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EntretienMonde

Gérard Onesta : « En Catalogne, le gouvernement espagnol a bafoué les droits fondamentaux »

Les observateurs internationaux du scrutin catalan ont fustigé le gouvernement espagnol pour son attitude et les violences policières. L’un des observateurs, Gérard Onesta, élu écologiste d’Occitanie, raconte à Reporterre ce qu’il a vu et comment il imagine l’évolution de cette situation très incertaine.

Élu écologiste de la région Occitanie, Gérard Onesta est à Barcelone depuis une semaine comme observateur international du scrutin pour l’indépendance de la Catalogne.

Gérard Onesta.

Reporterre — Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans ce que vous vivez depuis une semaine en Catalogne ?

Gérard Onesta — Je ne suis pas sorti humainement indemne de la journée de dimanche, où des millions de personnes ont été terrorisées toute la journée. Il y a des images, celles des violences de la Guardia Civil, mais d’autres aussi, comme cette petite vieille rencontrée dans un bureau serrant une urne comme si c’était un trésor précieux, et qui m’explique qu’elle a voté non à l’indépendance, mais que l’important, c’est de pouvoir voter. Il y a des bruits, comme ces centaines de personnes dans les rues clamant en cadence « Nous sommes un peuple pacifique ». Il n’y a pas eu une vitrine cassée. Il y a des silences, comme lors du match du Barça [le club de football de la ville de Barcelone] dimanche devant des tribunes vides. Le soir du scrutin, la délégation d’observateurs était unanime, ce qui est exceptionnel : conservateur britannique, ultralibéral scandinave ou écologiste occitan, nous étions d’accord pour saluer l’esprit civique et la non-violence du peuple catalan, et fustiger le gouvernement espagnol qui a bafoué les droits fondamentaux.

Dimanche 1er octobre, à Barcelone.

Car oui, les gens ont été empêchés d’aller voter. Avant, par la destruction des bulletins, par la convocation devant la justice de 700 maires, par les menaces à l’encontre de fonctionnaires catalans. Pendant, par un brouillage informatique par des hackers madrilènes des bases de données permettant de vérifier que les personnes ne votaient qu’une seule fois, puis par des empêchements physiques et des destructions d’urnes.

Malgré tout, le nombre de bulletins survivants est surprenant : 2,2 millions ont été sauvés, contre 700.000 perdus environ. Ce qui donne 3 millions de votants, soit plus de 50 % de participation. C’est mieux que nombre d’élections européennes ! Et un résultat clair : 90 % de votes en faveur du oui.



En tant qu’écologiste, pourquoi cette situation vous touche-t-elle ?

Avant d’être écologiste, je suis démocrate. Or, la Constitution espagnole dit clairement que le pays est composé de plusieurs régions et de plusieurs nationalités. Le texte explique également que l’État doit respecter les traités internationaux qu’il a ratifiés, dont ceux qui reconnaissent le droit à l’autodétermination. La Cour pénale internationale s’est positionnée par le passé en faveur des référendums d’autodétermination, précisant qu’il ne s’agissait pas d’actes délictueux. Ce n’est pas le peuple catalan contre la légalité espagnole. Les Catalans ont droit à l’autodétermination, dans la mesure où elle respecte un certain nombre de critères : elle doit s’appuyer sur un mouvement historique, sur une culture spécifique qui mérite d’être défendue, sur un territoire cohérent, dans le respect des droits fondamentaux et sans exclusion des minorités. C’est le cas ! Si ce vote contrarie les héritiers du franquisme qui sont au Partido Popular de Mariano Rajoy, le Premier ministre, c’est leur problème.

Ensuite, en tant qu’écologiste, je considère la diversité comme une source de vie. Je vis avec la même douleur la disparition d’une espèce vivante ou d’une culture. L’extinction d’une langue ou d’une plante constitue une négation absolue de la fibre écologiste qui est en moi et qui s’attache à défendre la vie sous toutes ses formes.

En tant qu’écologiste, je suis aussi passionnément engagé en faveur de tout ce qui est non violent. Or le peuple catalan a fait la démonstration du pacifisme le plus total.

