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ReportageAlternatives

« Je montre que c’est possible ! » À la campagne, il fait tout à vélo

Le vélo conquiert les villes, moins les campagnes. Trop dangereux, trop pénible. Dans le Gard, Étienne Demur pédale 40 km chaque jour. Avec un but : montrer que la bicyclette est une alternative à la voiture.

Aigues-Mortes (Gard), reportage

Le long de la voie verte, le vélocargo double les péniches qui filent paresseusement sur le canal. Le mistral souffle un air frais. Les cris des mouettes couvrent le vrombissement du moteur électrique. La piste débouche bientôt sur une route départementale. Les voitures se succèdent. Bien campé sur sa selle, Étienne Demur s’insère sur une étroite bande cyclable… qui disparaît bientôt. « C’est pas agréable, mais ça ne va pas durer », rassure-t-il. Quelques kilomètres plus loin, d’un coup de guidon assuré, il bifurque sur un chemin de terre, sous le regard paisible d’un cheval camarguais. « Voici mon trajet pour aller au boulot », sourit le cycliste.

Pour aller travailler, Étienne Demur doit rouler sur la route et des chemins de terre. © David Richard/Reporterre

Qu’il vente ou qu’il pleuve, Étienne Demur parcourt tous les jours à bicyclette les 40 kilomètres qui séparent son domicile, à Aigues-Mortes, de l’usine Royal Canin d’Aimargues, où il travaille. Un périple à travers les marais et la campagne gardoise. Et une gageure : alors que la petite reine connaît un essor en ville, elle peine encore à séduire les ruraux. Hors agglo, 8 trajets sur 10 s’effectuent toujours en auto ; à l’inverse, le cycle représente moins de 2 % des déplacements. « Convaincre qu’on peut se transporter en vélo à la campagne », c’est justement la mission que s’est donnée le trentenaire, qui aime à se présenter comme un « vélotaffeur des champs ».

Originaire d’Île-de-France, Étienne Demur s’est découvert une passion cycliste sur le tard. « J’ai déménagé dans le coin il y a deux ans, et je me suis alors fixé comme défi de tout faire à vélo », raconte-t-il. Il a commencé en VTT « musculaire », puis a opté rapidement pour une assistance électrique. « Quand je me levais à 3 heures du matin pour aller travailler et qu’il y avait du mistral, c’était dur de se motiver », explique-t-il. Au bout de dix-huit mois, il a découvert un nid de guêpes installé dans sa voiture, inutilisée. Et l’a vendue. Depuis, il a réussi son pari : « En un an, j’ai parcouru 16 000 km en pédalant, au quotidien, mais aussi en faisant des voyages », se réjouit-il.

« En un an, j’ai parcouru 16 000 km en pédalant. » © David Richard/Reporterre

« L’enjeu : trouver l’itinéraire le plus sûr »

Casquette fluo vissée sur la tête et polo outdoor, Étienne Demur a plus le look d’un sportif que d’un activiste écolo : « Je ne me suis pas mis au vélo par conscience environnementale, admet-il, plutôt par goût du défi. Je voulais montrer que c’est possible. » Le militantisme est venu chemin roulant. Il est devenu, en quelques années, « un surmotivé du cyclo » et un ardent défenseur du biclou campagnard auprès des pouvoirs publics.

Après quelques zigzags entre les flaques boueuses, le chemin caillouteux se transforme finalement en ruban bitumeux. Un pick-up arrive en face, qui obstrue le passage. « À la campagne, tout l’enjeu est de trouver l’itinéraire le plus sûr », explique notre guide en freinant à l’approche du véhicule. Les chiffres de la Sécurité routière sont à ce propos éloquents : en 2022, 244 cyclistes ont été tués en France, un chiffre en forte hausse. 56 % des victimes sont mortes sur des routes de campagne.

