Flora Artzner, ingénieure devenue championne écolo

Pour limiter ses déplacements en avion, Flora Artzner a décidé de ne pas participer à toutes les épreuves des prochains championnats du monde de wingfoil. Ici sur la plage de l'Almanarre à Hyères, fin février 2023. - © Maïté Baldi / Reporterre
Championne du monde de « wingfoil », un sport de glisse en mer, Flora Artzner a l’écologie chevillée au corps. Elle veut secouer le monde du sport en proposant des compétitions plus sobres.
Hyères (Var), reportage
De la plage de l’Almanarre, à Hyères, depuis le tombolo où nous sommes perchés, elle est comme un papillon vert fluo qui virevolte au-dessus des flots. Après un virage sur l’aile, sa silhouette se révèle, enveloppée dans une combinaison noire. Elle est dans son élément, et quand elle pose ses pieds sur les alluvions de sable et de petits galets, sa jubilation est palpable : elle vient de regarder la grande bleue au fond des yeux. Elle reviendra s’entraîner demain, et après-demain.
Elle, c’est Flora Artzner, 30 ans, championne du monde de « wingfoil », dernier né des sports de glisse, à la croisée de la planche à voile et du kitesurf. Des gouttes perlent encore sur son visage quand elle nous présente son attirail : le wingfoil se pratique sur une planche, surélevée par « le foil », un appendice en aluminium ou en carbone, qui fait entrer les riders dans une sorte de lévitation. Sans oublier la grande aile gonflable qu’elle tient à la main. En pratique, dans ses mots, ça donne : « Une danse avec la houle et le vent », « un ressenti dingue, incomparable, à la fois doux et puissant ».

Limiter l’avion
Faisant corps avec les éléments, la championne du monde a pris une grande décision pour cette saison. Elle ne remettra pas en jeu son titre. En effet, pour cette compétition, le nombre d’étapes (et donc de pays traversés) a explosé : il est passé de cinq à douze. « C’est un vrai coup dur, ça veut dire toujours plus de déplacements. » Elle a donc décidé de ne participer qu’à quatre épreuves, pour limiter l’avion.

De l’intérieur, elle tente aussi de faire bouger les choses : élue représentante des riders, elle s’implique activement « pour plus d’écoresponsabilité et d’égalité ». Elle a ainsi lutté avec succès pour que les prix des gagnants soient les mêmes entre les femmes et les hommes.
Pour « apporter un autre récit », et emmener la communauté de riders avec elle, la Hyéroise a aussi fondé la Roca Cup, un événement convivial gratuit qui allie « des valeurs sportives, environnementales, sociales, artistiques et de partage ». Sa deuxième édition se déroule du 14 au 17 avril, à l’Almanarre. Pendant que les plus grands athlètes du circuit et des amateurs s’y retrouveront pour des épreuves mixtes, des associations écologistes proposeront des ateliers de sensibilisation à la pollution, du Do It Yourself ou encore de recyclage. « Ce n’est pas encore une révolution écolo, mais c’est déjà quelque chose de grand, qui permet de mettre l’écologie à la mode », se réjouit-elle.

Il y a peu, elle était encore ingénieure à temps plein et œuvrait à la protection des milieux marins depuis Tahiti, Saint-Barthélemy et enfin la côte varoise, qu’elle ne pouvait quitter trop longtemps. Ayant travaillé pour l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) ou encore l’ONG Pew, la question écologique l’a toujours titillée.
Mais l’associer à une carrière sportive reste délicat. La sportive tâtonne, en quête de la formule juste. Elle ne veut heurter personne. « Dans le monde de la glisse, il est difficile d’éviter une certaine injonction au “kiff” permanent, explique-t-elle, prudente. L’an dernier, pour les étapes de la Coupe du monde, on est allés au Brésil, aux Canaries... Et sur nos réseaux sociaux, on véhicule l’idée que pour être “in”, il faut voyager. »
« J’en ai marre de faire comme si de rien n’était dans un monde qui s’effondre »
Résultat : « Il existe une vraie dissonance entre mes convictions, et ce que je suis poussée à faire pour réussir dans ce milieu ». Cet hiver, par exemple, sa préparation n’a pas été optimale : « J’aurais dû partir dans un endroit où il y avait du vent. Mais ce n’est pas mon schéma, alors je suis restée à Hyères. J’en ai marre de devoir être “good vibes only”, de faire comme si de rien n’était dans un monde qui s’effondre. » Ces choix longuement pesés, ils ont fini par s’imposer, pour ne pas nourrir un malaise grandissant.
Son amie d’enfance Jill Madelenat nous avait prévenus : elle tire cette « angoisse », face au désastre écologique, de son attachement « viscéral » à la mer qui l’a vue grandir. Sur la petite plage du Port Hélène, où la championne nous a donnés rendez-vous, c’est saisissant. Son regard s’accroche sans cesse à la mer, avide de vagues. Même sa tenue, lorsqu’elle troque sa combinaison, est en harmonie avec le panorama : elle est beige, comme la posidonie, la plante endémique de la Méditerranée qui recouvre le sable.

« Si on continue de faire n’importe quoi, il va disparaître »
« Squitch, squitch. » Nos chaussures s’enfoncent dans l’épaisse banquette de posidonie mouillée. Flora, pieds nus, s’en délecte : « Petite, j’adorais faire la course dessus, parce que ça rebondit. » D’autres diront qu’en se décomposant, la posidonie sent l’œuf pourri et qu’ils aimeraient ainsi la chasser des plages. Pas la Hyéroise, pour qui c’est une amie chère : « En retenant le sable, elle empêche l’érosion des plages et freine les vagues. Elle grouille aussi de toute une vie qui s’y abrite et s’y alimente. »

La posidonie n’a jamais été loin dans la vie de Flora Artzner. Elle a passé toute son enfance à Carqueiranne, dont on aperçoit les premières maisons. Sa famille a été « un terreau tourné vers la nature » : ses parents lui ont transmis l’amour des sports en plein air, et le virus de la glisse. Sa marraine est guide de montagne dans le Vercors. Petite, elle lisait L’homme qui plantait des arbres, de Jean Giono. « Une œuvre toute simple, toute belle. » Adolescente, en soirée, elle s’endormait parfois à même le sable, et débarquait au lycée avec des petits cailloux dans les cheveux. Étudiante ou ingénieure, elle finissait toujours par revenir.

C’est ici même qu’à l’été 2020, sa vie a pris un tournant inattendu. Elle venait de rentrer, définitivement, et poussée par des amis, elle a essayé le wingfoil. « J’étais sceptique, et ça s’est transformé en gros coup de cœur », se remémore la jeune femme. L’expérience a un goût de reviens-y. Elle s’est déniché du matériel d’occasion, l’a empilé dans sa camionnette et est partie s’entraîner même « au milieu des journées de boulot, entre midi et deux ». À dix minutes de chez elle, le spot qui s’offre à elle est séduisant : l’Almanarre, le cordon littoral reliant la presqu’île de Giens au continent, est à quelques enjambées des salins où barbotent de nombreux oiseaux sauvages, en particulier des flamants roses. « Si on continue de faire n’importe quoi, il va disparaître », prévient-elle.
Dans un coin de sa tête, la championne mûrit ainsi un projet plus grand : « Amorcer un vaste mouvement de sportifs qui se rassemblent et disent “On va dans le mur et on n’est pas OK, il n’y aura pas de Jeux olympiques possibles sur une planète brûlée”. Dans notre société du divertissement, qui accorde plus de crédit à un sportif qu’à un scientifique, ce serait fort. »