Inondations en Australie : quand se préparer au pire ne suffit plus

À Lismore, 3 000 logements sont inhabitables depuis les inondations de début 2022. Pour Elly Bird, membre du conseil municipal, il faut réfléchir au futur de la ville. - © Léo Roussel/Reporterre
Durée de lecture : 7 minutes
Inondations Monde ClimatEn Australie, la ville de Lismore a été ravagée par les inondations qui ont frappé le pays ce début d’année. Pourtant, habitants et commerçants s’y étaient préparés. Mais la vigueur des eaux a débordé leurs précautions.
Lismore (Nouvelle-Galles du Sud, Australie), reportage
Elle a des allures de ville fantôme. Restaurants, galeries commerçantes, banques, bureaux... À Lismore, tous ont fermé boutique. Et cela fait plus de deux mois. Le 28 février dernier, la ville a sombré sous les eaux. Elle n’avait jamais connu des inondations d’une telle ampleur. Le 30 mars, elle a de nouveau été frappée par des submersions. Aujourd’hui, dans les rues quasi désertes, seuls s’activent des commerçants qui s’improvisent ouvriers du bâtiment, électriciens, ou des habitants encore traumatisés, qui ont vu le niveau de la rivière monter jusqu’à 14,4 mètres. Bilan : 3 000 logements sont inhabitables, des quartiers entiers ont été détruits, et quatre personnes tuées — une vingtaine dans tout le pays. Pourtant, tous s’y étaient préparés.
À Lismore, ville de 45 000 habitants au nord de l’État de Nouvelle-Galles-du-Sud, la vie semble s’accrocher dans un dernier espoir à son centre-ville. Comme si ce dernier avait trop fait souffrir, inondé à de trop nombreuses répétitions, et que se pose désormais la question de le quitter, plutôt que de le rebâtir encore.

Il faudra au moins « trois ou quatre années avant de voir la ville s’en remettre », selon Steve Krieg, maire depuis 2021 et propriétaire d’un café en centre-ville. Plus d’un mois après la seconde inondation de l’année, Lismore commence à peine à se relever. Des amas de débris et de déchets parsèment toujours les trottoirs, et certains commerces « ne rouvriront jamais ».
Lismore, l’éternelle inondée
Bâtie au bord de la jonction de deux rivières — Leycester Creek et Wilsons River —, Lismore a vu son histoire marquée par les inondations. « La ville est construite dans une cuvette, explique Margaret Cook, historienne spécialiste de l’histoire des catastrophes naturelles en Australie. Les rivières étaient bonnes pour le commerce et la navigation. Mais à cause de sa localisation, la ville est aussi beaucoup inondée. »
Alors fin février, quand des pluies diluviennes se sont abattues sur la côte nord-est de l’Australie, la situation semblait plutôt ordinaire à Lismore. Les habitants savaient que la ville serait susceptible d’être submergée, et s’y sont préparés par habitude. « Les maisons sont surélevées, les magasins du centre-ville sont sur plusieurs étages. Tout est conçu pour résister aux inondations. Nous vivons sur une plaine inondable, et nous comprenons les risques », raconte Steve Krieg.

La ville a connu ses épisodes les plus importants en 1954 et 1974, lorsque l’eau de la rivière était montée jusqu’à environ 12,15 mètres. En 1999 fut prise la décision de construire une digue, censée empêcher l’eau d’atteindre le centre-ville lorsque le niveau de la rivière grimperait entre 10,60 et 10,95 mètres. L’ouvrage terminé en 2005 a gardé le centre-ville au sec lors de plusieurs épisodes de montée des rivières. Mais le 31 mars 2017, au cours de nouvelles pluies intenses, le niveau de l’eau est monté à 11,59 mètres, a dépassé celui de la digue, débordé et inondé tout le centre-ville. L’événement le plus important à Lismore depuis quarante-trois ans... Et une première alerte.

Une prévention renforcée après 2017
« Lorsque vous construisez un barrage ou une digue, les gens pensent qu’il n’y aura plus d’inondations, reprend Margaret Cook, historienne. Une forme de complaisance se met parfois en place. »
Pourtant, après 2017, des études effectuées à Lismore ont mené à de nouvelles mesures de prévention, ainsi qu’à la révision des plans d’évacuation ou de préparation aux inondations. Car chaque foyer et commerce dispose d’un plan individuel, différent selon son emplacement dans la ville, la hauteur de son sol, etc.

