont montré la présence des trois polluants. Ainsi, si les incinérateurs sont une source majeure et reconnue de pollution aux dioxines, ces résultats rappellent un phénomène connu des scientifiques mais peu du grand public : les poules sont des réceptacles à polluants.

« Les poules domestiques sont de plus en plus considérées comme des poubelles », regrette Jacky Bonnemains, porte-parole de l’association Robins des bois. « L’Ademe a encouragé l’adoption de poules pour réduire les déchets », rappelle-t-il. Sauf que les épluchures qu’on leur donne, soit la peau des fruits et légumes, est justement la partie qui concentre des pesticides et d’autres polluants. Donner ses pelures à ses poules — en tout cas quand elles ne viennent pas de fruits et légumes bio — n’est donc pas forcément une bonne idée.

En l’absence de contrôles sanitaires des œufs comme des sols, les poulaillers domestiques peuvent subir des pollutions sans le savoir. CC BY-SA 4.0 / Simon de l’Ouest / Wikimedia Commons

Par ailleurs, les poules ne se contentent pas de déchets de cuisine. « Si elles n’ont pas une alimentation équilibrée, elles vont manger des lombrics, qui sont souvent très chargés en résidus divers », souligne le militant écologiste spécialiste des pollutions. Les vers de terre accumulent pesticides ou dioxine dans leurs tissus.

Par ailleurs, nos gallinacés picorent en permanence un sol potentiellement pollué. « Il y a en Île-de-France un très grand nombre de sites pollués — notamment aux PCB — par des activités industrielles anciennes, ou même des usines existantes », dit Jacky Bonnemains. « Quand il y a des sites pollués, on rappelle toujours que les enfants entre un an et quatre ans, qui jouent au sol et portent leurs mains à leur bouche, sont les plus exposés. Les poules c’est pareil ! »

Des sols contaminés très mal répertoriés en France, a déjà rappelé Reporterre. Écoles ou pavillons peuvent y être construits sans que les habitants soient au courant. « L’eau de pluie, que l’on peut donner à boire aux poules, peut aussi être contaminée », dit Daniel Hofnung, membre du collectif 3R.

Risques de cancer, diabète, perturbateurs endocriniens

Tous ces polluants ingérés se retrouvent dans les œufs, qui sont un des aliments connus pour stocker les dioxines. Ces dernières ont une affinité pour les graisses et se retrouvent dans le jaune. Avec les produits laitiers, viandes et poissons, les œufs sont l’une des principales sources d’exposition de l’humain aux dioxines.

« La consommation régulière d’aliments contaminés par des dioxines et des PCB entraîne […] une augmentation du risque de cancer, de troubles de la fertilité et de la grossesse, d’effets métaboliques comme le diabète par exemple et des effets perturbateurs endocriniens », rappelle l’ARS.

Mangeoires, eau propre... Pour préserver les poules, des solutions existent. CC BY-SA 4.0 / Tsaag Valren / Wikimedia Commons

Mais il existe des solutions pour limiter l’exposition. Certains poulaillers domestiques ayant participé à l’étude ont des taux de contamination faibles. « C’est le cas du poulailler de l’Ehpad d’Ivry qui est très bien conçu », explique Daniel Hofnung, qui a eu droit à une présentation des premiers résultats de l’étude de l’ARS. « Il a un abreuvoir avec de l’eau de ville, un toit sur une partie du parcours des poules qui permet de rejeter l’eau de pluie hors du poulailler, la paille y est régulièrement changée… Les poules y sont donc peu touchées par la pollution ambiante. »

Une étude scientifique de 2009, elle, préconisait déjà « une surface pavée à l’intérieur du poulailler, un lieu d’alimentation intérieur et la mise à disposition d’une surface suffisante par poule ». Plutôt que de jeter du grain au sol, il vaudrait donc mieux utiliser des mangeoires.

« Tout notre environnement est pollué »

Pour autant, la mesure prise par l’ARS ne satisfait pas le collectif 3R. « Les résultats sur les œufs sont le signe que tout notre environnement est pollué. Quand on nous dit que l’air est pollué, la solution n’est pas d’arrêter de respirer », s’exaspère Anne Connan. L’interdiction de consommer les œufs de poules domestiques est pour elle un pis-aller. « Il faut trouver quelles sont les sources de pollution et les réduire », insiste-t-elle.

Les incinérateurs sont bien sûr les principaux suspects, en particulier celui d’Ivry. Mais il y a aussi de nombreuses autres sources possibles. « Les incendies d’entrepôts, d’usines, de déchetteries, de casses de voitures, très nombreux en Île-de-France », énumère Jacky Bonnemains. « Ainsi que les feux de déchets verts au fond du jardin, ou le chauffage au bois. »

« L’origine de ces contaminations n’est pas encore établie, des investigations complémentaires sont en cours », indique l’ARS, qui va documenter les pratiques des poulaillers épargnés par la pollution. Inquiète, la Ville de Paris a réagi dans un communiqué du 21 avril, et « appelle à poursuivre les investigations afin d’identifier l’origine de cette pollution, ainsi qu’à évaluer les dysfonctionnements éventuels d’installations contrôlées, notamment les incinérateurs franciliens ».

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