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Animaux

Il boulotte les champs de maïs, énerve les agriculteurs... En Bretagne, l’indésirable choucas

La population du choucas des tours, petit corvidé protégé, grossit d’années en années en Bretagne. Au point que l’oiseau, qui boulotte les cultures, est devenu l’ennemi à abattre pour les agriculteurs. Sa prolifération témoigne pourtant d’un modèle agricole à bout de souffle.

  • Bretagne, correspondance

Le printemps, ses fleurs, ses bourgeons… et ses choucas des tours. Depuis plusieurs années, ces oiseaux noirs au dos gris, plus petits que des corneilles, tapissent les champs par centaines à l’arrivée du mois de mai et des semences, à la recherche de grains et d’insectes à manger. « L’année dernière, on a été servis. En deux trois jours, ils ont détruit 80 % d’une parcelle de maïs de quatre hectares. Face à eux, on est relativement désarmés », dit Patrick Thomas, agriculteur bio dans la région de Loudéac (Côtes-d’Armor). Obligé de semer à nouveau, ce professionnel engagé au Centre d’étude pour un développement agricole plus autonome (Cedapa) a alerté la chambre d’agriculture du département. Comme lui, de nombreux confrères et consœurs ont connu une année 2019 particulièrement perturbée par ce petit corvidé gourmand, venu se nourrir en nombre dans les cultures de maïs et de pois un peu partout en Bretagne.

En trente ans, la population de choucas des tours a considérablement augmenté dans la région, principalement dans l’Ouest. Cet oiseau nicheur y était présent depuis toujours, installé dans les clochers des villages ou dans les creux de falaises au bord des côtes. Progressivement, on l’a vu élargir son terrain de vie. Alors que, dans le Finistère, on ne l’entendait que dans 51 % des communes en 1954, il était repéré dans 88 % des communes en 2010, selon une étude réalisée par l’ornithologue Morgane Huteau et l’actuel conservateur de la Réserve naturelle de Séné (Morbihan), Guillaume Gélinaud, qui ont dénombré près de 40.000 individus dans ce seul département. Sachant qu’entre temps, en 1988, une directive européenne a classé le choucas des tours comme une espèce protégée.

En trente ans, la population de choucas des tours a considérablement augmenté en Bretagne.

« Le développement de la culture du maïs et de l’agriculture intensive offrent des ressources de nourriture importantes »

« L’expansion d’une espèce s’appuie sur deux paramètres : la nourriture et l’habitat », explique Jean-Pierre Roullaud, de l’association environnementale Bretagne vivante. Le choucas semble avoir profité de ces deux facteurs puisqu’il a trouvé refuge dans des cheminées de moins en moins utilisées au cours des années. « Son augmentation concorde aussi avec le développement de la culture du maïs et de l’agriculture intensive, offrant des ressources de nourriture importantes », dit de son côté un ornithologue de la Ligue pour la protection des oiseaux du Finistère, Daniel Le Mao. En 2016, près de 620.000 tonnes de maïs étaient collectées en Bretagne, l’équivalent d’un supermarché à ciel ouvert pour les oiseaux cherchant de quoi se nourrir. Espèce opportuniste et grégaire, « qui a le malheur d’être trop intelligente » selon les mots de Daniel Le Mao, le corvidé s’est créé une réputation sulfureuse, tant son impact sur les cultures s’est fait ressentir au fil des années.

À Plouguiel, village d’un peu plus de 1.700 âmes à quelques encablures de Lannion, le choucas défraie la chronique. Jean-Yves Nédélec, le maire, parle d’un « problème récurrent » revenant à chaque fin de printemps. Semis de pois, de haricots coco, de maïs… Le volatile farfouille le sol et laisse des traces de son passage. « Les agriculteurs font de l’effarouchement, visuel et sonore, mais cela cause des nuisances à proximité des habitations et des querelles de voisinage », regrette l’édile. La seule solution selon lui ? La régulation de la population.

« Le choucas breton, c’est le loup à une autre échelle »

Les chambres d’agriculture n’ont pas attendu son avis pour demander aux préfectures des dérogations de tirs sur cette espèce protégée. Les préfets ont accordé des quotas d’oiseaux à éliminer. De 200 autorisés au tir en 2007, le nombre a explosé pour atteindre les 20.000 à chasser entre 2020 et 2021. « On va de fait vers le déclassement de l’espèce », s’insurge Éric de Romain, coordinateur du Centre de recherche de protection des corvidés, Crow Life, en colère contre ce qu’il définit comme la destruction pure et simple d’une population d’oiseaux « dérangeants ». « Ils embêtent donc on les tue », déplore-t-il. Pour le moment, ces mesures n’ont pas prouvé leur efficacité. Elles pourraient même jouer en défaveur du monde agricole, en poussant à la dispersion des oiseaux qui prennent rapidement le pouls des dangers autour d’eux et ne s’approchent plus des zones de tir.

Mais face à des agriculteurs mécontents et à des élus rageurs, confrontés à des tensions croissantes dans leurs communes, la régulation revêt une utilité : l’acquisition d’une certaine paix sociale. Charles David, chargé d’études sur les politiques environnementales à la chambre d’agriculture des Côtes-d’Armor, le voit à sa façon : « Les quotas sont très faibles mais ils présentent un intérêt du point de vue psychologique pour les agriculteurs. » Certains militent même directement pour la déclassification de l’espèce, tandis que la plupart des cultivateurs demandent une hausse du nombre de tirs autorisés. Tuer pour rassurer ? Voilà un leitmotiv qui rappelle d’autres espèces. « Le choucas breton, c’est le loup à une autre échelle », dit Yann Février, ornithologue au Groupe d’études ornithologiques des Côtes-d’Armor (Geoca), qui regrette la banalisation des dérogations. Le conflit entre deux mondes radicalement opposés n’a pas fini de gronder. Yann Février l’assure : « Il faut pourtant une solution globale et ne pas faire du cas par cas. »

L’augmentation de la population de choucas concorde avec l’extension des cultures de maïs.

Face à ces positions antagonistes, décision a été prise de demander une étude sur plusieurs années à des chercheurs de l’université de Rennes 1, en collaboration avec le Muséum national d’histoire naturelle, pour comprendre comment fonctionnent les populations. Car on dispose en fait de peu de connaissances scientifiques sur le choucas. À l’aide de marquages, d’études sur l’alimentation et l’habitat de l’oiseau, l’équipe de chercheurs recommandera des mesures à adopter et des leviers sur lesquels jouer pour pallier cette augmentation de population. « Les tirs peuvent être un leurre à court terme et créer de la frustration chez les agriculteurs. Et il ne faut pas oublier qu’ils ont un coût », dit le chercheur Frédéric Jiguet du Muséum, mobilisé sur l’étude.

D’autres solutions pourraient être efficaces : mieux boucher les cheminées, limiter l’accès à la nourriture dans les fermes… Si ce n’est que, pour le moment, aucun budget de l’État n’est alloué à ces travaux. Mais la problématique du choucas va plus loin : le modèle agricole, et particulièrement la culture de maïs, semble avoir un impact sur le développement de l’oiseau. Et « pour l’instant, j’ai l’impression que ça change dans le mauvais sens et que les fermes ne cessent de s’agrandir », regrette Patrick Thomas, l’agriculteur touché par les choucas près de Loudéac, qui tente à son échelle de changer de modèle agricole pour laisser plus de place au pâturage et moins au maïs. L’étude scientifique pourra peut-être changer la donne. En attendant, les tirs continuent.

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