Il y a un an, un gendarme tuait le paysan Jérôme Laronze

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Agriculture LibertésIl y a un an, Jérôme Laronze, éleveur en Saône-et-Loire, était abattu de trois balles par un gendarme. La thèse de la légitime défense ne convainc pas du tout la famille, qui craint que l’instruction cherche à masquer les responsabilités des forces de l’ordre et de l’administration.
Des « chroniques et états d’âme ruraux » dénonçant d’une plume acérée ce qu’est devenue l’agriculture, les rires déclenchés par une prestation théâtrale sur le même thème, les arômes d’une blanquette mémorablement délicieuse… Autant de souvenirs autour desquels la famille, les proches de Jérôme Laronze et les soutiens seront assemblés, dimanche 20 mai, dans sa ferme de Sailly, en Saône-et-Loire.
Cela fera alors un an que l’agriculteur est mort. Le 20 mai 2017, Jérôme Laronze a été tué de trois balles tirées par un gendarme. Ce dernier affirme avoir été en état de légitime défense : le paysan au volant de sa voiture aurait foncé sur lui et sa collègue. La balistique propose un autre scénario : aucune des balles n’a été tirée de face. Sur les trois mortelles, une a touché la jambe de Jérôme Laronze, deux ont pénétré par-derrière et ont traversé ses poumons.
Le gendarme auteur des coups de feu a été mis en examen pour « violence avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Deux juges d’instruction ont été nommées pour mener l’enquête. « Lors de notre première rencontre avec elles, on avait senti une écoute, une conviction que les juges allaient étudier tous les éléments du dossier », se souvient Marie-Pierre Laronze, l’une des quatre grandes sœurs de Jérôme Laronze, parties civiles dans l’affaire. Notamment, les magistrates avaient accepté que se déroule une reconstitution, qui a eu lieu le 10 novembre 2017. Mais depuis, plus de nouvelles. « Désormais, je n’ai plus confiance en l’institution. Je doute qu’il y ait une volonté de dégager une vérité judiciaire », lâche celle qui est elle-même avocate.
Des courriers « qui n’ont jamais eu de réponse »
Un des aspects importants de l’enquête est de cerner la personnalité de Jérôme. Les témoignages dessinent un personnage aux convictions fortes, d’une très grande sensibilité, des problèmes sérieux dans la gestion de sa ferme. Mais étaient-ce des raisons suffisantes pour que les gendarmes le considèrent comme dangereux ? « À la demande des juges, j’avais fait un courrier et envoyé des photos et des contacts de personnes très diverses, qui connaissaient Jérôme, pour qu’elles puissent les interroger », raconte Marie-Pierre Laronze. « Elles ne les ont pas sollicitées ». En revanche, « les juges ont fortement nourri le dossier de témoignages de gendarmes disant qu’ils avaient été avertis que Jérôme était dangereux », détaille-t-elle. « On essaye de le faire passer pour quelqu’un de violent, ce qu’il n’était pas. »
Par ailleurs, « nous avons envoyé deux courriers qui n’ont jamais eu de réponse », nous indique Me Julien Chauviré, l’avocat des sœurs. Il a d’abord sollicité un avis complémentaire sur la trajectoire des balles. Les expertises ont été fournies par l’organe interne de contrôle de la gendarmerie, l’IGGN (Inspection générale de la gendarmerie nationale). « On en veut une effectuée par un service extérieur à la gendarmerie », explique Marie-Pierre Laronze. L’absence de réponse des juges d’instruction a mené la demande devant la cour d’appel de Dijon, dont la décision sera connue le 30 mai.
- Marie-Pierre (à gauche) et Marie-Noël Laronze sur les terres familiales reprises par leur frère.