« Ils ont été largement revus après 2017 », assure le maire. Ces plans, à établir sur un site des services d’urgence de l’État, consistent en une série de précautions à prendre en fonction de la montée du niveau de la rivière, et en des consignes à respecter en cas d’évacuation. « Pour les commerces du centre-ville, cela peut être de monter leur stock et leur matériel au deuxième étage », détaille le maire.
« Être inondé à Lismore, c’est normal, mais pas à ce point »
Des recommandations que de nombreux habitants complètent en prenant eux-mêmes leurs propres dispositions. Jade Page habite avec sa famille à Lismore depuis 2019. L’intérieur de sa maison, pourtant construite sur pilotis, a été complètement pris par les eaux. « La veille on a tout monté sur notre balcon. Il n’y avait plus rien sous la maison, raconte-t-elle. On gardait un kayak, au cas où il faudrait évacuer. »

S’équiper d’une embarcation de secours, un choix qu’avaient fait de nombreux habitants au vu du nombre de canots, kayaks ou zodiacs dans les jardins. Mais peu s’attendaient à les utiliser réellement. « Notre maison est juste au bord de la zone inondable, donc elle échappe aux petites inondations, reprend Jade. Quand on l’a achetée, tout le monde nous a dit “L’eau passera dessous”. »

Le 28 février, le kayak a bien servi. Resté seul à la maison, le mari de Jade a fini par devoir évacuer, en pleine nuit, et même par porter assistance à ses voisins. Plus loin, la maison de Victoria et Chris Hedge a elle aussi été inondée malgré sa hauteur. « En 1974 il y avait eu un peu d’eau dedans, pas en 2017 », explique Victoria, originaire de Belgique. Lorsque le couple a investi dans cette habitation en 2019, il s’attendait à des inondations mineures à l’intérieur. Mais l’eau est cette fois montée presque jusqu’au plafond, détruisant tout l’intérieur. « Être inondé à Lismore ce n’est pas grave, c’est normal, mais pas à ce point », reprend-elle.

Des événements « plus fréquents »
Pour Elly Bird, membre du conseil municipal et de la commission dédiée à la gestion des inondations, la priorité actuelle est le soutien aux habitants pour qu’ils retrouvent un toit. Un mouvement de solidarité, regroupant plus de 30 000 personnes dans un groupe Facebook, est aussi central pour accompagner leurs efforts de reconstruction. Mais l’heure est aussi à la réflexion sur le futur de la ville. « Les gens sont attachés à Lismore, mais nous devons soutenir les décisions qu’ils souhaitent prendre pour rester en sécurité », explique-t-elle. Et l’une des pistes étudiées est « d’aider certaines personnes à sortir de la zone inondable », en délocalisant une partie des logements.
Une réflexion sur l’avenir notamment motivée par l’anticipation d’éventuels « événements plus fréquents de cette nature », précise Elly Bird, comme le prévoient les récents rapports d’experts sur le climat. « Il semble assez évident que les pluies à répétition et de telles inondations ont un lien avec le réchauffement climatique », dit Kate Stroud, qui dirige un studio de création en ville.

Mais dans un pays meurtri, déjà en proie à des incendies il y a deux ans, l’inaction du gouvernement sur la question du climat ne passe pas auprès de certains. Lors de sa venue à Lismore le 9 mars, le Premier ministre Scott Morrison avait été interpellé par des habitants et des manifestants, appelant à une prise de conscience du gouvernement sur cette question et à une amélioration des systèmes d’alerte.
Mais les habitants reconnaissent pour beaucoup, comme le maire, que « Lismore n’avait jamais été aussi bien préparée » pour faire face à des inondations. Grâce à la réaction des habitants de la ville et des alentours, venus aider lors des évacuations, la ville a sans doute évité un bilan humain encore plus lourd. Victoria Hedge l’assure : « Si les civils n’avaient pas pris leur bateau pour secourir les autres, il y aurait eu des centaines de morts. Des centaines. »