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Énergie

L’Écosse voit son avenir dans les éoliennes off-shore

En Écosse, les partisans de l’indépendance vantent le potentiel des énergies renouvelables marines comme outil d’émancipation de l’Angleterre. Cependant, le pays reste très dépendant des hydrocarbures.

  • Édimbourg (Écosse), correspondance

Depuis les années 1970, l’Écosse a bâti une partie de sa prospérité sur le pétrole de la mer du Nord. Mais durant la décennie 2000, les réserves d’or noir ont commencé à se réduire sérieusement et la préoccupation climatique s’est développée. Le Scottish National Party (SNP, indépendantiste), arrivé au pouvoir en 2007, a alors choisi de remplacer le mot « pétrole » par « énergies renouvelables », jugeant que, avec ses longs littoraux et ses vents puissants, l’Écosse avait « gagné à la loterie naturelle », selon les mots de l’ancien Premier ministre Alex Salmond.

Depuis vingt ans, le pays a ainsi largement investi dans les énergies renouvelables et en particulier l’éolien sur terre. « Les Écossais ont misé sur cette technologie car c’était la plus mature et la plus adaptée aux caractéristiques territoriales du pays. Mais le gouvernement a aussi largement soutenu l’éolien en mer ainsi que des énergies plus émergentes, comme le houlomoteur et l’hydrolien », indique à Reporterre le chercheur en énergie Sylvain Roche. Entre 2008 et 2019, les capacités de production d’électricité de l’éolien en mer sont ainsi passées de 10 MW (mégawatts) à 980 MW. Entre-temps, l’Écosse a été le premier pays au monde à construire une ferme éolienne flottante. Quant aux installations s’appuyant sur l’énergie marémotrice et houlomotrice, leurs capacités sont passées de 0,1 MW en 2009 à 22 MW dix ans plus tard.

Aujourd’hui, c’est l’hydrogène qui concentre tous les espoirs 

Pour les nationalistes, développer les énergies renouvelables crédibilise le projet indépendantiste. Dans leur discours politique, le vent et l’eau sont ainsi présentés comme les nouvelles sources d’une future prospérité économique. En 2013, soit un an avant le référendum pour l’indépendance, le gouvernement nationaliste écossais prévoyait ainsi que les énergies renouvelables allaient générer quatorze milliards de livres d’ici à l’horizon 2050 et créer des dizaines de milliers d’emplois (près de trente mille pour le seul éolien offshore) [1]. Aujourd’hui, c’est l’hydrogène qui concentre tous les espoirs. Dans sa dernière feuille de route publiée en décembre dernier, le gouvernement prévoyait que les capacités de l’éolien en mer seraient de 11 GW d’ici 2030, près de dix fois plus qu’aujourd’hui, de quoi produire de larges quantités d’hydrogène « vert ».

À l’heure actuelle, les nationalistes aiment à rappeler ces chiffres qui datent pourtant de 2011 : l’Écosse possède 25 % du total des ressources éoliennes en mer et de l’énergie marémotrice en Europe. Présenté ainsi, ce bilan a de quoi faire rêver. Mais le pays a-t-il vraiment opéré sa transition énergétique ? Pas sûr. Pour Sylvain Roche, il s’agit partiellement d’un fantasme. « Les nationalistes entretiennent un discours mythifié et généalogique sur l’histoire énergétique écossaise, celui d’un pays riche en ressources naturelles et valorisables, et qui aurait d’abord naturellement exploité le charbon au XIXe siècle, puis le pétrole au XXe siècle, et se tournerait désormais au XXIe siècle vers les énergies renouvelables », explique-t-il. En réalité, cette dernière phase n’est pas si évidente. Certes, la dernière usine à charbon a été fermée en 2016 et le SNP s’est toujours fermement prononcé contre le nucléaire. En 2019, le gouvernement écossais n’a d’ailleurs pas hésité à annoncer que 90 % de la consommation d’électricité du pays était issue des énergies renouvelables. Cependant, l’électricité ne représente que 22 % de la consommation d’énergie totale, le reste servant à la production de chaleur (51 %) et au transport (25 %). Or, contrairement à l’électricité, ces deux derniers secteurs sont encore très gourmands en énergies fossiles.

