Jérôme Laronze, le paysan tué par un gendarme, avait subi des contrôles « irréguliers »

Durée de lecture : 7 minutes
Trois des contrôles subis par Jérôme Laronze, éleveur tué par un gendarme en 2017, étaient « irréguliers », assure le tribunal administratif de Dijon. « Les gendarmes présentaient Jérôme comme dangereux. Mais selon ce jugement, c’est Jérôme qui était agressé », souligne la famille de l’éleveur. « Cette décision rétablit Jérôme dans ses droits et dans sa dignité. »
C’est une décision de justice qui inverse la perspective. Jérôme Laronze a été tué de trois balles — reçues de côté et de dos — par un gendarme, le 20 mai 2017, dans un chemin de terre de Sailly (Saône-et-Loire). L’éleveur avait fui neuf jours plus tôt un contrôle sur sa ferme, située quelques collines plus loin, à Trivy. On venait lui retirer ses vaches, on parlait de l’envoyer en soins psychiatriques. Tout, dans l’attitude des représentants de l’État, visait jusqu’ici à soutenir la thèse que l’homme aurait été dangereux : la gendarmerie cherchant inlassablement le paysan dans les collines de Saône-et-Loire, la précaution des agents des services vétérinaires se faisant « protéger » par les gendarmes quand ils venaient sur sa ferme…
Mais le tribunal administratif de Dijon fait place, dans un jugement que la famille du paysan vient de rendre public, à une autre interprétation. Il estime que trois des contrôles subis par Jérôme Laronze étaient irréguliers. « Il a été une victime de violences de la part des agents de l’État et non l’inverse », souligne sa famille dans un communiqué.
Plus précisément, le tribunal administratif de Dijon a examiné les conditions dans lesquelles se sont déroulés ces trois contrôles, effectués aux printemps 2015 et 2016. Par trois fois, les gendarmes étaient présents. Et, à chaque fois, ces contrôles nécessitaient d’entrer au domicile de Jérôme Laronze, car il s’agissait de pénétrer dans la cour de la ferme, et même dans la maison où étaient rangés les papiers administratifs demandés. Or, « le préfet n’établit pas l’accord de M. Jérôme Laronze aux visites domiciliaires dont il a fait l’objet, accord qui constitue une garantie pour l’intéressé », notent les juges. Selon la loi, cet accord est absolument nécessaire. Le jugement conclut donc, pour ces trois dates, à « une procédure administrative de contrôle irrégulière ». Reporterre a contacté la préfecture de Saône-et-Loire afin de connaître sa réaction à ce jugement, sans succès.
La décision est hautement symbolique. Jérôme Laronze avait dénoncé, dans une lettre envoyée au Journal de Saône-et-Loire, intitulée « Chroniques et états d’âme ruraux », la violence des contrôles qu’il subissait. « La DDPP [direction départementale de la protection des populations, qui comprend les services vétérinaires] me submergera de menaces, de mises en demeure, d’injonctions, d’intimidations et de contrôles sur ma ferme avec à chaque fois, toujours plus de gens en armes alors que j’ai toujours été courtois et jamais menaçant », y raconte-t-il. Cet enchaînement de procédures administratives, dont les contrôles étaient la partie la plus visible et la plus douloureuse, ont mené à la fuite du paysan, tragiquement conclue par les tirs d’un gendarme, mis en examen pour « violences avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner ».

