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Europe

L’Europe finance largement l’industrie de la surveillance des citoyens

Alors que l’Union européenne investit comme jamais dans la « sécurité », un rapport décrit l’influence des entreprises privées dans la définition de cette politique. Selon les auteurs, « la poursuite privée du profit a été confondue avec l’intérêt général du public, au prétexte d’une “sécurité” dont la démocratie paie le prix ».

Alors que le projet de l’Union européenne perd de sa crédibilité, plombé par la crise économique, la montée des partis anti-UE et le vote de Brexit, il se renforce en matière de politique de sécurité avec le soutien politique de tous les États membres, et avec des financements en augmentation constante.

Le programme de recherche de l’Union européenne en matière de « sécurité » est en fait piloté par les entreprises qui en sont les principales bénéficiaires. Les sociétés transnationales reçoivent en effet des millions d’euros de fonds publics, au titre de la recherche, pour développer des technologies de surveillance et d’espionnage de plus en plus intrusives, révèle un rapport de Statewatch et du Transnational Institute publié fin août 2017.

« Market Forces : the development of the EU security-industrial complex »

Beaucoup de ces organisations et de leurs lobbies ont joué un rôle important dans la conception du programme de recherche grâce à leur participation à des forums public-privé de haut niveau, à des groupes consultatifs de la Commission européenne et à des pressions exercées par des groupes industriels tels que l’Organisation européenne pour la sécurité (EOS).

Le rapport, intitulé (en anglais) Forces de marché, montre comment le programme de recherche de l’UE, « Sécuriser nos sociétés », d’un budget de 1,7 milliard d’euros, a été influencé par l’industrie de la « sécurité » et construit une Europe de plus en plus militarisée, axée sur une vision biaisée de la sécurité, au détriment du respect de la liberté des citoyens.

Un risque de conforter les tendances policières des gouvernements européens 

Le programme de recherche, en place depuis 2007, a pour but de lutter contre une panoplie de « menaces » allant du terrorisme et de la criminalité organisée à l’immigration irrégulière et à la petite criminalité, grâce au développement de nouvelles technologies de « sécurité intérieure », outils automatisés d’analyse du comportement, caméras vidéo aux performances améliorées, surveillance des données informatiques et systèmes d’identification biométrique.

Les principaux bénéficiaires des financements de ces recherches ont été des sociétés comme Thales (33,1 millions d’euros), Selex (23,2 millions d’euros), Airbus (17,8 millions d’euros), Atos (14,1 millions d’euros) et Indra (12,3 millions d’euros), les cinq plus importantes. Les principaux instituts de recherche appliquée ont également bénéficié de ces subventions, les cinq premiers étant : l’Institut Fraunhofer (65,7 millions d’euros), TNO (33,5 millions d’euros), l’Institut suédois de recherche défense (33,4 millions d’euros), le Commissariat à l’énergie atomique et aux alternatives énergétiques (22,1 millions d’euros), l’Institut autrichien de technologie (16 millions d’euros).

Un drone de surveillance de la police belge, en juillet 2016.

Malgré la crise économique en cours, le financement par l’UE des nouveaux outils et technologies de sécurité a doublé, passant de 4 milliards d’euros à près de 8 milliards d’euros au cours de la période 2014-2020 (par rapport à 2007-2013). Le rapport prévient qu’il existe un risque de conforter les tendances policières des gouvernements européens, qui ont adopté des mesures sans précédent ces dernières années en vue de normaliser les pouvoirs d’urgence, sapant ainsi la protection des droits de l’homme au nom de la lutte contre le terrorisme.

« La confiance et l’unité en Europe ne peuvent être construites dans l’optique de l’industrie de la sécurité » 

Le rapport examine également le Fonds de sécurité interne de l’UE (3,8 milliards d’euros), qui finance l’acquisition par les États membres de nouveaux outils et technologies : drones, systèmes de surveillance aux frontières, capteurs IMSI pour l’espionnage des téléphones portables, outils de suivi du web et des systèmes de détection des « crimes en puissance ».

Chris Jones, de Statewatch, auteur du rapport, avertit : « Le programme de recherche en matière de sécurité de l’UE a longtemps été propulsé par les intérêts communs des sociétés transnationales et des institutions européennes dans le développement d’un nouveau marché de sécurité intérieure — face au terrorisme, à la criminalité, aux catastrophes naturelles et humaines et aux migrations. La poursuite de ces intérêts a conduit à une relation malsaine entre les secteurs public et privé, et il semble que la poursuite privée du profit a été confondue avec l’intérêt général du public, au prétexte d’une “sécurité” dont la démocratie paie le prix. »

Nick Buxton, du Transnational Institute (TNI), l’un des éditeurs du rapport, insiste de son côté sur le fait que « la confiance et l’unité en Europe ne peuvent être construites dans l’optique de l’industrie de la sécurité, en traitant de plus en plus de personnes comme suspectes, en les surveillant et les contrôlant pour en tirer profit. La sécurité réelle se construit non pas par la technologie de l’espionnage universel, mais en investissant pour faciliter l’emploi, les moyens de subsistance, le bien-être social et la protection de l’environnement en Europe et dans les pays voisins ».

Le rapport conclut que les prochaines négociations sur les nouveaux programmes de financement (2021-2027) doivent être l’occasion de réformer les buts et la logique qui sous-tendent le développement des nouvelles technologies de sécurité par l’UE, et son financement d’outils et d’équipements pour les autorités des pays membres, au profit des droits fondamentaux des citoyens.

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