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Luttes

Greenpeace cible Total à La Mède contre l’importation d’huile de palme

Mardi 29 octobre, des militants de Greenpeace ont paralysé les accès à la « bioraffinerie » de Total La Mède pour dénoncer l’utilisation par la multinationale d’huile de palme, facteur majeur de déforestation, notamment en Asie du Sud-Est.

Vers 6 heures du matin, mardi 29 octobre, une cinquantaine de militants de Greenpeace ont bloqué l’entrée de la raffinerie Total de La Mède, dans les Bouches-du-Rhône, près de Marseille. Les activistes se sont attachés à des « arm locks » (bloqueurs de bras), des tubes métalliques qui rendent laborieux le déblocage par la police. Deux conteneurs oranges ont également été arrimés au sol, avec à l’intérieur des vivres, afin d’empêcher la circulation des camions. Malgré une évacuation et des interpellations menées en fin de matinée par les forces de l’ordre, treize activistes, dont cinq grimpeurs, sont parvenus à s’introduire à l’intérieur de l’usine. Ils sont restés suspendus aux cuves de carburants une bonne partie de l’après-midi. Leur motivation était inscrite sur une immense banderole : « Déforestation made in France. »

« C’est une usine qui carbure à la déforestation », a dénoncé Clément Sénéchal, chargé de campagne à Greenpeace, joint par Reporterre. Selon l’ONG, la raffinerie de La Mède, mise en service en juillet dernier, pourrait importer chaque année jusqu’à 550.000 tonnes d’huile de palme, ce qui correspondrait à une hausse de plus de 60 % du total de l’huile de palme consommée en France. Or, il s’agit d’ « une matière première qui crée mécaniquement du déboisement », rappelle M. Sénéchal. « Il y a une demande exponentielle en huile de palme, pour l’alimentaire et pour les agrocarburants, explique-t-il. La pression mondiale sur le foncier s’accroît, et il faut nécessairement aller défricher de nouvelles parcelles de forêt tropicale pour satisfaire cette demande additionnelle. »

« L’équivalent de 146 terrains de football de forêt tropicale perdus chaque heure, soit un terrain toutes les 25 secondes » 

Total s’approvisionne en Indonésie, pays qui produit la moitié de l’huile de palme mondiale… pour le plus grand malheur de ses écosystèmes. Selon les chiffres du ministère indonésien de l’Environnement, rapportés par Greenpeace, entre 2012 et 2015, « l’équivalent de 146 terrains de football de forêt tropicale ont été perdus chaque heure, soit un terrain toutes les 25 secondes ». Plusieurs espèces en danger, dont l’orang-outan, le tigre de Sumatra ou l’éléphant des forêts, vivent dans ces espaces menacés. À l’autre bout de la planète, en France, les trois quarts de l’huile de palme importée terminent dans nos voitures, incorporés dans les carburants. Ainsi, d’après l’ONG, « les agrocarburants à base d’huile de palme sont trois fois plus émetteurs que les carburants fossiles ».

Mardi 29 octobre 2019, à l’aube, les militants de Greenpeace ont bloqué l’accès à la raffinerie de Total La Mède.

Autant de raisons qui justifient, pour Greenpeace, de s’opposer à « ce haut-lieu de la déforestation importée qu’est La Mède ». Contacté par Reporterre, le service de communication de Total a répondu par un courriel renvoyant aux engagements pris par la multinationale quant à ses approvisionnements : « 100 % des huiles traitées à La Mède sont certifiées durables selon les critères exigés par l’Union européenne », indique le site de la compagnie.

Sauf que Greenpeace a enquêté sur la chaîne d’approvisionnement de la raffinerie. Résultat : l’entreprise pétrolière aurait opté pour une traçabilité minimale. « Cela signifie que l’huile de palme pouvant garantir certains critères de durabilité a pu être mélangée à des huiles de palme issues de plantations non durables, précise le rapport d’enquête publié par l’association mardi 29 octobre. La garantie de non-déforestation n’est donc pas assurée. » D’autant plus que l’ONG a identifié au moins quatre moulins où est extraite l’huile de palme utilisée par Total comme ayant « clairement participé directement à de la déforestation illégale ».

« Sans cet avantage fiscal, il n’y a aucun intérêt économique à incorporer de l’huile de palme dans les carburants » 

C’est pourquoi les associations environnementales entendent « poursuivre la bataille de La Mède », et notamment au niveau du Parlement. « On est à un moment charnière, car Total fait un lobbying d’enfer pour que les parlementaires rétablissent la niche fiscale de l’huile de palme dans le budget 2020 », souligne Clément Sénéchal. En effet, en décembre 2018, les députés ont voté l’exclusion de l’huile de palme de la liste des biocarburants exonérés de certaines taxes. « Sans cet avantage fiscal, il n’y a aucun intérêt économique à incorporer de l’huile de palme dans les carburants car cela revient plus cher que le pétrole raffiné », explique Sylvain Angerand, coordinateur de l’association Canopée et porte-parole des Amis de la Terre. Pour Total, la perte de cette niche fiscale se chiffre entre 70 et 80 millions d’euros par an. Autant dire que la multinationale n’est pas restée les bras croisés en attendant l’entrée en vigueur de la mesure, prévue pour le 1er janvier 2020. L’entreprise a contesté auprès du Conseil constitutionnel le décret d’application de cette loi, la jugeant « discriminatoire ». Un avis que n’a pas suivi le Conseil constitutionnel, le 11 octobre dernier.

Mardi 29 octobre, devant la raffinerie de Total La Mède.

Un nouveau revers donc, mais pas question pour le PDG de la multinationale, Patrick Pouillané, de baisser les bras. Dans une interview parue ce week-end dans le Journal du dimanche, il déclarait : « Notre position n’est pas de défendre l’huile de palme. Nous voulons juste être au même niveau de compétition que nos concurrents européens qui, contrairement à nous, bénéficient d’un avantage fiscal jusqu’en 2030. Donc, une solution gagnant-gagnant serait que la France arrive à convaincre ses partenaires européens de sortir plus tôt de l’huile de palme, par exemple dans cinq ans, en 2026, et non en 2030. Parallèlement, il faudrait que le Parlement français décide d’en sortir un peu plus tard, en 2026 plutôt qu’en 2020. » La multinationale pourrait tenter d’influencer les sénateurs, qui doivent voter le budget dans les prochaines semaines. Pour Sylvain Angerand, « Total doit changer son projet à La Mède, pas changer la loi » .

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