Gauche et écologie, l’été de la gamberge

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La gauche sort des européennes complètement éclatée. Comment reconstruire une alternative politique à vocation majoritaire ? Deux événements à venir, le Big Bang de la gauche dimanche 30 juin et le Festival des idées le week-end suivant, proposent de commencer par des débats avec un large panel d’acteurs.
Les mots choisis évoquent un imaginaire voisin : « Big Bang » d’un côté, « Festival » de l’autre. Les images pour illustrer les deux événements se ressemblent également : une explosion façon comics, et une aquarelle de couleurs évoquant un feu d’artifice. Le premier veut « briser les murs » entre les différentes forces à gauche. Le second propose de les « tomber ». Enfin, le but affiché est proche : susciter un projet alternatif et fédérateur au duel Macron-Le Pen, République en marche contre Rassemblement national. Alors que la chaleur annonce le début de l’été et l’imminence des vacances, deux événements comptent amorcer une réflexion et un rassemblement des forces de gauche avant les grands départs.
Côté gauche radicale, d’abord, dimanche 30 juin au cirque Romanès, à Paris, le « Big Bang de la gauche » sera lancé par la députée insoumise Clémentine Autain et sa collègue communiste Elsa Faucillon. « La situation politique est catastrophique. Au lendemain des élections européennes, le bon résultat de l’écologie politique ne peut masquer le fait que la gauche est en miettes », constatent-elles dans un appel signé par déjà plus de 4.000 personnes, dont l’historienne Mathilde Larrère, la porte-parole d’Attac Aurélie Trouvé, le politologue Gaël Brustier, l’écrivain François Bégaudeau, etc.
Écrire ensemble un « Manifeste de notre horizon commun »
Le programme mélange des interventions de responsables politiques, syndicaux, de militants écolos, des quartiers, d’associations, d’intellectuels. « L’urgence nous oblige », insiste l’appel. « Les valeurs de gauche — la justice sociale, la solidarité, les libertés civiles et publiques — et l’idée qu’une alternative au duo-duel Macron-Le Pen existe, peuvent disparaître », alerte Elsa Faucillon. « Le but est d’abord de se parler, de trouver un espace où les questions politiques ne sont pas discutées par les seuls chefs des organisations. Je souhaite que des initiatives comme celle de dimanche au cirque Romanès, il y en ait partout dans le pays. »
Même démarche côté gauche socialiste pour l’ex-député frondeur Christian Paul, à l’origine du Festival des idées avec l’éditorialiste d’Alternatives économiques Guillaume Duval. L’événement se déroulera pendant trois jours, du 5 au 7 juillet, à La Charité-sur-Loire, dans la Nièvre, fief de Christian Paul. « À l’heure où les périls montent, où la politique est en panne, il y a urgence à faire la démonstration de la vitalité des idées, pour refuser la fatalité d’une société qui court à la catastrophe démocratique, sociale et écologique », proclame l’appel signé lui aussi par de multiples personnalités.
Les médias partenaires vont de L’Obs à Bastamag en passant par Libération et Mediapart. Certains intervenants le seront aussi au Big Bang, telle Clémentine Autain. Politiques, intellectuels, associatifs, militants et journalistes et citoyens sont là aussi invités à débattre, pour écrire ensemble un « Manifeste de notre horizon commun ».

Le diagnostic de la panne et ses explications semblent mettre tout le monde d’accord. « L’ère Hollande a laminé la gauche », dit Clémentine Autain. Guillaume Duval se fait plus précis : « Le quinquennat de François Hollande, l’action de Manuel Valls ont évidemment joué un rôle important, mais la coupure avec les couches populaires est ancienne, ainsi que la dérive de la gauche de gouvernement vers le social-libéralisme. »
Même les nombreux mouvements sociaux des derniers mois n’ont pas inversé la tendance. « Un fossé se creuse entre les espaces social et politique, observe Elsa Faucillon. Le mouvement des Gilets jaunes et la mobilisation des jeunes pour le climat ne se traduisent pas par un mouvement fort en direction de la gauche écologiste. » « Les syndicats sont eux aussi dans une crise profonde, ajoute Guillaume Duval. Il n’existe plus guère aujourd’hui de corps intermédiaires crédibles pour représenter les couches populaires ou les jeunes. C’est ça, le problème, pas seulement celui des partis. »
« Ces deux démarches visent à régénérer une gauche atomisée et défaite idéologiquement en plaçant la recomposition nécessaire sur le terrain des idées, analyse le chercheur en sciences politiques Rémi Lefebvre. C’est une démarche assez classique en période de crise de la gauche. »
Reconquérir une hégémonie culturelle
Reste à trouver le remède. Les deux initiatives tentent difficilement d’assembler quelques ingrédients. Premier écueil, les organisateurs se défendent de vouloir retenter, une nouvelle fois, l’union de la gauche. « Les partis politiques n’ont pas aujourd’hui la surface et la force suffisante pour qu’un simple cartel électoral dégage une solution », dit Clémentine Autain. « C’est tout un bloc social qu’il faut reconstruire, une hégémonie culturelle qu’il faut reconquérir en rénovant les idées et les projets, en agrégeant de nouveau des intellectuels, des militants associatifs, syndicaux », confirme le journaliste Guillaume Duval. Il s’agit aussi de tirer les leçons de la défiance grandissante à l’égard de la politique institutionnelle. Christian Paul remarque « une panne plus générale de la politique, dont la gauche n’a pas l’exclusivité ». D’autant que « dès que l’on met le doigt dans une stratégie d’union de la gauche, il faut dispenser des brevets de qui est de gauche, qui ne l’est pas », averti Julien Bayou, porte-parole d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), qui interviendra au Festival des idées. « Et puis, à quoi sert une union de la gauche si c’est pour voter ensuite des choses différentes ? Au Parlement européen, les socialistes ont soutenu le secret des affaires et les traités commerciaux », rappelle-t-il à ses collègues.
Autre débat, donc, l’articulation de l’écologie et de la gauche. « L’écologie est le plus mobilisateur de ces nouveaux horizons, à cause de l’urgence climatique », estime le socialiste Christian Paul. Fort de son score aux européennes, EELV prend de l’assurance. « On ne dit pas qu’EELV doit être devant, mais nous sommes pour un leadership de l’écologie », dit Julien Bayou. « Je ne crois pas que le terme de gauche soit très porteur dans les années qui viennent, pour nous la question maintenant c’est “est-on ou pas pour le productivisme”. L’enjeu n’est pas de réinventer le mot gauche, mais de proposer un avenir au pays. »

