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Nucléaire

En crise, EDF gèle les embauches

EDF voulait atteindre 10 000 à 15 000 embauches par an d’ici 2030.

En difficultés financières, EDF a décidé de mettre en suspens sa campagne de recrutement de 3 000 personnes. Une décision qui fait mouche, à l’heure de la relance du nucléaire.

Le « Plan Marshall » de 3 000 recrutements annuels à EDF n’aura pas lieu. En tout cas, pas tout de suite. Vendredi 14 avril, le groupe a confirmé à Reporterre une « suspension provisoire des embauches 2023 », à la suite d’un article publié mercredi dans le média en ligne L’Informé. Cette pause doit permettre à EDF « d’identifier les recrutements prioritaires de cette année dans les différentes directions du groupe, et de faire les arbitrages pour répondre aux enjeux actuels et futurs ».

EDF n’a pas répondu à la question de Reporterre sur les raisons de ce moratoire. Selon Contexte, elles seraient principalement financières. En 2022, le groupe a enregistré une très lourde perte de 17,9 milliards d’euros et un endettement record de 64,5 milliards d’euros. La faute à l’effondrement de la production nucléaire à 279 térawattheures (TWh), causée par le problème de corrosion sous contrainte et le retard accumulé dans les opérations de maintenance, et au relèvement de 20 TWh du plafond de l’Arenh (accès régulé à l’électricité nucléaire historique) imposé par l’État dans le cadre du bouclier tarifaire contre la flambée des coûts de l’énergie.

Lire aussi : Pénibilité, radioactivité... Le nucléaire manque d’arguments pour recruter

Cette décision fait désordre, alors même que le gouvernement entend relancer la filière nucléaire avec la construction d’au moins six EPR2 et le développement de petits réacteurs modulaires. Et a lancé pour cela une campagne de promotion des métiers du nucléaire, pour atteindre 10 000 à 15 000 embauches par an d’ici 2030. En fin de semaine prochaine, le Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire (Gifen) doit livrer à l’exécutif une étude faisant l’état des lieux de l’emploi dans la filière. Cette dernière doit aider l’Université des métiers du nucléaire (UNM) à élaborer un plan d’action pour la formation et l’embauche. Lequel sera complété d’un audit externe, également commandé par le gouvernement.

Pression ministérielle

À plus court terme, les embauches devaient permettre de remettre le parc existant d’aplomb. Jeudi 13 avril, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a mis la pression à EDF pour qu’il retrouve une production nucléaire de 380 TWh (son niveau de production de 2019) d’ici 2030, en augmentant la puissance des réacteurs existants, en achevant le chantier de l’EPR de Flamanville et, surtout, en respectant ses calendriers de maintenance — un programme qui nécessite des compétences.

La centrale nucléaire du Bugey, dans l’Ain. Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0/Spiritrespect

Contacté par Reporterre, le ministère de la Transition énergétique a mollement réagi à l’annonce d’un moratoire : « Il revient au management de l’entreprise d’organiser sa politique de recrutement en 2023, et plus largement l’allocation de ses ressources, en fonction des missions prioritaires de l’entreprise, dont la relance du nucléaire dans laquelle elle joue un rôle central », a-t-il écrit. Tout en rappelant que « la priorité confiée au nouveau PDG d’EDF [était] de retrouver un haut niveau de production nucléaire en concentrant l’attention de l’entreprise sur ses enjeux opérationnels et la reconquête de sa performance industrielle ».

« Du grand n’importe quoi »

Côté syndicats, les réactions ont été plus épidermiques. « C’est du grand n’importe quoi, s’est exclamé Alain André, ingénieur à EDF et secrétaire général de la Fédération FO Énergie et Mines (FNEM-FO). L’annonce n’est pas en adéquation avec l’objectif fixé par l’État d’augmenter la production nucléaire de 30 %, ni avec le rendez-vous de la France avec la transition écologique. » Pour le syndicaliste, l’argument financier ne tient pas. « EDF va mal, donc on coupe la lumière ? Impossible. L’électricité est un besoin de première nécessité pour les citoyens, les foyers, les petits artisans, la grande industrie. »

Pour Julien Lambert, secrétaire fédéral de la FNME-CGT, cette décision est le signe d’un bras de fer engagé avec l’État sur la question des moyens. « On attend la réforme du marché européen de l’électricité, la nationalisation d’EDF et la prochaine loi Énergie Climat qui doit définir des objectifs de long terme, analyse le représentant syndical. L’entreprise attend de voir quel sera son plan de charge. » Mais geler les embauches n’est pas pour autant une solution. « Il faut éviter de reproduire les erreurs du passé, mises en évidence dans le rapport sur la perte de souveraineté énergétique de la France. On a besoin d’embaucher pour construire les compétences de demain et des gens opérationnels le plus rapidement possible. »

M. André a toutefois tenu à relativiser la portée du moratoire, « qui pourrait ne pas dépasser quelques semaines ». Une réunion des politiques sociales, au cours de laquelle devraient être abordées les questions de recrutement, est prévue la semaine prochaine, a indiqué M. Lambert.

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