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ReportageDéchets

Grève des éboueurs : notre surconsommation mise à nu

Alors que les ordures continuent de s’agglutiner sur les trottoirs de la capitale, que pensent les habitants ? Si tous reconnaissent le problème, peu d’entre eux ont changé leurs habitudes.

Paris, reportage

Ici, des conteneurs dégueulent de déchets. Là, des sacs attendent bien alignés le long d’un immeuble. Ailleurs, un énorme amas s’étale jusque sur la rue. Partout, du plastique noir, vert, jaune, bleu ou rose… Les monceaux d’ordures qui font le siège des trottoirs parisiens depuis quinze jours ont parfois l’allure d’œuvres d’art à la gloire de notre surconsommation. De quoi déclencher une prise de conscience ?

« On n’a pas besoin de la situation actuelle pour prendre conscience qu’on consomme trop ! » tranche Florent, qui réside rue de la Bienfaisance, dans le 8e arrondissement de la capitale, à quelques encablures de l’Élysée. « Ces poubelles non ramassées, c’est hyper désagréable », grimace le jeune homme, visiblement impatient de revoir les éboueurs. « C’est sûr qu’on commande beaucoup en ligne, mais on essaie de limiter nos achats, d’acheter en local. Dans nos bureaux, on a mis en place le recyclage, etc. », énumère-t-il avant de filer à un « meeting ».

Le ramassage des déchets ne va pas reprendre tout de suite : les éboueurs ont décidé de reconduire la grève jusqu’au 27 mars. © Mathieu Génon/Reporterre

Florent va devoir côtoyer ces déchets pendant encore un certain moment. Malgré les réquisitions de camions et d’éboueurs ordonnées par la préfecture de police de Paris, le ramassage va prendre du temps en raison de l’accumulation dans les dix arrondissements gérés par les agents de la ville (le traitement des déchets est délégué à des sociétés privées dans les autres arrondissements parisiens). Surtout, la situation ne va pas se résoudre tout de suite, les éboueurs ayant décidé de reconduire la grève jusqu’au 27 mars, a annoncé la CGT Services publics le 21 mars.

464 kilos d’ordures par habitant

Cet amoncellement de déchets est encore insuffisant si on attend une réelle prise de conscience sur notre surconsommation, estime le sociologue, Baptiste Monsaingeon, auteur de l’essai Homo Detritus, critique de la société du déchet : « Il faudrait peut-être que le mouvement perdure sur le temps long et parvienne à des situations d’encombrement et de débordement bien plus massives pour que la question du changement de rapport à la consommation soit posée. »

« Je ne me rends pas compte si ces gros tas signifient que les gens jettent beaucoup », dit Geneviève dans le 8e arrondissement. © Mathieu Génon/Reporterre

Les déchets ? « Moi, je ne jette pas tellement, je vis seule, explique Geneviève, coquette octogénaire qui attend une amie place Prosper Goubaux, à la limite du 8e et du 17e arrondissement. Mais je ne me rends pas compte si ces gros tas signifient que les gens jettent beaucoup ou pas. » À Paris, chaque habitant produit en moyenne 464 kilos d’ordures ménagères par an, encombrants compris, selon un rapport de la Cour régionale des comptes publié en mars 2022. Ce chiffre englobe aussi une part des déchets produits par les petits commerçants et artisans. Ainsi, en 2020, le 8e arrondissement, riche en boutiques, était le plus mauvais élève avec 805 kilos par habitant. Le 20e était classé le plus sobre, avec « seulement » 286 kilos.