« On est bien d’accord sur le fait que la gauche doit rompre avec le productivisme », dit Guillaume Balas, coordinateur de Générations, qui participera aux deux événements. « Mais on peut être antiproductiviste et contre les valeurs fondamentales de la gauche, telles que l’égalité, la défense des libertés collectives et individuelles. Donc, il faut bien affirmer qu’il n’y a pas d’écologie sans répartition des richesses et sans un fonctionnement démocratique. » Elsa Faucillon aussi aimerait préciser les contours : « L’écologie doit être centrale, mais je pense que sur les questions liées à la croissance, à la production, au mode de vie, au travail, au rapport au marché, certaines choses ne sont pas complètement réglées au sein d’EELV et doivent être tranchées. » Rémi Lefebvre résume ces questionnements en deux points : « Tout d’abord, le productivisme reste un logiciel central à gauche. Et ensuite, il faut se demander comment reconstruire un électorat populaire avec cette question, qui les touche assez peu. »
Les élections en ligne d’horizon
Autre difficulté enfin, il risque de manquer dans l’amalgame une composante importante : la France insoumise (FI). L’initiative de Clémentine Autain n’y a pas été bien perçue. « Dire qu’aujourd’hui, il y a tout à reconstruire, c’est inexact, estime Éric Coquerel, député FI. La situation est un peu meilleure qu’il y a quatre ans, la France insoumise a levé l’hypothèque du Parti socialiste sur la gauche progressiste. Les différentes personnalités de gauche devraient plutôt se demander comment travailler avec nous plutôt que de dire qu’il faut tout reconstruire. » Il reconnaît par ailleurs qu’après la déception du score aux élections européennes, « le mouvement peut évoluer, mais cela peut se passer en dedans ». « Une réforme interne ne suffira pas à répondre à l’urgence du pays, on n’y arrivera pas seuls », estime de son côté Clémentine Autain. Elsa Faucillon constate elle que « ce mouvement [FI] qui prétendait au départ pouvoir agréger plusieurs sensibilités a du mal à faire vivre une pluralité. »
Si la bonne formule existe, elle émergera sans doute du terrain. Car les politiques participant au Big Bang et au Festival des idées ont aussi en tête les élections à venir. Les municipales pourraient être un premier test. Elles offrent à la fois la possibilité d’agréger des mouvements citoyens constitués en dehors des partis, et de tester des alliances locales. « Chez EELV, nous avons voté que nous ne voulions pas d’alliance avec la droite et que nous ne soutenions que des projets écolos, indique Julien Bayou. La politique du gouvernement nous indique que La République en marche n’est pas écolo et qu’elle est de droite. » Le PS a également annoncé qu’il ne soutiendrait pas de tête de liste appartenant à la majorité. La France insoumise souhaite, elle, encourager les listes citoyennes et l’autoorganisation des citoyens.
Au-delà, au Festival des idées, on ne se cache pas d’avoir 2022 en ligne de mire. L’an prochain, en 2020, le but de la deuxième édition sera d’élaborer une « plateforme » en vue de la présidentielle. Le Big Bang, lui, mise plutôt sur la multiplication des débats partout en France sur, notamment, « la démocratie, l’écologie et le travail », indique Elsa Faucillon. Tout le monde tâtonne, sait que le chemin est encore long.
« La proposition est “parlons des idées, on verra le reste après”. Mais la question des appareils sera quand même incontournable. Idéologiquement, beaucoup de composantes de la gauche sont très proches, et donc, c’est moins une question d’idées que de patriotisme de parti et d’appareil », dit Rémi Lefebvre.