En Vendée, des éleveurs se rebellent contre le confinement des volailles

Sarah, éleveuse de volailles plein air en Vendée, septembre 2022. - © Scandola Graziani / Reporterre
Sarah, éleveuse de volailles plein air en Vendée, septembre 2022. - © Scandola Graziani / Reporterre
Durée de lecture : 8 minutes
AgricultureEn Vendée, Sarah, Hélène et Benoît sont éleveurs plein air. À cause de la grippe aviaire, l’État leur impose d’enfermer leurs volailles. Pas question, estiment-ils, de céder à une règle absurde et injuste.
Saint-Mesmin (Vendée), reportage
Dans la lumière dorée des matins d’automne, la petite ferme de Sarah sort de sa torpeur. Les volailles sont déjà à l’extérieur, profitant des premiers rayons du soleil pour réchauffer leur plumage acajou, en poussant des caquètements de satisfaction. Sarah fait le tour de son élevage pour s’assurer que tout le monde va bien. Installée depuis huit ans en Vendée, dans la petite commune de Saint-Mesmin, la fermière de 38 ans élève des volailles de chair biologiques en plein air. Sur deux hectares, dindes, pintades, poulettes et poulets gambadent entre les bosquets de ronces et de cynorhodons, se perchent dans les arbres ou sautent sur les talus qui parsèment la ferme Roule poulette.
Las, depuis le 1er septembre, le département de la Vendée est repassé en « zone de contrôle temporaire » (ZCT) par arrêté préfectoral, après que deux oiseaux sauvages ont été testés positifs au virus de grippe aviaire. Coup dur pour les élevages en plein air comme celui de Sarah. Concrètement, cela signifie que les volailles doivent être mises à l’abri dans des bâtiments fermés ou sous des filets de protection, avec une surveillance vétérinaire hebdomadaire et des parcours en plein air restreints. Autrement dit, la basse-cour de Sarah devrait être enfermée et donc privée de la lumière du jour.
« On fait de l’élevage, pas de la production animale ! »
Pour l’éleveuse, c’en est trop : cette fois-ci, elle ne confinera pas ses animaux. Tant pis si elle risque une mise en demeure et une amende salée. « Je préfère avoir la grippe aviaire et être obligée d’arrêter ma ferme à cause de ça plutôt que de devoir arrêter mon activité parce qu’on m’empêche de travailler comme j’en ai envie. » Enfermer les volailles est contraire aux principes du mode d’élevage qu’elle a choisi, assure-t-elle, et par conséquent, la réglementation sur la grippe aviaire n’est pas adaptée aux besoins de son exploitation. « On fait de l’élevage, pas de la production animale », dit-elle avec véhémence.

Sarah n’est pas seule. Partout en France, des éleveurs et éleveuses de volailles en plein air refusent de claustrer leurs bêtes. Beaucoup militent au sein du collectif Sauve qui poule. Dans le Poitou, le collectif s’est même régionalisé pour devenir Sauve qui poule Poitou. Ce groupe d’irréductibles volaillers est composé de profils très variés : il y a ceux qui sont installés depuis plus de vingt ans et qui ont une clientèle stable, comme Olivier et Benoît, et puis il y a les débutants, comme Bastien. Petit éleveur en bio dans les Deux-Sèvres, il vient de s’installer sur une ferme de 11 hectares avec des lots de 150 poulets pour commencer. Enfin, il y a aussi les intermédiaires, comme Sarah et Hélène qui ont commencé il y a huit ans mais travaillent sur de petites exploitations et n’ont pas encore remboursé tous leurs crédits. Chacun et chacune fait face à des problématiques différentes, mais un objectif les unit : mettre fin à ce qu’ils considèrent comme une injustice, si ce n’est une absurdité.
Un sentiment d’injustice face à la responsabilité de l’élevage industriel
Selon eux, ce sont les élevages industriels qui diffusent majoritairement le virus. En cause : leur fonctionnement en « filière longue » qui favorise les interventions de personnels extérieurs. Une entreprise est chargée de la sélection, une autre de l’accouvage, une autre de l’élevage, une s’occupe du gavage, la dernière de l’abattage... Pascal Sachot, porte-parole de la Confédération paysanne de Vendée, abonde : « Les élevages plein air fonctionnent en autarcie, avec très peu de mouvements de personnel. Dans les élevages industriels, les personnels de desserrage [le fait de séparer un lot afin que les animaux aient plus de place] interviennent souvent dans quatre ou cinq élevages différents, il y aussi le personnel d’équarrissage, celui des coopératives... Les risques ne sont pas du tout les mêmes ! »

