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ReportageAgriculture

Grippe aviaire : en Pays basque, des paysans empêchent le « sale boulot » de l’État

Environ 200 personnes bloquaient la route dans l'attente des services vétérinaires, en mars 2022, dans le Pays basque.

L’épidémie de grippe aviaire se poursuit. En Pays basque, deux cents personnes se sont réunies devant une ferme pour empêcher l’abattage préventif des canards. Motif de l’ire paysanne : le protocole sanitaire de l’État.

Ilharre (Pyrénées-Atlantiques)

« C’est eux ! » Le cri a retenti vers 16 heures ce 2 mars devant la ferme Bidarteberria à Ilharre, au Pays basque nord (sa partie située en France), alors que sur la petite route sinueuse s’avançaient les deux véhicules blancs des services vétérinaires. Après plusieurs heures d’attente, les militants que le syndicat basque ELB, rattaché à la Confédération paysanne, avait appelés à venir pour bloquer l’entrée de la ferme, se sont confrontés aux services venus abattre les canards. « Vous n’en avez pas marre de faire le sale boulot ? » s’insurge une femme derrière la banderole. Face à elle, la responsable vétérinaire de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) menace de prendre des noms et demande à accéder à l’élevage pour procéder à l’abattage. Fin de non recevoir du côté des manifestants. Elle ne passera pas aujourd’hui.

L’épidémie de grippe aviaire se poursuit dans l’Hexagone et avec elle son lot d’élevages décimés soit par le virus, soit par les « abattages préventifs ». Si le département des Landes connaît une accalmie, d’autres départements sont plus touchés tels le Gers ou la Vendée. Dans les Pyrénées-Atlantiques où le blocage a eu lieu, les foyers sont plus épisodiques mais entraînent à chaque fois l’abattage préventif de tous les élevages situés dans un rayon de trois kilomètres, ceux situés en « zone de protection ». C’est ce qui est arrivé pour la ferme Bidarteberria, comme l’explique Patrick Dagorret, paysan membre de ELB et lui-même éleveur : « Il y a eu un cas de grippe aviaire dans un élevage il y a trois semaines à 2,4 kilomètres de la ferme. Avec le protocole sanitaire actuel, on abat tout ce qu’il y a autour dans un rayon de trois kilomètres. »

Le couple Harismendy a échangé avec la responsable des services vétérinaires. © Chloé Rebillard/Reporterre

Un protocole vivement critiqué par les paysans qui font du plein air et produisent parfois en autarcie : dans ce cas, les animaux naissent, vivent et sont abattus au même endroit. C’est le cas de l’élevage des Harismendy ciblé ce 2 mars. « Depuis le début de cette crise, le modèle imposé par les industriels est celui de la claustration. Nous, petits paysans, on n’a pas voulu claustrer. La Vendée, où tous les animaux sont enfermés, nous avait été vendue comme un modèle à suivre. Résultat, en ce moment, c’est là qu’il y a le plus de foyers de maladie ! » s’indigne Agnès Sallaberry, elle aussi éleveuse et membre du syndicat ELB, venue s’opposer à l’abattage.

L’abattage préventif, sans distinction de la part des services de l’État, est aussi au centre des critiques. « Cet élevage est assez symbolique » reprend Agnès Sallaberry. « Ce sont des animaux sains qui finissent leur cycle de production dans deux semaines. » Pas de raison donc de les abattre, estiment les paysans venus en soutien. Des négociations ont été ouvertes pour cet élevage avec les services de l’État, sans résultat. Dans un communiqué, le syndicat ajoute : « Demander l’abattage sur cette ferme, qui sera de toute façon vide d’ici mi-mars, n’a de sens ni sanitairement ni économiquement. C’est sans compter la détresse psychologique que cette situation entraîne pour cette famille. »

« Le plein air n’est pas le problème, il est la solution »

Les paysans de ELB réclament plus généralement une révision complète de la méthode de traitement des épidémies de grippe aviaire. C’est la quatrième crise à laquelle ils font face depuis 2017. Pour eux, il faut arrêter les « filières longues », c’est-à-dire l’élevage industriel qui transporte les animaux vivants à divers stades de leur vie pour les mener d’élevage en élevage. Ils en sont persuadés : les petits élevages de plein air, en autarcie, sont bien plus résilients face aux virus que les élevages intensifs, très denses et où les animaux sont enfermés. Un constat qu’ils résument en une phrase : « Le plein air n’est pas le problème, il est la solution. »

La ferme située dans le petit village d’Iharre a connu une affluence inédite. © Chloé Rebillard/Reporterre

Alors que la responsable vétérinaire s’éloigne de l’exploitation sous les applaudissements de la foule, Patrick Dagorret ne crie pas victoire : « Ce n’est pas une victoire, l’administration reviendra. Mais on a pu faire entendre notre voix et on a réussi à empêcher leur passage. » Ce n’est pas la première fois qu’ELB appelle à des actions de ce type. En 2017, déjà, des fermes avaient fait l’objet de blocage. Et plus récemment, en février 2022, le syndicat a appelé à bloquer un contrôle sur un couvoir à Bidache. La bataille du jour est remportée pour ELB, dans le calme et sans échanger de noms d’oiseaux.

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