 Une « fracture entre la base du parti et les instances dirigeantes »

Et pour cause, car l’Écosse peine à renoncer à sa manne pétrolière. En 2017, la Première ministre Nicola Sturgeon avait affirmé que « le gouvernement écossais continuera à soutenir autant qu’il le peut les secteurs pétrolier et gazier ». De quoi faire enrager les écologistes au sein du parti. En février 2020, Craig Berry a créé le SNP Common Weal Group, une plateforme interne destinée à pousser le SNP à adopter une politique énergétique plus verte. Pour le militant, il est urgent d’accélérer la transition, ce qui implique d’abandonner les énergies fossiles. Une position qui ne fait pas consensus : d’après lui, il existerait une « fracture entre la base du parti et les instances dirigeantes », les secondes étant plus frileuses à l’idée de laisser les hydrocarbures au fond de l’océan.

Le « Pacific Orca », navire spécialisé dans l’installation d’éolienne en mer dans le port écossais de Nigg, il y a trois ans.

Une question reste cependant en suspens : si à l’avenir l’Écosse tournait le dos au pétrole, pourrait-elle vraiment financer ses énergies vertes ? Pour les unionistes, la réponse est non. Selon eux, les structures des énergies renouvelables n’ont pu voir le jour que parce que leur coût était supporté par l’ensemble des Britanniques.

Mais les indépendantistes jugent que c’est au contraire à cause de son appartenance au Royaume-Uni que l’Écosse a été empêchée d’exploiter ses ressources naturelles. Car si le gouvernement écossais dispose en effet d’un pouvoir de décision sur les énergies renouvelables, c’est Londres qui arrête le budget. Or depuis 2010, les gouvernements conservateurs britanniques successifs ont réduit l’engagement de l’État en faveur de l’éolien terrestre et du solaire. En 2017, l’investissement total du Royaume-Uni dans les énergies renouvelables a ainsi dramatiquement chuté de 56 %. Pour Tom Wills, ingénieur spécialisé dans l’énergie des vagues et des marées et militant au SNP, cela n’a rien d’étonnant : « Cela fait des décennies que Londres a donné la priorité aux services financiers. Or nous avons besoin d’une vraie stratégie industrielle qui réponde aux besoins de la population écossaise. Or je pense que cela a plus de chances d’arriver avec un gouvernement écossais indépendant. »

Mais par où commencer ? Pour Tom Wills, il faut regarder vers l’avenir : « Je travaille dans les énergies marines depuis douze ans. Nous progressons rapidement sur l’énergie marémotrice, quant à l’énergie houlomotrice, nous n’en sommes vraiment qu’au début. »

Les indépendantistes réclament que l’État crée enfin une entreprise publique de l’énergie 

Si le pays obtient son indépendance, les nouvelles énergies renouvelables risquent de profiter avant tout aux multinationales. Le marché de l’électricité ayant été complètement libéralisé, la quasi-totalité des éoliennes du pays appartiennent en effet à des entreprises publiques étrangères comme la Française EDF, la Suédoise Wattenfall, la danoise Ørsted ou encore la Chinoise Red Rock, se désole Craig Berry. Certes, l’implantation de ces compagnies occasionne des revenus pour le gouvernement écossais qui les taxe et permet aussi de créer de l’emploi. Mais pour les indépendantistes, cela n’est pas suffisant. Ces derniers réclament que l’État crée enfin une entreprise publique de l’énergie.

Ce projet était une promesse de Nicola Sturgeon en 2017. Mais force est de constater que quatre ans plus tard, il n’a pas toujours pas vu le jour tandis que 400.000 livres sont partis en fumée auprès de consultants. Un échec qui, couplé avec la politique propétrole du SNP, fait grincer des dents chez les militants écologistes. « Nous sommes bien conscients de l’immense occasion que pourrait représenter l’indépendance dit à Reporterre Ryan Morrison, de Friends of the Earth Scotland. Pour autant, il n’y aucune preuve que ce gouvernement écossais adopterait une approche fondamentalement différente en matière de transition économique s’ils l’obtenaient. » Le 6 mai, les électeurs sont appelés à voter pour le Parlement écossais. Reste à voir s’ils seront davantage convaincus.

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