Julien Le Guet, l’homme qui fait trembler les mégabassines

Julien Le Guet à Niort, le 28 novembre 2022. - © Yoan Jäger / Reporterre
Julien Le Guet à Niort, le 28 novembre 2022. - © Yoan Jäger / Reporterre
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Luttes MégabassinesJulien Le Guet est porte-parole du collectif Bassines non merci. Amoureux du marais poitevin depuis l’enfance, il est engagé corps et âme dans la lutte contre ces immenses réservoirs et pour la préservation de l’eau. [5/5]
Dans les forêts du Morvan, dans le marais poitevin, à l’Assemblée nationale… Reporterre met en avant cinq personnalités qui ont fait 2022.
Julien Le Guet, l’un des premiers « écoterroristes » de France ? « Il ne faut pas mettre ça en titre ! », s’amuse le porte-parole du collectif Bassines non merci. On doit ce terme à Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, qui entendait ainsi criminaliser les opposants aux projets de bassines dans les Deux-Sèvres.
En guise de criminel, c’est un homme chaleureux que Reporterre a rencontré alors qu’il était de passage à Paris. Un rendez-vous bref. Son téléphone n’arrête pas de sonner. Preuve de l’importance que la lutte contre les mégabassines, ces énormes réserves d’eau dédiées à l’agro-industrie, a pris en France. Preuve aussi de l’efficacité d’un militant qui allie amour sincère d’un territoire menacé, le marais poitevin, art du bon mot — « no bassaran ! » hurle-t-il au micro lors des manifs — et radicalité dans la lutte.

En ce moment, il fait le tour des médias, organise des conférences de presse et emmène les journalistes dans sa barque à la découverte des marécages du Poitou. Le tout pour faire passer son message : il s’agit d’une lutte pour le partage d’un bien commun, l’eau.
« Nous essayons de faire comprendre que ce n’est pas seulement un dossier charentais mais une affaire au retentissement national. » Mission accomplie : France 3 a diffusé début décembre un portrait du militant, « Julien, le marais et la libellule », et les mégabassines font parler d’elles jusqu’aux États-Unis, dans les colonnes du New York Times.
« Ils sont en train de nous préparer la même chose qu’à Bure »
La veille de notre rencontre, l’infatigable militant était devant le tribunal de Niort pour soutenir les cinq participants à la manifestation contre la bassine de Sainte-Soline, condamnés à des peines de prison avec sursis. « Je suis préoccupé par les copains qui commencent à subir la répression. Et ce n’est que le début. Ils sont en train de nous préparer la même chose qu’à Bure », soupire Julien Le Guet, en référence aux procès et à la surveillance subie par les militants antinucléaires de la Meuse.
Lui a déjà vécu une garde à vue, une perquisition à son domicile, ainsi que quatre ou cinq auditions libres à la gendarmerie. [1] « Qu’est-ce que je vais gagner à la dixième ? » sourit-il, laissant apparaître ses dents du bonheur. « Je suis conscient des risques auxquels je m’expose, que ce soit en termes judiciaires ou de mesures de rétorsion. Mais c’est le jeu », poursuit l’homme de 45 ans.

Né en Picardie, le petit Julien, fils d’instituteurs, a découvert le Marais poitevin enfant. Il passait ses étés avec ses copains « à vivre à la sauvageonne ». « Il y avait une profusion de couleurs et de toutes sortes de bestioles, des larves aquatiques, des libellules… C’était aussi la première fois que je pêchais et que j’avais un poisson tout frétillant entre mes mains. J’avais l’impression de faire corps avec ce milieu. »
Sa biographie est une somme d’efforts pour préserver ce fragile écosystème. « Il est viscéralement attaché à ce marais et donc viscéralement attaché à la lutte. C’est dynamisant, ça donne envie à plein de gens d’y mettre autant d’énergie », résume Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne joint par Reporterre.
Mangeoires et sorties naturalistes
Batelier dès 14 ans, c’est même à l’adolescence que Julien Le Guet commence à transmettre sa passion pour ces canaux en embarquant des visiteurs — c’est d’ailleurs aujourd’hui son métier. Jeune adulte, définitivement installé dans la région et révolté par l’agriculture industrielle qui puise dans le marais et l’assèche, il a créé avec des amis L’Evail, une association de protection du marais.
« Nous avons été un gros caillou dans la chaussure des aménageurs », assure-t-il. Dans le numéro zéro du fanzine de l’asso — une quarantaine d’adhérents tout de même — on trouve un tutoriel pour fabriquer une mangeoire, un calendrier de sorties naturalistes et des critiques des politiques d’aménagement locales. Car Julien Le Guet sait qu’il faut s’intéresser aux arcanes du pouvoir, aux décisionnaires.
« On a réalisé qu’elles allaient être utilisées pour la culture intensive de maïs »
À 23 ans, titulaire d’une licence de biologie, il a d’ailleurs tenté un engagement plus classique : il était notamment chargé de mettre en place une zone Natura 2000 dans le Parc naturel régional du Marais poitevin. Il a vite déchanté devant le poids des « lobbies agricoles, notamment celui de la FNSEA » (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles). Retour au militantisme de terrain, donc.
Fort d’un savoir tant naturaliste que des politiques locales, quand il a entendu parler des mégabassines — dès les années 2000 ! — il s’est tout de suite douté de l’entourloupe. Officiellement baptisées « retenues de substitutions », elles étaient à l’époque, comme aujourd’hui, présentées comme la solution pour concilier la préservation des milieux naturels et l’irrigation intensive.
« On a vite commencé à se poser des questions avec les copains. Quelle allait être leur taille ? Comment allaient-elles être remplies ? On a réalisé qu’elles allaient être utilisées pour continuer la culture intensive de maïs [2]. On a alors décidé de se battre. » Si la lutte est médiatique aujourd’hui, grâce à un savant mélange de soutien politique et scientifique, d’intérêt renouvelé pour les actions spectaculaires et d’aggravation du changement climatique, elle est loin d’être nouvelle.
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C’est en 2017 qu’elle est montée en force : à l’époque, Julien et d’autres ont lancé le collectif Bassines non merci. Le but : dénoncer le projet de construction de 19 (à l’époque, 16 aujourd’hui) réserves en sud Deux-Sèvres — budget : 59 millions d’euros.
Une première manifestation fût organisée fin novembre cette année-là : 1 500 personnes formaient une chaîne humaine autour du site prévu pour la mégabassine d’Amuré (18 hectares). « Tout de suite, on a vu que notre combat rencontrait un large écho, car il n’y avait jamais eu une manifestation de 1 500 personnes dans le marais sur des sujets environnementaux. » Cinq ans plus tard, la première bassine, celle de Mauzé-sur-le-Mignon, est construite. Son remplissage a commencé juste avant Noël.

