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Climat

Enfouir le CO2 pour s’en débarrasser ? Bonne idée, mais ça ne marche pas

Une ONG étasunienne a sorti un rapport sur les champs gaziers d’Equinor à Sleipner et Snøhvit. L'entreprise y capture et y stocke du CO2.

Présentés comme des modèles de capture du CO2, les sites de stockage de carbone à Sleipner et Snøhvit, en Norvège, ne se sont pourtant jamais comportés comme prévu, révèle un rapport technique.

Pour éviter le pire en matière de climat, il faudra, outre réduire nos émissions de CO2, éviter qu’une partie d’entre elles se retrouve dans l’atmosphère. Dans son dernier rapport de synthèse paru en 2021, le Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) l’a écrit noir sur blanc : « Certaines émissions difficiles à réduire subsistent (dans l’agriculture, l’aviation, le transport maritime et l’industrie notamment) et devraient être contrebalancées par des méthodes d’élimination du dioxyde de carbone pour parvenir à un niveau nul d’émission de CO2 ». Et cela passera forcément, pour l’institution, par des techniques de « Carbon capture and storage » (CSS) — alias Capture et séquestration du carbone (CSC). Au vu de nos compétences et connaissances actuelles, celles-ci reviennent à injecter le dioxyde de carbone dans le sous-sol.

En Norvège, la compagnie nationale d’hydrocarbures Equinor s’y adonne depuis presque quarante ans. Souvent érigée en modèle du genre, elle a séquestré à ce jour 22 millions de tonnes de CO2 sous le plancher de l’océan. Selon l’IEEFA (Institute for Energy Economics and Financial Analysis), ces chiffres faramineux sont loin d’être une bonne nouvelle.

Lire aussi : La capture du carbone sert à extraire… du pétrole

Cette ONG étasunienne vient de passer au peigne fin toute la littérature publiée sur les champs gaziers d’Equinor à Sleipner et Snøhvit. En effet, peu de sites ont fait l’objet d’autant d’études scientifiques — notamment pour ce qui concerne leurs risques sismiques. Résultat de cette plongée d’IEEFA dans le passé d’Eqinor (ex-Statoil) : un rapport d’une soixantaine de pages qui sonne comme une mise en garde dans un contexte d’inflation notable du nombre de projets de capture et stockage du CO2.

La plateforme de Sleipner extrait du méthane. En Norvège, la compagnie nationale d’hydrocarbures Equinor pratique la capture et le stockage de dioxyde de carbone depuis presque quarante ans. Øyvind Gravås and Bo B. Randulff / © Equinor

Située en mer du Nord, la plateforme offshore de Sleipner extrait du gaz naturel des gisements depuis 1996. Dès cette date, l’exploitant a isolé la plus grande partie du CO2 qu’il contient grâce à des composés organiques qui ont la propriété de fixer les molécules de dioxyde de carbone. Plutôt que d’être relargué dans l’air, celui-ci est ensuite réinjecté dans un aquifère salin, une couche géologique à 1 100 mètres de profondeur, dans une région soigneusement cartographiée et modélisée en 3D. Mais au bout de trois ans, le gaz migre d’environ 300 mètres vers la surface jusqu’à une couche géologique, numérotée 9, que les géologues n’avaient... jamais identifiée. Par bonheur, cette formation rocheuse épaisse s’est montrée étanche, mais sa résistance sur le long terme reste inconnue.

Une quarantaine de sites dans le monde pratiquent déjà la CSC

À quelque 2 000 kilomètres de distance, en mer de Barents, l’extraction du gisement gazier de Snøhvit a, lui, démarré en 2008. Là encore, la fraction de CO2 mélangée naturellement au méthane est réinjectée à 2 600 mètres de profondeur, sous une forme mi-gazeuse mi-liquide (on parle d’état supercritique) lui permettant de pénétrer la roche. Dès 2010 pourtant, la pression souterraine atteignait une cote d’alerte ; la roche n’était pas assez poreuse pour que le CO2 s’y insinue et les capacités de stockage estimées à dix-huit années de production ont été saturées en… deux ans seulement. Un deuxième forage, puis un troisième ont été nécessaires, pour un surcoût de plusieurs centaines de millions de dollars.

Conclusion du rapport : « Les cas norvégiens démontrent que chaque projet de stockage présente une géologie unique ; que les performances d’un site peuvent changer avec le temps ; et qu’une haute qualité dans la surveillance et l’éventuelle réponse en termes d’ingénierie est une exigence constante. » Prévoir des budgets et des équipes est donc indispensable, même longtemps après que les opérations de stockage ont pris fin.

Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), une quarantaine de sites dans le monde pratiquent déjà la CSC, conduisant à la neutralisation de 45 millions de tonnes de CO2 par an. D’ici 2030, une cinquantaine de projets supplémentaires, dont plusieurs bien plus imposants qu’en Norvège, dans des régions (Malaisie, Indonésie…) soumises à des législations moins contraignantes, pourraient multiplier ce volume par trois. Ce qui resterait encore très insuffisant : pour parvenir à un objectif d’émissions nulles en 2050, l’AIE estime qu’il faudrait faire disparaître chaque année 1,2 milliard de tonnes de CO2. Insuffisant et très incertain, donc, comme le montre le rapport d’IEEFA.

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