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EntretienClimat

Fonte des glaciers : « Une fois atteint le point de bascule, il sera trop tard »

Un glaciologue montre à des étudiants l'ampleur du réchauffement climatique sur le glacier des Oulettes de Gaube, dans les Pyrénées.

Des glaciers classés au patrimoine mondial de l’Unesco vont disparaître en cascade, alerte l’institution dans une étude. L’océanographe Julie Deshayes détaille les conséquences de ces fontes.

D’ici 2050, les glaciers du Mont Perdu dans les Pyrénées ou des Dolomites en Italie auront disparu. Même sort pour ceux des parcs nationaux de Yellowstone et de Yosemite aux États-Unis. Dans moins de trente ans, un tiers des quelque 18 600 glaciers emblématiques — situés sur un site classé au patrimoine mondial de l’Unesco — auront très probablement fondu.

« Ils perdent actuellement 58 milliards de tonnes de glace chaque année, soit l’équivalent de la consommation annuelle d’eau combinée de la France et de l’Espagne », alerte l’Unesco qui a mené une étude avec l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Pour comprendre les effets directs et indirects de cette fonte des glaciers, nous avons interrogé Julie Deshayes, chercheuse au Laboratoire d’océanographie et du climat du Centre national de recherche scientifique (CNRS).


Quelles sont les conséquences de la fonte des glaciers au niveau local ?

Un glacier est un élément structurant pour tout un écosystème, et quand il disparaît, c’est tout l’écosystème qui doit s’adapter. Certaines communautés sont très fortement liées à l’existence des glaciers, et vont devoir changer leurs pratiques parce que les glaciers ne seront plus là. Le rapport de l’Unesco montre très bien l’impact immédiat sur les sociétés humaines. Il fournit des exemples de l’importance culturelle et spirituelle considérable des glaciers pour de nombreux peuples autochtones et communautés locales, à l’exemple du glacier Kā Roimata ō Hine Hukatere (les larmes de Hine Hukatere) en Nouvelle-Zélande, qui serait né des larmes d’un demi-dieu maori, ou encore du festival des étoiles de neige, dans les Andes péruviennes, où des milliers de pèlerins rendent chaque année hommage au glacier local considéré comme sacré.



La fonte d’un glacier a-t-elle des conséquences sur le climat lui-même ?

L’élément central qui explique les conséquences de la fonte des glaciers pour le climat, c’est l’albédo. L’albédo est la capacité d’une surface à refléter, en fonction de sa couleur, les rayons incidents du soleil. La surface claire des glaciers permet de refléter les rayonnements vers l’espace, comme un miroir. Lorsque ça fond, on aura en dessous une roche plus foncée qui, elle, va absorber les rayons du soleil, se réchauffer plus vite et finalement provoquer une rétroaction positive — autrement dit une accélération — du réchauffement climatique. La roche plus chaude va contribuer à faire fondre encore plus vite les glaciers et donc accentuer le réchauffement du climat, comme dans un cercle vicieux. C’est la même chose pour la glace de mer : quand elle fond, l’océan en dessous se réchauffe, et celui-ci va faire fondre encore plus vite la glace à côté.

Un lac glaciaire est apparu en 2018 à cause de la fonte du glacier des Bossons. © Camille Belsoeur / Reporterre

Les glaciers qui fondent, c’est aussi plus d’eau...

L’eau qui fond va ruisseler, circuler, s’évacuer et ne sera donc plus stockée. Avec la disparition des glaciers, c’est la disparition de ce stock d’eau pour les populations et la biodiversité locales. La fonte des glaciers déclenche aussi parfois des évènements très abrupts. À cause d’un effet de seuil, une grande quantité d’eau peut être relâchée très vite dans les bassins versants, et provoquer des inondations assez spectaculaires.


Dans quelle mesure cette fonte va-t-elle faire monter le niveau des océans ?

L’eau des glaciers situés aux latitudes tempérées va certes ruisseler jusqu’à la mer mais en quantité relativement négligeable. En revanche, la fonte des deux plus grands glaciers que sont l’Antarctique et le Groënland apporte, elle, un volume d’eau significatif dans les océans. Jusqu’au milieu des années 2000, on estimait que la hausse du niveau de la mer était liée essentiellement à la dilatation thermique des océans – quand l’eau est chaude, elle prend plus de place. D’après les observations du dernier rapport du Giec, la fonte des deux grands glaciers des pôles explique désormais pour moitié environ la montée du niveau des eaux.

Que faire face à ce constat ?

On ne peut pas empêcher un glacier de fondre. Pour les glaciers continentaux, on peut mettre en place des digues, des barrages, des systèmes d’alertes des populations pour prévenir les catastrophes. Pour les gros glaciers des pôles, il n’y a rien à faire, on peut juste constater à quelle vitesse ils sont en train de fondre. La seule chose qui peut permettre de ralentir ce phénomène, c’est de réduire les gaz à effets de serre le plus rapidement possible. Car lorsqu’on aura franchi le point de bascule, il sera trop tard.

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