L’Arctique ne sera pas de sitôt une grande route maritime

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Contrairement aux idées reçues, la fonte des glaces en Arctique ne permet pas à un grand nombre de navires commerciaux de traverser le pôle nord. L’augmentation de la navigation concerne surtout la desserte locale des communautés Inuit et l’acheminement des produits issus des mines dans l’archipel canadien.
Depuis 2007, chaque année à la fin de l’été, le couplet médiatique sur l’explosion du trafic maritime en Arctique refait surface. Certes la fonte de la banquise due au réchauffement climatique rend la région arctique beaucoup plus attrayante et facile d’accès aux navires de toutes sortes : cinq mille kilomètres de moins entre Londres et Tokyo, cela représente d’importantes économies de carburant et de temps, deux éléments cruciaux pour les entreprises de transport maritime. Mais le trafic ne suit pas…
« Certains journalistes vont jusqu’à annoncer que le transit commercial est très important ! Pourtant plusieurs facteurs devraient inciter à la prudence quand on parle d’autoroute arctique », dit Paula Halley, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement à l’Université Laval au Québec, lors du colloque l’Ours polaire et l’Environnement Arctique, qui se déroulait récemment à Paris.
« Le trafic maritime augmente en Arctique mais l’analyse des flux suggère encore de sérieux obstacles. Il est prématuré de croire à la création d’un corridor de navigation permanent qui lierait l’Atlantique au Pacifique ».
Ces nouvelles routes maritimes pourraient emprunter deux voies pour traverser l’Arctique : le passage du Nord-Est, qui serpente à travers les archipels sibériens et celui Nord-Ouest, qui longe les côtes canadiennes. Mais le coût prohibitif de la navigation dans les eaux russes et la menace constante d’icebergs flottants au gré des tempêtes découragent les possibilités de trafic intense dans cette zone.

- Les deux routes maritimes trans-arctiques -
Le passage du Nord-Est coûte cher et demeure dangereux même en été
Le passage du Nord-Est (en rouge sur la carte) passe par le cap Nord, le détroit de Kara, et aboutit au détroit de Béring. C’est le plus court chemin de l’Europe à l’Asie. La Russie le maintient ouvert à l’aide d’un important dispositif (ports de ravitaillement le long de la route) et des brises glaces nucléaires car elle tient à avoir accès à l’océn Pacifique en toute circonstance.
Dès 1978 la navigation en toute saison a été inaugurée entre Mourmansk et Doudinka en Sibérie. « Depuis 1991 cette route est ouverte à un trafic international, mais si on étudie les statistiques peu de navires transitent entre l’Europe et l’Asie » fait remarquer la chercheuse. En 2012 et 2013, seuls 25 navires internationaux ont emprunté cette route et 46 navires russes.
Pour Paula Halley, plusieurs facteurs expliquent le peu d’affluence dans cette zone : « Les coûts de péages sont très élevés ainsi que le prix de l’accompagnement obligatoire par les brises glaces russes ».
De plus malgré la fonte des glaces en Arctique, le passage demeure dangereux et imprévisible. « La banquise qui fond en été se reforme à l’automne. Aucun scénario climatique ne prévoit sa disparition totale en hiver. De véritables murs de glaces peuvent stopper les navires et les endommager très facilement ».
Toute l’année, les archipels arctiques connaissent de fortes marées et des courants océaniques très violents. Ces phénomènes météorologiques extrêmes vont s’accentuer à cause du réchauffement climatique. « Les tempêtes pourraient se déplacer des latitudes moyennes vers l’Arctique » ajoute la chercheuse.

- Juillet 2012 : un énorme morceau du glacier de Petermann (Groenland) se détache et dérive sur les eaux arctiques
Ces contingences ont un coût élevé. Il faut des navires à coques renforcées, qui sont plus chers à construire et à exploiter, et consomment davantage de carburant car ils sont plus lourds et moins hydrodynamiques. « Pour amortir ces coûts il faudrait mettre en place des lignes régulières, mais la régularité n’est pas envisageable en Arctique à moyen terme, car même si l’on sait que la banquise fond en été, il est toujours difficile de prédire à quelle date les voies seront navigables » rappelle la chercheuse canadienne.
La fonte de la calotte polaire du Groenland augmente la présence d’imposants icebergs qui, tels des îles de glaces, peuvent atteindre la superficie de Paris et dérivent au gré des courants marins.
Pour couronner le tout, certains détroits ne livrent le passage qu’à des bateaux à tirant d’eau très modéré, ce qui exclut la plupart des porte-containers des grands acteurs du trafic maritime international.
De nombreux accidents entre 2004 et 2009
Dans l’archipel canadien, la situation est encore plus délicate. La rigueur de l’hiver ferme totalement le passage du Nord-ouest. Il n’y a pas de péage dans cette zone par manque d’infrastructure et de service. Depuis 2007, la fonte de la glace permet une navigation uniquement en été et « le pont arctique » entre Mourmansk et Churchill se développe lentement depuis que ce port canadien a été modernisé.
Du point de vue des armateurs qui dirigent les entreprises maritimes, la navigation sur ces routes comporte des risques réels. « Le 8 décembre 2004, un navire malaisien transportant des céréales s’échouait, à cause d’une panne de moteur en pleine tempête, sur une île au large du nord de l’Alaska : six personnes perdirent la vie et plus d’un million de litres de carburant se déversèrent dans la mer ».
Selon le bureau canadien de la sécurité des transports, vingt-quatre accidents se sont produits entre 2004 et 2009. Ces naufrages sont une catastrophe pour les écosystèmes marins et la population Inuit qui utilise la glace pour se déplacer, chasser et pêcher.
Car l’Arctique abrite des peuples autochtones qui connaissent bien leur environnement et naviguent toute l’année dans de petits bateaux à moteur : au dernier recensement, le Canada comptait près de cinquante mille Inuits, dont 80 % vivent dans la « patrie Inuit » (Inuit Nunaat).
Les Inuits naviguent plus que les porte-conteneurs
En fait, si le trafic a augmenté en Arctique, il ne s’agit pas de transit commercial international mais plutôt d’un transit de desserte locale des communautés Inuit et des sites miniers au Canada. Pour ce type de navigation, les volumes à transporter sont limités même si l’on voit leur nombre augmenter.

- Famille Inuit voyageant en bateau à Qamutiq au Nunavut, Canada -
« S’il parait évident que la plupart des scénarios de développement de l’Arctique sont conditionnés par le transport maritime, il apparait que le trafic régional à l’intérieur des eaux arctiques est à privilégier » conclut Paule Halley. Une autre façon d’envisager la lutte contre réchauffement climatique dans cette région du monde.