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Cyrielle Chatelain, l’écolo qui secoue l’Assemblée

Cyrielle Chatelain, présidente du groupe EELV à l'Assemblée nationale.

Députée de l’Isère depuis les dernières législatives, engagée depuis ses 18 ans chez les Verts mais inconnue du grand public, la présidente du groupe à l’Assemblée nationale Cyrielle Chatelain est une bosseuse, fiable et efficace.

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Si vous souhaitez en savoir plus sur la personnalité et les goûts de Cyrielle Chatelain, ce n’est pas la décoration de son bureau de l’Assemblée nationale qui vous aidera à percer le mystère. Sur la table beige où la députée écolo planche sur les projets de loi, rien ne dépasse : pas de photographie de ses deux filles, pas de bouquins placés ostensiblement en évidence, mais des documents de travail parfaitement alignés. Seuls trois discrets objets permettent de cerner davantage la présidente du groupe écologiste au Palais Bourbon. Un pin’s « Climat et droits humains, même combat » posé sur le socle d’une lampe ; un « jeu de l’oie de l’énergie » qui a trouvé sa place sur une étagère ; une petite affiche du Green new deal représentant une femme dont le corps est rempli de fleurs et de papillons. Voilà pour le décor. C’est que l’élue de 35 ans, qui nous reçoit par une froide journée de décembre, a la réputation d’être simple, fiable et bosseuse. Alors, pas de place pour les fioritures : Cyrielle Chatelain, dont c’est le premier mandat, ne prend pas à la légère les devoirs qui incombent aux parlementaires. « Quand on prend la parole dans l’hémicycle, ça n’est pas que pour nous : nous sommes là pour représenter et porter la voix de celles et ceux qui nous ont élus, mais aussi plus globalement celle des écologistes », dit-elle posément.

« L’objectif est de grandir, en s’affirmant en tant que parti mais aussi en coopérant avec les autres partis de la Nupes. » @ Mathieu Génon / Reporterre

Les élections législatives de juin 2022 ont en effet marqué le retour des écolos à l’Assemblée, après cinq ans de passage à vide. Vingt-trois députés Europe Écologie-Les Verts (EELV), partie prenante de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes), y forment désormais un groupe parlementaire. Cyrielle Chatelain en est la présidente, après avoir un temps occupé cette fonction avec Julien Bayou, depuis mis en retrait en raison d’accusations de violences psychologiques. À ce titre, elle a défendu au nom de la Nupes la première motion de censure contre l’exécutif, le 24 octobre. « Vous n’avez pas trahi. Pire : vous avez déserté vos responsabilités », a-t-elle lancé, combative, au gouvernement. Malgré cette intervention remarquée, Cyrielle Chatelain, bien connue au sein du parti écologiste, reste tout de même inconnue du grand public. « Pour une personne qui ne la connaît pas personnellement ou qui ne fait pas partie d’EELV, son ascension en tant que présidente de groupe peut paraître étonnante : elle n’était pas sur le devant de la scène. Mais en fait, c’est logique. Cyrielle était prête et légitime à être députée, et vu les équilibres internes au groupe parlementaire des écolos, cela fait aussi sens qu’elle en ait été désignée présidente », note Bruno Bernard, président EELV de la métropole de Lyon, dont elle a un temps fait partie du cabinet. Il y a quelques années, il a « repéré » Cyrielle Chatelain au sein du parti : « Elle est sérieuse, efficace, collective. Avant même d’être élu à la métropole, en 2020, je savais que c’était la première personne que je voulais recruter. C’est quelqu’un avec qui j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler. »

Il est indispensable d’avoir une voix écolo à l’Assemblée

La jeune femme emploie deux mots pour décrire sa nouvelle vie, qu’elle partage entre Paris et Eybens, commune de la deuxième circonscription de l’Isère dont elle est la députée : « responsabilité » et « fierté ». La responsabilité, d’abord : « C’est un sentiment que l’on partage tous. Nous avons des enjeux énormes face à nous, et il est indispensable aujourd’hui d’avoir une voix écolo à l’Assemblée nationale. Il y a une voix singulière de l’écologie politique. » La fierté, ensuite. « Nous avons des profils et une expression politique divers, mais nous sommes tous extrêmement cohérents et soudés afin de remplir notre objectif : trouver tous les espaces possibles pour faire gagner l’écologie », affirme la native de Montbéliard (Doubs).