En 2020, le 8e arrondissement (ici, rue de Miromesnil) était le mauvais élève, avec 805 kilos par habitant. Le 20e était classé le plus sobre, avec 286 kilos. © Mathieu Génon/Reporterre

« Les gens continuent à jeter alors que ça déborde »

Geneviève se souvient de Mai 68 où les déchets s’étaient aussi accumulés. À l’époque, y en avait-il autant ? « C’est difficile de savoir. » Ce qui est certain, c’est qu’il y avait moins de plastique, à regarder les quelques photos exhumées sur les réseaux sociaux ces derniers jours. « Oui, c’est forcément un choc, reconnaît Andréa, qui habite juste en face d’un immense îlot de déchets. dix mille tonnes en deux semaines [pic atteint le 17 mars dernier], c’est vraiment beaucoup. On consomme trop, on en a l’illustration devant nos yeux. »

À la maison, « on fait ce qu’on peut, on trie les emballages », assure le jeune homme de 18 ans. « Mais quand j’achète un truc à manger, je ne fais pas forcément attention s’il y a trois emballages. Ce sont nos habitudes qu’il faudrait changer, c’est difficile. »

Et l’achat en vrac ? « Je ne sais pas ce que c’est. » Le vrac, Sandrine, croisée rue de Mirosmesnil dans le 8e, ne lui fait pas du tout confiance car « on ne sait pas qui a touché les aliments avant… » Quant aux suremballages, pour elle, ce sont les marques qui sont responsables, pas le consommateur : « Dans les magasins, on achète ce qu’il y a. »

« Quand on regarde les poubelles, on se dit que c’est trop », dit Samia (au milieu), depuis le marché de Belleville. © Mathieu Génon/Reporterre

C’est aussi l’avis de plusieurs habitants qui vivent à l’autre bout de la capitale, dans le 20e arrondissement, comme Lucia : « Quand on achète, on se rend compte que les marques ne font pas attention aux emballages. Quand je peux, j’achète en vrac, mais le choix est parfois difficile. » À la sortie de sa résidence, rue des Couronnes, une montagne de déchets trône sur le large trottoir, un conteneur en partie incendié au milieu : « Les gens pourraient faire plus attention. Ils continuent à jeter alors que ça déborde de partout. »

Gaby regarde lui aussi, affligé, le tas d’ordures. Jardinier, il travaille actuellement à l’entretien des espaces verts de la résidence : « C’est assez impressionnant ! Les gens en profitent aussi pour mettre ce qui va habituellement aux encombrants. » La surconsommation, il est bien convaincu que c’est un problème. « Je vis en colocation et on cuisine beaucoup, ce qui permet de limiter les emballages », explique le jeune homme, lui-même engagé sur cette question au quotidien.

Le problème des couches bébé

Plus loin, Sadia, Samia et Negia discutent sur un banc, chariot à la main. C’est jour de marché, boulevard de Belleville. « Quand on regarde les poubelles, on se dit qu’on consomme tout ça ! C’est trop, c’est certain », dit Samia. Elle vit seule, alors, elle jette peu. Mais pour sa voisine de banc, Negia, avec cinq personnes à la maison, il y a forcément plus de déchets : « On jette beaucoup de cartons, de boîtes, de bouteilles. Mais on fait le tri. » D’après Samia, c’est notamment compliqué pour les familles avec des bébés : « Dans le quartier, il y a des femmes avec beaucoup d’enfants. Forcément, elles sont obligées d’utiliser des couches, et ça fait beaucoup de poubelles. »

La grève, c’est aussi grâce à elle « qu’on voit concrètement ce que l’on jette », dit Linda, rue de la Mare (20e arrondissement). © Mathieu Génon/Reporterre

Les couches pour bébé, c’est aussi la grande préoccupation de Linda, qui habite rue de la Mare. La jeune maman raconte être particulièrement attentive aux déchets. Pour preuve, elle tient depuis 2020 une boutique de cosmétiques naturels dans laquelle elle propose des accessoires zéro déchet. « Pourtant, même en faisant attention, on a accumulé les déchets depuis quinze jours. Avec la grève, on est donc revenu aux couches lavables qu’on avait un peu abandonnées car ce n’est pas évident à gérer. » La grève, c’est aussi grâce à elle « qu’on voit concrètement ce que l’on jette ».

Mais pour combien de temps ? Deux camions-poubelles viennent de faire leur apparition en haut de la rue, réquisitionnés pour rendre à nouveau invisibles nos excès.

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