Le jugement du tribunal montre que la colère de Jérôme Laronze avait de légitimes fondements, puisque ces contrôles ne respectaient pas ses droits. « Une garantie fondamentale, constitutionnelle, a été violée », explique sa sœur Marie-Pierre Laronze, qui, en tant qu’avocate, a mené la procédure au nom de sa famille. « La protection du domicile, c’est celle de la vie privée. »
« Quand vous avez huit gendarmes armés chez vous, peut-on considérer que vous donnez votre accord ? »
« Cette procédure nous a permis de découvrir quelque chose que Jérôme lui-même n’avait sans doute pas compris, poursuit-elle. À chaque fois que les agents de l’administration venaient, il y avait en fait un double contrôle : administratif et pénal. » Le contrôle administratif visait à vérifier qu’il remplissait les conditions permettant de recevoir les aides européennes de la Politique agricole commune (PAC). Le contrôle pénal, lui, visait à rechercher d’éventuelles infractions. « Un contrôle pénal donne plus de pouvoirs aux agents, donc il y a plus de règles à respecter », insiste Marie-Pierre Laronze.
Les agents de la préfecture et les gendarmes auraient dû s’assurer de l’accord de Jérôme Laronze, ou alors se munir d’une ordonnance du juge. Ce qu’ils n’ont pas fait. Pour le préfet de Saône-et-Loire, le fait que Jérôme Laronze ne se soit pas opposé aux contrôles suffisait comme accord. « Mais quand vous avez huit gendarmes armés chez vous, peut-on considérer que vous donnez votre accord ? » interroge Marie-Pierre. « Par ailleurs, les deux contrôles étaient effectués lors de la même visite. Or, si vous vous opposez au contrôle administratif, vous perdez vos aides. Donc, cela exerçait une pression pour accepter le contrôle pénal effectué en même temps. Dès le départ, les règles étaient truquées », estime-t-elle.
Cette décision judiciaire est la première qui va dans le sens de la famille. Car en parallèle, elle attend toujours que la procédure pénale aboutisse. Une instruction qui jusqu’ici, a pu parfois donner l’impression à la famille que Jérôme Laronze est plutôt l’accusé que la victime. « Dans leurs dépositions, les gendarmes présentent Jérôme comme dangereux, indique Marie-Pierre Laronze. Mais ce que nous dit le jugement du tribunal administratif, c’est que Jérôme était l’agressé. Cela change radicalement les choses. Désormais, je ne vois pas comment les gendarmes peuvent construire une défense. »
Cette décision du tribunal a de fortes conséquences concrètes. Les contrôles ayant été annulés, les décisions qui en découlent aussi. Jérôme Laronze avait notamment eu une condamnation correctionnelle, à partir des procès-verbaux de ces contrôles, en avril 2016 : elle n’a plus de fondement juridique. Par ailleurs, la préfecture avait décidé à la suite de ces contrôles d’une réduction des aides PAC attribuées à l’éleveur, et formulé, après son homicide, une demande de remboursement à la famille. Elle n’a plus lieu d’être. « Cette décision rétablit Jérôme dans ses droits et dans sa dignité », se félicite sa sœur.
Ironie de l’histoire, c’est justement cette lettre du préfet, demandant le remboursement des aides PAC, qui a choqué la famille, et déclenché la procédure. Marie-Pierre Laronze explique : « Cela nous semblait tellement déplacé de nous demander de restituer ces sommes alors que Jérôme avait été tué à la suite d’un contrôle ! Nous avons formulé un recours gracieux au préfet, resté sans réponse. Donc, pour poursuivre, nous n’avions que le tribunal administratif. »
Ce jugement encourage les paysans à relever la tête
Au-delà, ce jugement peut aussi apporter un soutien aux nombreux paysans qui sont contrôlés chaque année. Il montre que le rapport de force était inégal lors de ces contrôles, à l’instar de ce qui peut se passer chez d’autres paysans. « Tout contrôle doit être réalisé dans le respect de la loi et des libertés fondamentales des personnes contrôlées », a ainsi rappelé la Confédération paysanne dans un communiqué publié à la suite du jugement. Le syndicat — auquel adhérait Jérôme Laronze — avait sorti après sa mort un « guide des droits et devoirs et situation de contrôle », afin de permettre aux paysans de mieux gérer ces situations de stress.

Car un seul contrôle peut plonger une ferme dans la crise, même lorsque le paysan tente de faire de son mieux. Et ce d’autant plus que « les normes sont faites pour l’agriculture industrielle et ne correspondent pas aux pratiques de l’agriculture paysanne », précise Jérôme Escalier, porte-parole de la Confédération paysanne de Saône-et-Loire. « Donc, quand arrive le contrôle, forcément, on se demande toujours ce que l’on aura encore mal fait. »
« Ce jugement montre à quel point le monde rural est une zone de non-droit, approuve Marie-Pierre Laronze. On impose aux paysans des réglementations tellement compliquées qu’ils n’ont plus la possibilité de connaître le droit, leurs droits. Et ils peuvent ne pas être respectés par ceux qui ont des pouvoirs importants. »
En Saône-et-Loire et dans le monde paysan, la mort de Jérôme Laronze a choqué, marqué, bouleversé. Ce jugement encourage les paysans à relever la tête. Désormais, « ils ont compris qu’ils ont des droits quand ils sont contrôlés », nous assure Jérôme Escalier.