Certes, entre l’affaire Bayou, les conflits entre écolos ou encore l’affaire Quatennens, la rentrée parlementaire de la gauche « n’était pas celle qu’[ils] espéraient ». Mais le grand sourire dont Cyrielle Chatelain ne se départit jamais cache une détermination à toute épreuve : « Évidemment que l’on doit faire des progrès : sinon, on aurait gagné la présidentielle. Mais une « dynamique de reconstruction » est en cours, assure-t-elle, notamment grâce à la création de la Nupes. « Dans la foulée de notre Congrès, une nouvelle étape s’ouvre pour EELV : l’objectif est de grandir davantage, en s’affirmant en tant que parti mais aussi en coopérant avec les autres partis de la Nupes. Ils nous rendent plus forts dans nos combats, et réciproquement. » 

L’élue a planché sur le projet de loi sur les énergies et s’inquiète du retour en force du nucléaire. @ Mathieu Génon / Reporterre

EELV est un parti que Cyrielle Chatelain connaît bien : elle y a occupé plusieurs fonctions depuis ses 18 ans (militante, trésorière, cosecrétaire fédérale des Jeunes écologistes…). « Ce mandat de députée est la continuité de quinze ans d’engagement politique », note-t-elle, saluant aussi la dynamique collective à l’œuvre derrière son élection — son suppléant est un Insoumis. Fille d’éducateurs spécialisés très engagés à gauche, cette lectrice de Silvia Federici et de Bruno Latour a vite perçu le combat écologique comme « une évidence ». « Qu’est-ce qui nous permet de mieux vivre ? Comment on partage, et qu’est-ce qu’on partage pour que chacun puisse vivre décemment et pour préserver la nature ? Voilà les questions essentielles », explique-t-elle, le regard vif derrière ses grandes lunettes.

Liens entre justice sociale et écologie

Diplômée d’une double licence de philosophie et de science politique mais aussi d’un master 2 en entrepreneuriat en économie sociale et solidaire, l’amatrice de BD a eu plusieurs emplois et fonctions avant de devenir députée. « Certains étaient en politique, d’autres complètement en dehors, explique-t-elle. Mais j’ai toujours cherché à ce que mon travail soit en cohérence avec mes engagements et mes valeurs. » Assistante parlementaire du député écologiste Éric Alauzet de 2012 à 2014, elle est ensuite entrée au cabinet de la métropole de Grenoble. Dans la ville dirigée par le maire Éric Piolle — dont elle soutenait la candidature à la primaire écolo de septembre 2021 —, elle était en charge du suivi du Plan local d’urbanisme (PLU) et du Plan local de l’habitat (PLH). Celle qui a aussi travaillé pour des bailleurs sociaux ou des associations d’insertion par le logement se souvient très bien « des appels de personnes extrêmement précaires, qui vivaient dans des conditions indignes tout en payant des factures astronomiques ». Ce combat, emblématique des liens entre justice sociale et écologie, lui tient particulièrement à cœur.

Ce n’est pas le seul : l’élue cite également la question de l’énergie. Elle a par exemple planché activement sur le projet de loi sur les énergies et s’inquiète du retour en force du nucléaire. Elle estime aussi « prioritaire » la « bataille culturelle » à mener contre l’extrême droite — 89 députés Rassemblement national ont été élus en juin. « Les digues sont en train de sauter à l’Assemblée mais aussi dans la société. La situation est critique ». Toujours cette question de responsabilité : « Être élue n’est pas une fin en soi. Quand on fait ce choix-là, c’est que l’on a des choses à dire et à apporter. »

« La réforme des retraites est le grand combat de la rentrée »

Des choses, elle souhaite en tout cas en dire à Élisabeth Borne. Dans la foulée de notre entretien, Cyrielle Chatelain a en effet rendez-vous avec la Première ministre pour causer retraites. « Ça va être le grand combat de la rentrée. Là où Emmanuel Macron parle de réforme, moi je vois une mesure d’économie budgétaire que l’exécutif veut faire peser sur les Français les plus fragiles, et qui ont les métiers les plus pénibles », tance-t-elle. « La question des retraites est une lutte écolo, une lutte Nupes. On refuse de se laisser enfermer dans la vision productiviste et financière de l’exécutif. » Pour la députée, le 49.3 qui ne cesse d’être dégainé par le gouvernement est un aveu de faiblesse. « Est-ce frustrant de travailler pour au final voir la Première ministre passer en force ? Évidemment. Mais le 49.3 est plus leur échec que le nôtre : depuis le début, ils mettent en scène une concertation dont ils n’ont en fait jamais voulu. Ils ne sont pas en phase avec la réalité du pays. » Cyrielle Chatelain, comptant notamment sur des synergies avec la société civile, affirme très tranquillement : « Il va en falloir bien plus pour nous fatiguer. »



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