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Culture et idées

Face à l’urgence climatique, la voie de la permaculture

Dans l'« Oasis Kerlanic », en Bretagne, les résidents vivent en autonomie et en adéquation avec la nature, en pratiquant notamment la permaculture. Ici, en 2017.

Nos ressources seront un jour épuisées. Comment y faire face ? En suivant les fondements de la permaculture, théorise David Holmgren : être plus autonome et se passer des services centraux.

La planète se réchauffe et le pétrole se fait rare : partant de ce constat, qui n’est pas des plus optimistes, il n’y aurait, à en croire un ingénieur qui a le vent en poupe ces mois-ci, pas trente-six solutions. Dans Un monde sans fin, succès éditorial (plus de 600 000 exemplaires vendus) mis en dessins par Christophe Blain, le polytechnicien Jean-Marc Jancovici explique que la situation actuelle nous force à considérer l’option nucléaire comme un parachute pour amortir la descente énergétique. Et qu’il n’y a pas d’autre scénario possible. Une assertion — discutée — qui mériterait d’être mise en balance avec des livres comme Comment s’orienter ? Permaculture et descente énergétique (Wildproject, 2023), de David Holmgren.

Le père de la permaculture y explore différents scénarios débarrassés du carcan de la pensée de l’ingénieur. Si la réflexion systémique que développe Holmgren part de la permaculture, c’est parce qu’il ne s’agit pas que d’un ensemble de bonnes pratiques pour mieux faire pousser ses tomates, mais de la pierre de voûte d’un édifice politique qui essaie de se constituer comme alternative crédible au modèle techno-industriel.

L’aventure d’Holmgren commence en 1978 avec le livre Permaculture One, un mémoire de master transformé en livre de référence grâce à l’appui de son professeur de l’époque, Bill Mollison. Le concept de permaculture, qui désigne alors « un système évolutif et intégré d’autoperpétuation d’espèces végétales et animales utiles à l’homme », fait mouche, et crée de nombreux adeptes à travers le globe. Mais si Mollison en devient le porte-voix et multiplie les interventions publiques, David Holmgren continue son chemin plus prosaïquement dans sa ferme de Melliodora, dans son Australie natale, où il répartit son temps entre les champs et la bibliothèque.

En 2008, Holmgren publie Future Scenarios. How communities can adapt to peak oil and climate change, matière centrale du livre proposé cette année en français par Wildproject. Holmgren y dessine quatre scénarios pour le futur, qui dépendent de deux facteurs : la vitesse du réchauffement climatique, et celle de la descente énergétique (à savoir, la difficulté que nous aurons à nous procurer de l’énergie). Ces scénarios ne sont pas mutuellement exclusifs : Holmgren prévient qu’une situation peut se produire dans une certaine partie du monde tandis que l’exact inverse se produirait de l’autre côté d’une frontière ou d’un océan.

« Des intendants de la Terre »

Un premier scénario est celui qu’il appelle « Green Tech » : il se place dans un cadre où le changement climatique, tout comme le déclin du pétrole, seraient légers et supportables. C’est le scénario « le plus bénin » dans la mesure où il laisse une marge de manœuvre assez confortable au système industriel pour réduire ses conséquences sur l’environnement et développer des technologies plus efficaces pour faire une transition énergétique. Malheureusement, comme il l’a lui-même signalé depuis, ce futur à base de panneaux solaires et d’éoliennes semble de moins en moins probable.

À l’extrême inverse, un second scénario, celui d’une descente énergétique rapide et d’un changement climatique rapide, nous précipiterait vers un monde de « canots de sauvetage ». On trouve ici une situation à la Mad Max avec « vagues successives de famine et de maladies », « bandes de nomades » et autres réjouissances.

Un troisième scénario est intermédiaire : on n’a plus de pétrole, mais le réchauffement climatique est moins pire que prévu. Ce scénario laisse le temps aux sociétés de s’adapter, de développer de nouveaux modèles agricoles et de travailler à une « reconstruction par le bas » en devenant des « intendants de la Terre » (Earth Stewards). Les populations quittent les villes, et « on observe une révolution culturelle et spirituelle à mesure que les populations s’affranchissent de la foire d’empoigne » qui les caractérisait.

