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« On va les mettre à terre » : les éboueurs en grève contre la réforme des retraites

Depuis lundi, une trentaine de grévistes occupent l’incinérateur d’Ivry-sur-Seine, site stratégique du traitement des déchets de la capitale. Objectif : forcer le gouvernement à retirer son projet de réforme des retraites.

Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), reportage

Assis sous une tente déchirée par le vent, David Sénéchal a le regard déterminé. En cette matinée du 9 mars, l’éboueur commence son quatrième jour d’occupation à l’incinérateur d’Ivry-sur-Seine, site stratégique de traitement des déchets de la capitale, contre la réforme des retraites. Impossible pour le fonctionnaire de 49 ans d’imaginer travailler après 60 ans. Après vingt années de métier, son corps est déjà fatigué : « À force de porter des bacs et de monter-descendre-monter du camion-benne, j’ai une hernie inguinale », dit le syndiqué à la CGT en tirant sur sa cigarette.

Autour de lui ont été érigées trois grandes tentes, accueillant un dortoir et deux réfectoires. Un camp de fortune pour tenir jour et nuit, le plus longtemps possible, malgré « les pertes de salaires », « les nuits glaciales » et le régime alimentaire « à base de merguez ». Derrière ce décor, la grande cheminée ne recrache pas son habituelle fumée blanche.

Des barricades et des chaînes ont été installées à l’entrée du site pour cette grève à durée illimitée, débutée lundi 6 mars. © NnoMan Cadoret / Reporterre

« On est un secteur qui peut avoir beaucoup d’impact »

En temps normal, l’usine d’Ivry brûle quotidiennement 5 000 tonnes d’ordures ménagères. Bloquer les accès à l’incinérateur est donc stratégique, selon la CGT FTDNEEA (Filière traitement des déchets nettoiement eau égouts assainissement). Car quand éboueurs, égoutiers, chauffeurs de camions-bennes et agents de propreté cessent toute activité, « ça se voit et ça se sent tout de suite », sourit Christophe Farinet, le secrétaire général adjoint.

De fait, avec une moyenne de 60 % du personnel mobilisé, selon le syndicaliste, les poubelles débordent à Paris. Il n’y a quasiment plus personne pour ramasser, trier ou traiter. Ainsi, près de 1 600 tonnes d’ordures gisent toujours sur les trottoirs des XXe, XIVe, Ve, VIe, XIIe et IIe arrondissements. But de l’opération : faire pression sur le gouvernement, aux côtés des secteurs du transport et de l’énergie, et peser de tout leur poids dans la grève générale menée par l’intersyndicale. « On est un secteur qui peut avoir beaucoup d’impact », rappelle Christophe Farinet.

Les grévistes comme Julien Lejeune veulent forcer le gouvernement à retirer son projet de réforme des retraites. © NnoMan Cadoret / Reporterre

À l’intérieur des cafés, ce jeudi, il n’est d’ailleurs pas rare d’entendre les Parisiens se plaindre « du problème des poubelles ». Mais les critiques ne durent jamais trop longtemps. Devant l’incinérateur, nombreux sont venus afficher leur soutien. « Il faut qu’on soit solidaire, ça nous concerne tous, disent Vanessa et Aline, toutes deux professeures au collège d’Ivry et très remontées contre la réforme. Eux qui travaillent dans des conditions très physiques, dehors, on les fait mourir au travail. »

Chauffeurs de camions-bennes, égoutiers, éboueurs, techniciens… les grévistes rencontrés par Reporterre l’affirment : ils ne tiendront jamais deux ans de plus au travail. Tous parlent de journées démarrant aux aurores, rythmées par des tâches dangereuses et pénibles.

Une trentaine de grévistes occupent le site, qui brûle habituellement 5 000 tonnes d’ordures ménagères chaque jour. © NnoMan Cadoret / Reporterre

Surmortalité de 56 %

Peu d’entre eux arrivent en bonne santé à la retraite. Certains n’y arrivent pas du tout. « Personnellement, peu importe si la loi passe, moi je partirai à 59 ans, même si ma pension n’est que de 1 000 euros. Faut bien vivre un peu », affirme David Sénéchal. Et d’ajouter, tête baissée : « Bon nombre de mes collègues sont morts à quelques mois de la retraite… »

D’après une étude publiée en 2013 par la mairie de Paris, la population des égoutiers de la ville de Paris entre 2000 et 2007 « montre une surmortalité de 56 % (255 décès observés pour 163 décès attendus) par rapport à la population de référence ».

Les grévistes restent confiants, même si l’âge de départ à 64 ans a été adopté par le Sénat le 8 mars. © NnoMan Cadoret / Reporterre

Mener cette grève reconductible est pour eux l’occasion de porter plusieurs revendications. En plus du retour de la retraite à 60 ans, la CGT FTDNEEA demande la revalorisation de la pension minimale ou encore le droit à un départ anticipé sans décote. « On y croit », certifie Frédéric Aubisse, égoutier de 53 ans. Et ce, même si l’âge de départ à 64 ans a été adopté par le Sénat dans la soirée du 8 mars ? « Ça nous motive encore plus. On est convaincus qu’on va les mettre à terre », assure Christophe Farinet.

En attendant, faute de pouvoir être incinérés, les déchets devraient être prélevés puis, faisant fi du tri, mélangés et acheminés au centre Claye-Souilly (Seine-et-Marne) pour y être enfouis. C’est l’option qu’avait choisie la Ville de Paris [*] en 2020 lors d’une autre grève des éboueurs.


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