Pour le cycliste, « tout l’enjeu est de trouver l’itinéraire le plus sûr ». © David Richard/Reporterre

Il s’agit donc en premier lieu « d’éviter les voitures ». « J’ai passé beaucoup de temps à chercher et à tester des itinéraires ne passant pas par les départementales », précise Étienne Demur. Chemin agricole, route communale, voie verte, sentier de halage… Il a peu à peu affiné son trajet, selon la météo, et même l’heure de son déplacement. « Quand je roule la nuit, j’évite certains chemins où je peux croiser des troupeaux de taureaux. J’ai aussi abandonné certaines routes à cause des chiens. » Aujourd’hui, il craint plus les lapins — « un vrai problème, ils se jettent dans tes rayons ! » — que les automobilistes.

« C’est un temps de qualité, qui me ressource »

Sur la petite route, le cycliste salue un panneau « Stop » qu’il a prénommé « Daniel », tordu par de trop nombreuses rencontres avec des camions. « C’est le seul de mon parcours, on a développé une relation spéciale », rigole-t-il. Puis il embraye, intarissable, sur « les 1 000 petits plaisirs du vélotaff ». Faire la course le long des étangs avec les martins-pêcheurs, admirer les levers de soleil sur les lagunes, « rouler sous les étoiles ». « Je mets deux fois plus de temps qu’en voiture pour aller au boulot, mais c’est un temps de qualité, qui me ressource », insiste-t-il.

Levers de soleil, animaux... Les plaisirs liés au vélotaff sont nombreux. © David Richard/Reporterre

À passer sa vie dehors, Étienne Demur a aussi acquis une connaissance plus fine de son environnement. Il reconnaît les aigrettes et guette les guêpiers, note les différences selon les saisons. « Je vois les paysans évoluer tout au long de l’année, ça me donne envie d’en apprendre davantage. » En plus des clichés de crépuscule rougeoyant, il se met peu à peu à la photo naturaliste.

« Je vois les paysans évoluer tout au long de l’année. » © David Richard/Reporterre

« C’est un trésor de vivre ça »

Quelques prairies plus loin, la rue communale aboutit à un rond-point très emprunté. Retour à la vie automobile. Le vélocipédiste peste : « La priorité, c’est de sécuriser les intersections. Mais les élus ne pensent qu’aux voies vertes. » Pour lui, les pistes cyclables ne sont pas la panacée à la campagne. « Il y a plein de routes tranquilles, où l’on peut cohabiter facilement avec les véhicules, pourvu qu’ils respectent les priorités. Mettons le pognon là où il n’y a pas d’alternative pour les vélos. »

Un avis partagé par François Bonneau, conseiller municipal d’Agen (Lot-et-Garonne) : « Mes collègues ne rêvent que de pistes cyclables, or la perfection est un frein à l’action, explique-t-il. [Alors que] des tas de chemins peuvent être aménagés en terre battue » pour les deux-roues.

Ici, les routes ne sont pas aménagées pour les cyclistes. © David Richard/Reporterre

Flécher les itinéraires cyclables, sensibiliser les habitants, limiter les vitesses pour les voitures. En deux ans de pratique, Étienne Demur a développé une expertise sur le vélo rural. Pour porter sa voix — et celles des autres cyclistes champêtres — il a créé l’association Aigues-Mortes à vélo, forte d’une trentaine de membres. Il est désormais sollicité par les élus en quête d’aménagement pertinent. « Les politiques cyclables en ville sont désormais bien connues, on sait faire, précise-t-il. C’est beaucoup moins le cas à la campagne. »

Pour Vélo et territoires, les communes rurales ont pourtant tout intérêt à passer à la vitesse supérieure. « La lutte contre la pollution, l’amélioration de la santé publique et la réduction du budget transport » sont autant d’arguments en faveur de la bécane. Face aux étangs parsemés de flamants roses, Étienne Demur pédale dans le soleil couchant. Voici pour lui l’atout maître de la petite reine. « C’est un trésor de vivre ça », répète-t-il.


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