D’après une enquête menée auprès d’une centaine d’éleveurs de volailles en circuit court par le collectif Sauve qui poule 44, seuls 3 % d’entre eux ont été touchés par le virus. Bien qu’il n’existe aucune étude comparative, et ce, malgré les réclamations de la Confédération paysanne, on peut estimer que ce pourcentage est beaucoup plus important du côté des élevages industriels vu le nombre total de foyers de contamination (534 en Vendée).
Pour nos frondeurs poitevins, la claustration des animaux pose avant tout un problème de bien-être animal : « En plein air, les volailles s’adaptent au milieu, vont là où ça leur correspond en fonction de la pluie et du soleil. J’ai essayé de les claustrer une journée, j’en étais si malheureuse que je les ai immédiatement relâchées », raconte Hélène. De plus, l’enfermement déclenche chez les animaux des comportements anormaux, du stress, et même du cannibalisme : « Parfois, ils se piquent et finissent par s’entretuer », s’effraye l’agricultrice. Ils sont aussi plus sensibles aux maladies, car moins immunisés. Dans ses travaux sur la grippe aviaire, le chercheur toulousain Pierre Bessière a d’ailleurs montré l’importance du microbiote pour lutter contre le virus et éviter les surinfections. Or, une des façons de renforcer leurs défenses immunitaires est justement de laisser les animaux à l’air libre. « L’objectif du plein air, c’est l’immunité des animaux, la résistance, l’alimentation… Les parcours en extérieur ont une utilité, ce ne sont pas juste des parcs décoratifs », poursuit Sarah.
Un label « bio »... alors que les volailles ne sortent plus à l’air libre
Au-delà du bien-être et de la santé des bêtes, c’est aussi l’intérêt des consommateurs qui est en jeu. « En plein air, les poules peuvent courir et se muscler, c’est très différent au niveau gustatif », résume Benoît. Or, les éleveurs et éleveuses du collectif Sauve qui poule travaillent en vente directe avec une clientèle fidélisée : pas question de lésiner sur la qualité. La claustration des volailles remet également en cause la certification « biologique » des animaux : « Normalement, le poulet bio doit passer au moins la moitié de sa vie en extérieur, donc il doit sortir au plus tard à 6 semaines », explique Benoît. Sauf qu’avec l’obligation de confiner, certains poulets n’ont jamais vu la lumière du jour. Les éleveurs ont donc demandé aux organismes certificateurs comme Certipac bio ou Ecocert de mettre un terme à cette certification mensongère. « On nous a répondu que la loi sanitaire passait avant la certification, et donc qu’on pouvait continuer de produire des volailles sous label bio, alors qu’elles ne sortent plus », dit amèrement Sarah. Pour Benoît, c’est un scandale : « J’appelle ça de la fraude aux consommateurs. » Dans les élevages de poules pondeuses, la question se pose de la même façon, comme en témoigne Aurélia, dans une lettre recueillie par le collectif Sauve qui poule : « J’ai été [...] écœurée de vendre des œufs étiquetés “bio”, “élevé en plein air” parce que la loi m’y autorise alors que ça n’était pas vrai. »

« On perd le sens de notre métier, s’alarme Sarah. On proposait une viande saine et écologique, ce qui correspond de plus en plus aux attentes de la société… Tout a basculé. » Certains ont même eu envie d’arrêter comme Benoît, qui confie avoir frôlé le burn-out. Pour d’autres, comme Olivier, c’est avant tout une entrave à sa liberté et une insulte à son savoir-faire : « Des gens qui ne font pas mon métier me disent ce que je dois faire dans ma propre ferme. »
Quid des conséquences financières ? Sarah et Olivier ont calculé un manque à gagner d’environ 17 000 euros sur la période de quatre mois où ils ont arrêté la production. En effet, en janvier, l’État avait opté pour la mise en place d’un « vide sanitaire », soit l’interdiction de remplir les élevages avec de nouveaux poussins ou canetons. À cela s’ajoutent des frais vétérinaires particulièrement élevés en raison des nombreuses visites de contrôle. Les membres de Sauve qui poule Poitou se sont mis d’accord pour refuser collectivement de les payer, mais cela n’a pas suffi. Sans activité complémentaire, Sarah a dû faire un prêt et travailler quelques mois dans une pépinière. Certains éleveurs se sont mis au RSA. Depuis le mois de septembre, la bataille des indemnisations est ouverte et les éleveurs vont pouvoir prétendre à une aide de l’État, qu’ils perçoivent davantage comme un dédommagement. Cependant, les éleveurs récalcitrants ne sont pas certains de pouvoir la toucher.
Pour Olivier, remplir ces demandes d’indemnisations relève davantage de l’acte politique que de la nécessité économique : « Mon combat n’est pas là parce que je suis installé depuis longtemps et que j’ai une aisance financière suffisante. Mon combat, c’est pour les autres éleveurs, ceux qui débutent et qui en ont vraiment besoin. Mon combat, c’est pour que les futures générations d’éleveurs de volailles en plein air puissent vivre de leur métier. »