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Justice

« Historique » : le droit à un futur sain consacré en justice

Pour une fois, un tribunal a demandé à mieux étudier les alternatives à l’enfouissement définitif des déchets toxiques de Stocamine (Alsace), stockés au-dessus d’une nappe phréatique majeure.

À Strasbourg, le tribunal administratif a remis en cause le confinement définitif de déchets miniers. Il s’est basé sur une toute nouvelle jurisprudence : le droit des générations futures à vivre dans un environnement sain.

Strasbourg, correspondance

C’est une décision inespérée pour les militants. Mardi 7 novembre, le tribunal administratif de Strasbourg a suspendu l’arrêté préfectoral autorisant le confinement des déchets ultimes de Stocamine (Haut-Rhin). 42 000 tonnes de déchets industriels sont enterrés à 550 mètres de profondeur dans les galeries de cette ancienne mine de potasse. Pour la première fois, un tribunal a demandé à mieux étudier les alternatives à l’enfouissement définitif de ces déchets toxiques, stockés au-dessus d’une nappe phréatique majeure. Mais le fondement juridique de cette décision est lui aussi inédit. Les juges se sont appuyés sur une jurisprudence nouvelle mettant en avant le droit des générations futures à un environnement sain. « C’est historique », a réagi Sandra Regol, députée Les Écologistes (ex-EELV) du Bas-Rhin. Ce « principe [...] pourrait être utilisé contre tous les projets écocidaires ».

Pour la première fois dans le cadre de la contestation d’une autorisation environnementale, un juge administratif a en effet utilisé l’article 1er de la Charte de l’environnement, qui dispose que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Il a aussi invoqué l’alinéa 7 de son préambule, qui précise « qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».

Une 1re application concrète de la jurisprudence

C’est la première application concrète d’une jurisprudence qui a moins de deux semaines. Ce droit des générations futures à un environnement sain est reconnu par le Conseil constitutionnel depuis le 27 octobre. « Moins de deux semaines après, les juges de Strasbourg s’en sont saisis. C’est le signe qu’on va pouvoir mobiliser le droit des générations futures de manière concrète », dit à Reporterre Stéphane-Laurent Texier. Avocat des trente-deux associations et trente riverains du projet d’enfouissement des déchets radioactifs à Bure (Meuse), c’est lui qui a présenté la question prioritaire de constitutionnalité ayant donné lieu à la jurisprudence.

Cette « avancée majeure » en droit de l’environnement vient « renforcer la construction de la justice environnementale », estime Stéphane-Laurent Texier. Pour que le droit des générations futures soit pris en compte, il faut que l’atteinte à leur environnement sain soit grave et durable.

Lire aussi : Le Conseil constitutionnel reconnaît le droit des générations futures à un environnement sain

Les juges devront apprécier ce double critère au cas par cas selon les dossiers qui leur sont présentés — aucune définition n’existe encore quant à la gravité de l’atteinte, par exemple. « C’est un seuil de déclenchement », explique l’avocat, « qui permet de se projeter plus loin que les cas d’atteinte immédiate à l’environnement ».

Nouvelle contrainte pour le législateur

Grâce à ces deux critères, la jurisprudence oblige le législateur, le pouvoir règlementaire ou l’autorité administrative à envisager les effets à long terme des lois ou des actes qu’ils adoptent — sous peine de voir la justice les annuler.

« Cela ajoute une corde à l’arc des défenseurs de l’environnement », poursuit Stéphane-Laurent Texier, même si le moyen reste cantonné aux « cas spécifiques des atteintes graves et durables ».

Depuis 2014, l’article 1er de la Charte de l’environnement, qui a valeur constitutionnelle, est de plus en plus utilisé par les écologistes. En septembre 2022 déjà, le Conseil d’État a reconnu que le droit à un environnement sain était une liberté fondamentale, pouvant faire l’objet d’un référé liberté. « On voit que le texte est en train de prendre de l’essor », note Stéphane-Laurent Texier.

L’État dispose de deux semaines pour se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État et demander à ce que la suspension soit levée. « Peut-être qu’il en profitera pour se prononcer sur la possibilité de mobiliser ce droit des générations futures », conclut Stéphane-Laurent Texier.

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