Enfin, à partir du moment où le processus d’autodétermination voire d’indépendance se fait avec une inclusion sociale, il s’agit d’une résistance à la mondialisation. Nous avons besoin de recréer de la proximité, de la convivialité, de relocaliser nos activités et nos décisions.



Quelle sortie de crise voyez-vous ?

Le gouvernement catalan n’a pas sorti le référendum d’une pochette surprise. Cela fait plus d’un an qu’il a annoncé la couleur : en cas de participation suffisante et de résultat clair en faveur de l’indépendance, celle-ci serait déclarée 48 h après la publication des résultats. Cela aurait donc dû être aujourd’hui mercredi. Sauf que les résultats officiels se font encore attendre, au vu des difficultés rencontrées.

Mais à partir du moment où la Catalogne se déclarera indépendante, sans doute d’ici une semaine, rien ne sera résolu. C’est pourquoi lundi matin, dans les rues de Barcelone, le soulagement et la liesse se mêlaient à une grande inquiétude. Et maintenant ?

Mardi 3 octobre, à Barcelone.

Rajoy peut activer l’article 155 de la Constitution, qui permet au gouvernement central de prendre la direction d’une communauté autonome et d’en suspendre l’autonomie, mais il n’est pas certain qu’il ait la majorité au Sénat pour le faire. Dans le passé, une telle situation est arrivée deux fois : en 1714 lors de l’invasion de la Catalogne par les Bourbons, et en 1936 lors des bombardements franquistes. Et à partir de là, on ne contrôle plus rien.

Ce qui s’est passé dimanche a profondément marqué la psyché catalane. Et la véhémence de Rajoy a sans doute joué un grand rôle dans le résultat du scrutin : nombre de personnes sont allées voter en voyant l’ampleur de la répression, se disant « mieux vaut une jeune République où l’on choisira les règles du jeu que ce gouvernement corrompu qui bafoue l’État de droit ». D’une certaine manière, Rajoy a fait plus pour la Catalogne que les indépendantistes.

La seule solution, c’est une médiation internationale : l’Europe doit enfin bouger ! La Commission a été en dessous de tout, Junker a publié un communiqué qui est une bouse institutionnelle expliquant que la Catalogne serait expulsée de l’Union européenne en cas d’indépendance, alors que rien dans nos traités ne prévoit cela. L’Europe peut très bien fonctionner avec un nouveau pays, elle s’est adaptée à bien d’autres situations, ce n’est pas cela qui va la mettre en danger. C’est d’ailleurs pourquoi ça bouge au Conseil européen, sous l’impulsion des pays baltes ou de la Slovénie notamment, qui en connaissent un rayon en matière d’indépendance. Et le Parlement doit discuter du sujet cet après-midi.

Il faut discuter, faire évoluer cette Constitution espagnole écrite par les franquistes en 1976, réfléchir à de nouvelles relations entre les régions espagnoles (il pourrait y avoir des accords d’association entre la Catalogne et l’Espagne, sur l’énergie, le commerce, comme c’est le cas avec le Portugal).

J’espère que l’Europe va bouger, car les droits fondamentaux européens ont été bafoués ce dimanche, et depuis plusieurs semaines en Catalogne. Il se joue beaucoup plus que l’avenir de ce territoire. Si on parvient à montrer qu’il est possible de faire évoluer le droit et les frontières sans verser une goutte de sang, ce serait une immense avancée démocratique pour notre continent.

  • Propos recueillis par Lorène Lavocat

LELE DES OBSERVATEURS INTERNATIONAUX

Les observateurs internationaux reçus lundi 2 octobre par le ministère des Affaires étrangères de Catalogne.

Les observateurs internationaux sont invités par la puissance administrative qui organise le scrutin (dans le cas présent, la Catalogne) dans le but de veiller à son bon déroulement et à sa légitimité. Afin d’assurer sa neutralité, la délégation est extérieure au pays, plurinationale et transpartisane ; elle est composée d’experts (juristes) et d’élus. Après s’être imprégnés du contexte local par des rencontres avec les autorités, des associations, des spécialistes ou des citoyens, les observateurs vérifient que le scrutin se déroule de manière conforme aux standards internationaux. Leur compte-rendu permet de mettre en lumière les éventuels manquements ou irrégularités.

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