L’avocat a également demandé, en décembre, une extension du cadre de l’enquête à « non-assistance à personne en danger ». « Il s’est passé 25 minutes entre les tirs et l’arrivée des pompiers, et rien n’a été tenté pour sauver Jérôme », affirme sa grande sœur. Là encore, les magistrats n’ont pour l’instant pas réagi. « La demi-heure qui suit la mort de M. Laronze est un sujet postérieur à cette instruction », dit à Reporterre la procureure de la République de Mâcon, Karine Malara, qui précise qu’« il n’y a pas eu de mise en examen pour non-assistance à personne en danger. »
Autre acteur, le syndicat auquel adhérait Jérôme, la Confédération paysanne. Elle a fait une demande de partie civile, rejetée pour l’instant. « Nous n’avons même pas pu assister à l’audience », regrette Agnès Vaillant, salariée de l’organisation en Saône-et-Loire. « Il faut que l’on prouve qu’il y a un intérêt collectif de la profession à agir, explique Me Laeticia Peyrard, avocate du syndicat. Nous estimons que c’est le cas. Jérôme Laronze a pris la fuite en raison d’un harcèlement dont il s’estimait victime à la suite de contrôles multiples de l’administration. » La cour a en revanche jugé que le syndicat n’avait pas subi de préjudice. L’affaire est désormais devant la cour d’appel, qui répondra également le 30 mai. « Ils veulent nous évincer de la procédure car la Confédération paysanne a la capacité de médiatiser et de mobiliser. Ils ont peur que l’on politise le dossier, or la justice aime travailler dans le calme, d’autant plus quand des pairs — c’est-à-dire d’autres administrations — peuvent être mis en cause », analyse Maître Peyrard.
« On voudrait enterrer l’affaire, on ne s’y prendrait pas autrement », appuie de son côté Me Chauviré. « C’est comme si, du point de vue des juges, on voulait savoir si le gendarme a ouvert le feu dans des conditions légales, point », déplore-t-il.
Pour la famille, l’enquête ne peut se réduire aux quelques heures qui ont précédé la mort du petit frère. Il y a d’abord les neuf jours précédents : pourquoi les gendarmes ont-ils mis tant d’ardeur à traquer un homme auquel on ne reprochait, apparemment, que des délits mineurs ?
« Il faut faire comparaître, ne serait-ce que comme témoin, les services vétérinaires »
Il faut aussi éclaircir les événements du 11 mai 2017, sur sa ferme de Trivy, qui ont déclenché sa fuite. Reporterre vous a déjà raconté en détail ces événements. Ce jour-là, les agents des services vétérinaires sont venus accompagnés des gendarmes. « Pourquoi ? Il est certain que cela a choqué Jérôme », ajoute Me Chauviré.
Il y a encore tous les contrôles qui ont précédé, ponctuant une longue descente aux enfers administrative de l’éleveur. « Jérôme nous avait dit que ça ne passait pas du tout avec une des contrôleuses. J’ai participé à une réunion où elle essayait de l’humilier », témoigne Agnès Vaillant. « Il y a une attitude globale de l’administration qui a pris Jérôme en grippe pour ses convictions, reprend Julien Chauviré. Ce serait dramatique pour sa famille que l’on n’aborde pas cet aspect de l’affaire. Cela voudrait dire qu’on laisse passer des comportements qui n’ont pas duré dix minutes, mais deux ans. Il faut faire comparaître, ne serait-ce que comme témoin, les services vétérinaires », insiste l’avocat.
- L’arrière de la ferme de Jérôme Laronze.
La procureure de la République de Mâcon, Karine Malara, tente, en cet anniversaire funeste, d’apaiser les esprits. « S’il y avait une volonté d’étouffer l’affaire, elle l’aurait été dès le départ. L’enquête de l’IGGN est fouillée, a fourni beaucoup d’analyses techniques, est entrée rapidement au dossier », souligne-t-elle. « On a bien bien avancé. »
L’avocat du gendarme, Me Gabriel Versini, approuve : « Mon client a été présenté à un magistrat et mis en examen, c’est bien que la justice n’a pas l’intention d’enterrer le dossier. » Il veut aussi rassurer les parties civiles sur l’ampleur des investigations, qui ne doivent pas selon lui se limiter à « l’instant T de l’action. Dans ce dossier, on a besoin de ratisser large ».
Le processus de l’instruction laisse encore la possibilité aux parties de demander des actes complémentaires. Puis, les juges pourront clôturer cette étape d’enquête. Leur ordonnance devra se prononcer soit pour un renvoi devant le tribunal, soit pour un non-lieu. Me Chauviré redoute que cette seconde option soit choisie. « Si c’est le cas, on ne laissera pas le dossier en l’état, promet-il. Ce n’est pas parce quelqu’un ne fonctionne pas avec le bon modèle que l’on peut s’arroger le droit de le flinguer. »
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