En Italie, ils résistent à la bactérie tueuse d’oliviers

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Nature MondeDes oléiculteurs des Pouilles, dans le sud de l’Italie, expérimentent des soins pour combattre les ravages de la bactérie Xylella et pour préserver leurs oliviers centenaires d’un remplacement par une agriculture intensive.
Salento (Italie), reportage
Plus de 10 000 oliviers pluricentenaires arrachés, des milliers d’autres en train de dessécher : le Salento, dans le sud de la région des Pouilles en Italie, a changé de paysage en l’espace de quelques années. Depuis la découverte de la bactérie Xylella fastidiosa en 2013 sur des oliviers en dépérissement, le vert des oliveraies séculaires a cédé la place au noir des troncs abandonnés, aux terrains dénudés en raison de l’arrachage obligatoire ou volontaire des arbres infectés, mais aussi à de nouvelles perspectives économiques : constructions pour le tourisme, panneaux photovoltaïques ou agriculture intensive.
Près d’Otrante, un village touristique aux allures grecques surplombant l’Adriatique, un hôtel en construction fait désormais face aux oliviers de Donato Minasi. Ce retraité, qui a hérité de l’oliveraie familiale comme nombre d’habitants du Salento, est un résistant : « Il y a cinq ans, j’ai vu les premiers symptômes de dessèchement sur mes arbres. J’ai appelé un agronome, qui m’a dit de tout abandonner. Je ne voulais pas : si on abandonne toutes ces terres, que deviendront-elles ? Un désert ? »

Donato Minasi a alors décidé d’expérimenter une méthode développée par Marco Scortichini, un chercheur du Conseil pour la recherche en agriculture et l’analyse de l’économie agricole (Crea) de Rome. Le « protocole Scortichini » s’appuie sur un principe simple : renforcer le système immunitaire des plantes grâce à un fertilisant bio à base de zinc, de cuivre et d’acide citrique.
Grâce à ce produit, les oliviers de Donato Minasi sont encore bien verts : « Nous avons analysé la charge bactérienne présente dans les plantes traitées et non traitées. Cela a confirmé ce que l’on voyait à l’œil nu : le produit abaisse la charge bactérienne. Il ne l’élimine pas complètement, mais il permet à la plante de se remettre en état végétatif et de produire des fruits », explique Marco Scortichini, qui a publié le résultat de ses recherches en 2018 dans la revue scientifique Phytopathologia Mediterranea.

Depuis, plusieurs études ont confirmé l’efficacité de sa méthode sur des arbres possédant encore au moins 50 % de feuillage vert. Malgré cela, Marco Scortichini a été dénigré, voire traité de charlatan par les scientifiques qui mènent les projets de recherches européens sur Xylella. Selon eux, on ne peut pas soigner les arbres victimes de la bactérie avec cette méthode « assez approximative » qui utilise un « échantillon insuffisant », jugent-ils. Il s’agirait même d’un « improbable remède miracle », selon le président de la Commission budget de la région des Pouilles. Le coût du produit utilisé a également été reproché à Scortichini.
Donato Minasi balaie ce dernier argument : « Pour 1 200 arbres, cela me coûte 3 500 à 4 000 euros par an. C’est un coût, mais je vends mon huile extra-vierge à 9 ou 10 euros le litre et j’utilise les fonds européens de la Politique agricole commune [PAC] qui sont destinés à ce genre de dépenses, et non pas à s’acheter une belle voiture », ironise le vieil homme, qui a été témoin de l’abandon des oliveraies locales, peu rentables, depuis des décennies.
« Moins de 1 % des gens ont continué à cultiver. »
Entretenues à grands coups de glyphosate ou purement et simplement délaissées, les oliveraies sont devenues un simple moyen de toucher les aides de la PAC, estime-t-il : « Moins de 1 % des gens ont continué à cultiver. Le reste des terres, plus personne n’y passe depuis plus de dix ans. Pour eux, l’Europe est un distributeur de billets », résume-t-il laconiquement.

Au milieu de ses grands oliviers de variétés locales Ogliarola et Cellina di Nardò, Donato Minasi a également planté des oliviers de variétés Leccino et FS17, considérées comme résistantes à Xylella : elles pourraient continuer à produire tout en étant infectées par la bactérie.
Près de 4 millions d’oliviers anciens pourraient être remplacés par ces variétés, selon un décompte de la région des Pouilles, qui accorde des aides financières pour l’arrachage des vieux arbres et la replantation de ces deux variétés exclusivement, malgré l’absence de certitudes sur leur résistance à long terme. Donato Minasi a bien vite déchanté : « Le Leccino est déjà malade et les FS17 ont séché deux fois... J’ai dû en racheter, à 6,5 ou 10 euros la plante », déplore-t-il.

