Meurtre de Jérôme Laronze par un gendarme : la justice ne fait rien

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Agriculture LibertésIl a deux ans, l’éleveur Jérôme Laronze était tué par un gendarme. En portant plainte pour altération de la scène de crime et pour non-assistance à personne en danger, la famille du paysan cherche à faire avancer une enquête sur laquelle Reporterre fait le point.
Lundi 20 mai 2019, cela fera deux ans que le paysan Jérôme Laronze a été tué par un gendarme. Trois balles, tirées en sept secondes, sur un chemin au milieu des champs à Sailly, en Saône-et-Loire. Il était éleveur de vaches à viande à une vingtaine de kilomètres et quelques collines de là, dans le village de Trivy, sur la ferme familiale. L’administration avait décidé de lui retirer ses vaches après une série de déboires. Les contrôleurs étaient venus le 11 mai 2017. Jérôme avait pris la fuite. Avaient suivi neuf jours d’une cavale brutalement stoppée. Le gendarme auteur du meurtre a été mis en examen pour violence avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Tout cela, Reporterre vous l’a raconté en détail [1].
L’enquête est désormais entre les mains d’une juge d’instruction du tribunal de Chalon-sur-Saône. Mais, pour la famille de l’éleveur, le dossier d’instruction s’épaissit bien lentement. Plus précisément, depuis plusieurs mois, « il n’y a pas d’évolution mis à part des actes que l’on a fait nous-mêmes », indique Marie-Pierre Laronze, celle des quatre sœurs de Jérôme Laronze qui suit le dossier judiciaire. Ainsi, deux plaintes complémentaires déposées par les parents et les sœurs de Jérôme, pour altération de la scène de crime et pour non-assistance à personne en danger, ont bien été ajoutées au dossier d’instruction.
Engorgement du tribunal
La plainte pour non-assistance à personne en danger a été déposée car, nous indiquait Marie-Pierre Laronze il y a quelques mois, « Jérôme n’est pas mort immédiatement. Les pompiers sont arrivés 25 minutes après les tirs. Que s’est-il passé pendant ce temps ? Rien. Jérôme était dans une mare de sang. Personne ne l’a extrait de sa voiture ou ne lui a fait de point de compression. À l’arrivée des pompiers, un gendarme a tenté de s’opposer à ce qu’ils l’extraient. »
La plainte pour altération de la scène de crime vise, elle, à éclaircir un mystère : six balles ont été tirées, mais seulement deux « étuis » — c’est-à-dire des douilles — ont été ensuite retrouvées par terre. « Pour nous, il y a eu un prélèvement des étuis, nous disait encore Marie-Pierre Laronze. On veut savoir ce que l’on cherche à nous cacher. » Par ailleurs, un de deux étuis retrouvés pourrait selon elle indiquer l’emplacement du gendarme au moment où il a tiré. Mais, la sœur de Jérôme Laronze déplore que cet étui ait été ignoré par les études de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN).
Pourtant, malgré cet élargissement du champ de l’instruction, « il n’y a rien de plus dans le dossier qu’en novembre dernier », déplore l’avocat de la famille, maître Julien Chauviré. « Notre crainte était que la procédure se referme très vite. Avec ces plaintes, on s’est donné du temps, de l’air. La limite est qu’on a désormais exploité tout ce que l’on pouvait dans le dossier. Maintenant, on est plongés dans une attente infernale. »

Une explication de cette attente tiendrait au fait que les juges d’instruction sont débordés. « Une grosse partie de l’immobilisme du dossier est lié à cela, reconnaît maître Chauviré. Mais je ne pense pas non plus que les magistrats soient très motivés pour faire avancer les choses. »
Pour Marie-Pierre Laronze, « l’engorgement du tribunal ne justifie rien. C’est une excuse un peu facile. Il y a des actes qui peuvent être rapidement lancés. Pourquoi la juge ne demande-t-elle pas à l’IRCGN de tirer les conclusions de l’emplacement de cet étui ? Pourquoi ne demande-t-elle pas que les gendarmes soient réentendus, qu’on leur demande pourquoi ils n’ont apporté aucun soin à Jérôme et pourquoi il manque des étuis ? Pareil avec les pompiers. Il y a un malaise, ils n’ont voulu aucun contact avec la presse, cela interpelle. »
Le soutien de la Ligue des droits de l’Homme
Reporterre avait d’ailleurs tenté de contacter les pompiers présents le jour de la mort de Jérôme Laronze. Ils avaient refusé toute interview, expliquant être soumis au secret de l’instruction. Même silence chez le personnel soignant présent le jour de la mort de Jérôme Laronze, mais aussi dans l’administration, la hiérarchie de la gendarmerie, chez les élus locaux et, plus largement, dans le monde agricole environnant.
Pour cet article, Reporterre n’a pas pu joindre le procureur de la République du tribunal de Chalon-sur-Saône, son secrétariat n’ayant répondu ni jeudi ni vendredi. Maître Gabriel Versini, avocat du gendarme mis en examen, n’a pas encore répondu à nos questions non plus. Il nous a expliqué être en audience toute cette fin de semaine. Sa dernière déclaration sur l’affaire de la mort de Jérôme Laronze a été publiée dans le Journal de Saône-et-Loire au mois de mars, où il réagissait à l’annonce de la création d’une pièce de théâtre sur l’histoire du paysan. « Ça devient ubuesque : d’un drame, on en tire des glorioles au niveau culturel, déclarait-il. Que des gens se réunissent tous les mois, c’est une chose. (…) Mais certains pensent-ils qu’avec cette surenchère médiatique et culturelle, on va influer sur l’autorité judiciaire ? (...) Certains en sont à rédiger contre mon client des libelles qui sont insultants, méprisants et discriminants. Ça commence à bien faire ! En salissant le gendarme, ils salissent aussi l’institution et l’autorité judiciaire. » Pour des déclarations concernant l’affaire judiciaire en elle-même, nous ne pouvons pour l’instant que vous renvoyer à notre interview de Maître Versini à la suite de notre article d’octobre 2017, en attendant un prochain échange.
De son côté, la famille a été assurée du soutien de la Ligue des droits de l’Homme, qui a indiqué qu’elle se constituerait partie civile lors de l’audience. En parallèle, une procédure a été lancée auprès du défenseur des droits, qui est entré en contact avec la famille. « On se doutait que du côté des gendarmes, il n’y aurait pas beaucoup de volonté de faire avancer l’enquête, mais on attendait un contrepoids du côté judiciaire. Cela donne une image assez catastrophique de la justice », regrette Marie-Pierre Laronze.
Dimanche 19 mai se déroulera une « journée d’hommage et de réflexion pour le 2e anniversaire de la mort de Jérôme Laronze » à Cluny, en Saône-et-Loire.