La permaculture, explique Holmgren, n’est que la pierre de voûte d’un système plus global. Flickr/CC BY-NC-SA 2.0/Michèle Turbin

Arrive enfin le dernier scénario, celui que Holmgren voit se matérialiser aujourd’hui : c’est le monde des Brown Tech, qui se caractérise par un changement climatique rapide (comme c’est le cas actuellement) et une descente énergétique lente, permise notamment par l’exploitation de gisements de pétrole non conventionnel, la combustion de schistes bitumineux ou le recours croissant au gaz naturel liquéfié (GNL).

Holmgren le voit caractérisé par plusieurs éléments : une « tension systémique entre des centres fortifiés et des périphéries à l’abandon », « des technologies de pointe [qui] entretiennent la promesse constante d’un futur meilleur mais l’essentiel de l’investissement dans la récolte d’énergie accélère le réchauffement climatique », ou encore « la tendance des entreprises et des gouvernements aux investissements massifs et centralisés, qu’on observe dans les systèmes existants, [et qui] donne la priorité à l’extraction de plus d’énergie à partir de ressources non renouvelables et de moindre qualité (comme les sables bitumineux, le charbon et l’uranium) ».

En conséquence de quoi Holmgren entrevoit des « limitations imposées depuis le haut », sur le mode d’une « réponse tardive mais puissante (type état d’urgence) au changement climatique, dans un contexte de crise ».

Cultiver les réponses alternatives

Si ce scénario a été esquissé il y a une quinzaine d’années maintenant, c’est l’épisode pandémique qui a persuadé Holmgren que c’était celui qui était en train de se réaliser sur la majeure partie de la planète. Holmgren a identifié dans les réponses à la pandémie plusieurs des éléments clefs de son scénario Brown Tech. Il fait le constat que « la réponse à la pandémie [...] s’emploie à aspirer les gens vers un niveau supérieur de dépendance vis-à-vis des systèmes techno-industriels », au détriment de leur « vie privée ».

Or pour lui, les fondements politiques de la permaculture devraient inviter à se méfier de toute solution généralisée — comme le confinement général et durable qu’a connu l’Australie — pour préférer des actions localisées. Les « permies » (les adeptes de la permaculture) sont par définition aux marges du système industriel ; et « ceux qui, pour une raison ou pour une autre, sont profondément sceptiques à l’égard du système auront par principe tendance à résister au contrôle et à en supporter les conséquences ».

Des fermes semi-urbaines pourraient tirer profit de la pluralité des profils de ses habitants

Ces prises de position lui ont valu un certain nombre d’inimitiés de la part de la communauté des permaculteurs. Ce à quoi le fondateur du courant répond que « l’un des grands dangers du scénario Brown Tech est la diabolisation des groupes marginaux comme cause prétendue des problèmes dont souffre la majorité », attitude à laquelle il faudrait préférer la « tolérance de la pluralité », pilier théorique de la permaculture.

Surtout, si ces réflexions s’appliquent à la crise sanitaire, Holmgren y analyse en creux « la crise de descente énergétique plus globale pour laquelle la permaculture fut conçue dès l’origine (et que la plupart des permaculteurs désignent sous le nom d’“urgence climatique”) [et qui] réclame en tout cas ces réponses alternatives dans les marges ». Dans Comment s’orienter, Holmgren propose quelques-unes de ces réponses alternatives, fondées autour d’une idée directrice : « Devenir plus autonome sur les plans individuel et collectif, et se passer des services centraux ».

Holmgren imagine comment des fermes semi-urbaines pourraient se constituer et tirer profit de la pluralité des profils de ses habitants, avec certains membres de ces « maisonnées » travaillant aux champs, d’autres œuvrant sur internet, et la plupart se répartissant entre ces deux activités selon les besoins. Pour Holmgren, ce n’est qu’en prenant soin de cultiver cette diversité et de varier les profils et les solutions que l’on pourra fonder un modèle de société durable et soutenable. Tout l’inverse, donc, de l’idée qu’il n’y aurait « pas d’alternative » autre que la fuite en avant technologique.

Comment s’orienter ? Permaculture et descente énergétique, de David Holmgren, aux éditions Wildproject, février 2023, 250 p., 22 euros.

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