Depuis 2017, environ 1,3 million d’oliviers de la variété brevetée FS17 ont été vendus en Italie, dont 800 000 par une seule pépinière qui « a élaboré un modèle agronomique » prévoyant la plantation de 800 oliviers à l’hectare, rapportait le quotidien italien La Stampa en décembre 2020. Ces vergers ultra-intensifs seraient impossibles à développer dans le Salento.
« Personne ne leur dit qu’il n’y aura jamais assez d’eau dans le Salento pour faire des cultures intensives, s’énerve Massimo Blonda, ancien directeur scientifique de l’Arpa Puglia, l’agence de protection de l’environnement des Pouilles. L’olivier s’est développé ici, car c’est une plante qui n’a pas besoin de beaucoup d’eau, c’est une éponge qui crée même un microclimat autour d’elle. »
« Les panneaux photovoltaïques créent des risques pour l’absorption des eaux de pluie, la biodiversité des sols, l’effet microclimatique… »
Massimo Blonda s’inquiète également de la prolifération des panneaux solaires dans la région : « En 2013-2014, il y a eu une invasion de panneaux photovoltaïques à la place des oliviers et des autres cultures. Petit à petit, nous avons vu le territoire entre Brindisi et Lecce [dans les Pouilles] se couvrir de panneaux photovoltaïques avec une série de risques environnementaux importants, outre le paysage qui était profondément altéré : des risques pour l’absorption des eaux de pluie, la biodiversité des sols, l’effet microclimatique… »

Face aux divers appétits qui se sont déclarés pour les terres du Salento, les habitants sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à se battre pour sauvegarder leur patrimoine naturel et culturel. Ancien employé d’une coopérative oléicole qu’il a quittée parce qu’il ne voulait plus vendre de pesticides aux oléiculteurs, Ivano Gioffreda sillonne le Salento, bénévolement, pour sauver des oliviers.
« Autour, il n’y a plus personne, tout a été abandonné. »
Pour lui, le secret réside dans « les vieilles pratiques agricoles que tout le monde a abandonnées » : la « slupatura » — une technique particulière de taille dans le tronc de l’olivier qui le débarrasse de parties infectées sans nuire à sa survie — et les tailles « chirurgicales », visant à ne pas créer de blessures par lesquelles pourraient s’infiltrer l’humidité, les champignons ou les insectes. « En reprenant les bonnes techniques, on peut sauver une partie de notre patrimoine et faire une huile de grande valeur », estime Ivano Gioffreda.

Dans le nord du Salento, à Grottaglie, Francesco d’Urso a aussi refusé de baisser les bras. Pour préserver ses 40 000 oliviers, dont 2 500 sont vieux de près de 500 ans, l’oléiculteur a appliqué préventivement le protocole Scortichini : aucun de ses arbres n’a été frappé de dessèchement. Ce qu’il craint le plus, c’est l’abandon des oliveraies : « Autour, il n’y a plus personne, tout a été abandonné. Ça nous fait peur parce que c’est justement dans les zones abandonnées que la bactérie prospère », se désole-t-il. La famille d’Urso, dont l’huile extra-vierge bio est vendue entre 7 et 15 euros le litre, a récemment été approchée par le mouvement Slow Food, afin de rejoindre un réseau d’oléiculteurs « résilients » qui se distinguent de ceux prenant la voie de l’agriculture intensive.
Pour Michele Doria, qui dirige la coopérative oléicole Sant’Anna, à Vernole, sur la façade adriatique du Salento, intensifier l’oléiculture de la région serait une aberration : « On ne pourra jamais être compétitifs avec l’Espagne. Se diversifier et mettre l’histoire de la région en valeur est l’unique moyen de survivre. » Avec quelques oléiculteurs de sa coopérative, il teste l’efficacité de l’acide acétique pour contrer la bactérie Xylella. « On cherche surtout à sauver notre patrimoine, reconnaît-il. Si on ne sauve pas nos variétés locales, les grandes exploitations feront des plantations intensives avec d’autres variétés et le territoire ne sera plus jamais comme avant. On perdrait l’histoire et la beauté de cette terre. »