L’abominable histoire de la bouffe industrielle

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Du paléolithique à nos jours, dans « Lettre à une petiote sur l’abominable histoire de la bouffe industrielle », Fabrice Nicolino résume l’histoire de l’alimentation : au fil des innovations techniques, les lobbies ont pris la main sur la nourriture, au prix de la santé et de l’environnement.
Animal opportuniste, l’homme depuis toujours aura « boulotté de tout, sans trop faire le difficile ». Au néolithique, il invente l’agriculture qui va ouvrir d’infinies perspectives : extraction d’huile depuis l’olive, vinification, fabrication du pain dans l’Égypte des pharaons, des pâtes à Naples au XVe siècle,… Puis, Nicolas Appert découvre L’art de conserver pendant plusieurs années toutes substances animales et végétales, procédé qu’il décrit dans une publication éponyme en 1810, et Louis Abel Charles Tellier conçoit le premier frigo alimenté par l’ammoniac liquide en 1828.
Découvrant le maïs en même temps que les Amériques, mais lui préférant le blé, les pionniers de l’Ouest se lancent dans sa production industrielle pour nourrir les bêtes dès 1830. Chicago, fondée en 1833, va inaugurer ses premiers abattoirs en 1865, qui découperont en morceaux 2 millions d’animaux dès 1870, puis 400 millions en 1900, soit 82 % de la consommation des États-Unis. La mise en place de chaînes de désassemblage donnera un coup d’accélérateur à l’industrialisation de l’alimentation et servira de modèle à l’ensemble du système industriel qui les adaptera en chaînes d’assemblage, à commencer par celles de Ford. Les animaux arrivent en train et repartent découpés dans des wagons réfrigérés vers tout le continent et jusqu’en Europe.
La guerre de Sécession familiarise les soldats avec les boîtes en métal qui contiennent alors du lait. Démobilisés, ils en feront la publicité. La production de conserve passe de 5 à 30 millions par an entre le début et la fin du conflit.
Au début du XXe siècle, cinq compagnies, le « trust du bœuf », contrôlent plus de la moitié de la viande rouge produite aux États-Unis. En 1906, Upton Sinclair publie La Jungle qui décrit les conditions de travail dans les abattoirs, et provoque l’indignation.
Bayer, groupe de chimie qui a participé au bouleversement de la nourriture quotidienne avec la chimie de synthèse (exhausteurs de goûts, édulcorants, conservateurs, antioxydants, antibiotiques, emballages, émulsifiants, anti-agglomérants, épaississants, gélifiants, stabilisants, humectants, liants, agents de textures, etc.), a d’abord bâti son empire sur les insecticides adaptés en bombes au chlore et gaz moutarde pendant la Première guerre mondiale. Associé à BASF sous le nom d’IG Farben, il sera impliqué dans le massacre des Juifs dès 1933. En 2015, son chiffre d’affaire avoisine les 47 milliards d’euros (dont 12 pour les pesticides). Pour 14 milliards il vient d’acquérir Monsanto dont les produit phare sont les PCB, isolants électriques extrêmement toxiques comme Monsanto le sait depuis 1937 et les DDT qu’il décline en « agent orange » pour détruire la forêt tropicale sous laquelle se cachent les insurgés Viêt-cong. Cinquante ans après, 2 millions d’adultes et 500 000 enfants sont toujours malades d’avoir été exposés à la dioxine dont les effets passent d’une génération à l’autre. En 1975, Monsanto lance, en toute connaissance de cause, son fameux Rondup, puissant herbicide, cancérogène et mutagène.
Nestlé, transnationale suisse, numéro 1 de l’industrie agroalimentaire mondiale, dont le chiffre d’affaire en 2016 atteignait presque 84 milliards d’euros, a de son côté développé une « stratégie commerciale » pour vendre du lait en poudre dans les pays du tiers-monde ce qui aurait provoqué la mort de 3 millions d’enfants chaque année.
Fabrice Nicolino évoque également, Unilever, PepsiCo, Danone et d’autres. Une dizaine de groupes se partagent le marché mondial, entretenant l’illusion de la liberté, le mirage du choix en déclinant leurs produits sous des centaines de marques différentes.
En 2000, le spécialiste mondial des liens entre la génétique et les maladies cardio-vasculaires, Pierre Meneton, adresse un rapport à l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (Afssa) : « Les Français sont empoisonnés de façon chronique par le sel que rajoute en excès l’industrie agroalimentaire au moment de la fabrication de ses produits », provoquant 75.000 accidents cardio-vasculaires et 25.000 morts par an, soit 70 par jour. En vain.
Selon l’OMS, 80 % des aliments vendus en supermarchés contiennent du sucre caché avec des effets toxiques sur le foie et des phénomènes d’accoutumance proches de ceux de la drogue.
Le gras contenu dans les huiles et graisses végétales permettent à très bas coûts de stabiliser la structure des aliments industriels.
Le coût pour la société de l’épidémie d’obésité aux États-Unis en 1999 était de 95 milliards de dollars et a explosé depuis.
L’industrie agroalimentaire forme un puissant lobby en étant le premier employeur de France et le premier secteur industriel (172 milliards de chiffre d’affaire en 2016). Fabrice Nicolino démontre sa proximité avec le pouvoir politique par les aller-retours entre les postes ministériels et ces entreprises.
Les OGM ont été développés non pour se passer des pesticides mais pour les absorber sans en mourir.
De 1980 à 2015, le nombre de cas de cancer a augmenté de 126 %. L’obésité et le nombre de diabétiques dans le monde ont été multipliés par quatre dans le même temps. Nicolino ne prétend pas que la malbouffe soit cause de tout car souvent plusieurs facteurs sont à l’œuvre, mais il souligne que le rôle majeur de la nourriture est constamment sous-évalué, en raison du pouvoir de l’industrie.
Après ce constat et cette démonstration radicale, l’auteur présente les systèmes traditionnels alimentaires des peuples indigènes qui utilisent l’ensemble du spectre de la vie, ce que ne parviennent pas à faire les systèmes modernes. « Notre monotonie alimentaire, dominée par la viande industrielle, le soja, le maïs, le blé est en réalité une imputation, car ailleurs, dans les recoins du monde, règne encore une richesse sans limite. »
Le prétexte de l’adresse à une toute jeune enfant lui permet de multiplier les chiffres, les exemples et les informations de manière parfaitement… digeste.
Bravo !
- Lettre à une petiote sur l’abominable histoire de la bouffe industrielle, Fabrice Nicolino, éd. Les Échappés, 144 p., 13,90 €.