La bataille n’a fait que s’amplifier. Les militants ont multiplié les recours en justice, les pétitions et mobilisations. En quelques années, ils ont réussi le tour de force de réunir les syndicats, les élus, les tracteurs de la Confédération paysanne et des militants plus radicaux.
« Le plus beau dans notre mouvement, c’est cette compréhension réciproque et le respect de la culture de l’autre. Tout le monde n’a pas les mêmes modalités d’action, mais on poursuit des buts communs. Cela implique une certaine tolérance », poursuit Julien le Guet.
Cette union n’est pas sans rappeler la grande époque de la zad de Notre-Dame-des-Landes, contre un projet d’aéroport. « Beaucoup de gens des bassines étaient aussi présents à Notre-Dame-des-Landes. C’est la suite de l’histoire, une sorte de super comité de jumelage. »
Une caméra de surveillance déplacée… devant un terrier de loutre
Cela fait maintenant cinq ans que Julien Le Guet est porte-parole du collectif Bassines non merci. Une tâche qu’il endosse avec humilité : « Il semblerait que j’ai de la tchatche. C’est un atout que je mets au service du collectif. Le jour où les copains me diront que cela ne marche plus, je n’en ferai pas toute une histoire. »
« Il sait à quel moment il peut se permettre des punchlines qui marquent aussi bien les gens dans la lutte que les journalistes qui les reprennent », assure Nicolas Girod. Son humour mordant est une arme de résistance — il a même dédicacé une affiche du collectif Bassines non merci au patron des renseignements généraux en Deux-Sèvres lorsque ce dernier a pris sa retraite.
Et qu’a-t-il fait quand il a su que la maison de son père, dans laquelle il organise des réunions du collectif, était espionnée par une caméra de surveillance ? Il l’a déplacée devant un terrier de loutre. « Le fait de s’en prendre aux puissants de manière un peu goguenarde, ça parle aux gens. Peut-être que la rigolade et la légèreté peuvent compenser la gravité de la situation. »
Après son père, c’est son neveu, Valentin, qui a été pris pour cible. Le jeune homme a été tabassé devant son domicile alors qu’il rentrait après un footing. Il aurait été insulté dans des termes qui, selon le collectif des Soulèvements de la Terre, ne laisseraient aucune ambiguïté quant aux motivations politiques de ses agresseurs.
« J’ai besoin de lutter pour me regarder en face »
Comment tenir, alors que trente nouvelles mégabassines sont en projet dans la Vienne, prévues par un protocole ratifié quelques jours à peine après la grande manifestation — un tournant dans la mobilisation — contre la réserve de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres ? Qu’il y a un procès, encore un, des militants antibassines début janvier à Niort ?
« La force, la fraternité, la sororité qu’on trouve chez les militantes et militants est incroyable. Je crois que j’ai besoin de lutter pour me regarder en face. C’est le combat de ma vie », conclut l’homme en frottant ses mains puissantes et noueuses. Il termine son café et file prendre son train qui le ramène dans son cher marais poitevin. Il a de quoi faire. Plusieurs rassemblements sont programmés dans les prochains mois, notamment une manifestation nationale le 25 mars prochain. « No bassaran ! »