L’apocalypse n’est plus celle qu’elle était

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Culture et idées Écologie et spiritualitéApocalypse : ce mot venu des anciens prophètes revient en force dans les années récentes. Il croise l’inquiétude écologiste. Mais son sens s’est transformé : l’Apocalypse n’est plus prophétie de transformation, mais signe du délabrement sans fin… Un dossier de la revue Esprit invite à y réfléchir.
La revue Esprit a publié dans son dernier numéro un dossier fort intéressant sur les conceptions actuelles de l’Apocalypse, un thème esssentiel à la pensée écologiste, qui a notamment inspiré les analyses de Günther Anders et de Hans Jonas.
Une citation du romancier Julian Barnes illustre parfaitement la problématique : « Alors que dans le passé, les gens se tournaient vers l’avenir en tablant sur l’essor de la civilisation, la découverte de nouveaux continents, la compréhension des secrets de l’univers, maintenant nous contemplons la perspective de grand revirement et d’inéluctable et spectaculaire déclin, où homo redeviendra un lupus pour homini ».
L’Apocalypse comme passage vers un autre monde
Au vrai, nous rappelle François Hartog, ce « grand revirement » n’a pas toujours été conçu comme la fin de tout. Au contraire, dans la pensée judéo-chrétienne, les textes essentiels de Daniel (Le Livre de Daniel) et de Jean (L’Apocalypse selon Saint Jean) présentent l’Apocalypse comme la fin d’un monde, qui est en même temps passage vers un autre monde : c’est une transformation, brutale et pénible, mais qui conduit à un stade supérieur et meilleur.
L’Apocalypse est « la question de la fin et du passage d’un temps à un autre, de ce temps-ci à un temps nouveau et spectaculairement différent ».
Or, poursuit Hartog, si la figure de l’apocalypse est revenue hanter notre époque – avec, aussi, le film Apocalypse Now de Ford Coppola - elle n’ouvre plus l’imaginaire de la rédemption porté par les prophètes : « Aujourd’hui, ces apocalypses négatives ont été remplacées par la catastrophe. Devenue le terme générique, la catastrophe mobilise volontiers un vocabulaire, des images, voire des schèmes empruntés à l’apocalyptique traditionnelle. Mais elle n’ouvre évidemment ni sur un autre monde, ni sur un autre temps. (…) Si bien qu’aujourd’hui, nous nous trouvons dans la situation inédite d’avoir enclenché un nouveau temps messianique, mais négatif ».
« Une catastrophe nucléaire est un événement sans fin »
Un texte de Michaël Ferrier rebondit sur la présentation de Hartog, en l’illustrant, en quelque sorte, dans le cas de Fukushima.
Analysant finement les représentations que des artistes japonais ont créé pour raconter le drame de la catastrophe nucléaire, Ferrier montre qu’avec le paradoxe de la radioactivité invisible et presque intemporelle, qui permet la vie tout en la menaçant et en l’empoisonnant en permanence, la catastrophe ne permet pas la fermeture du temps qu’implique l’Apocalypse : « Une catastrophe nucléaire est un événement sans fin ».
Une nouvelle ère géologique : l’anthropocène
C’est un autre thème majeur de l’écologie catastrophiste actuelle qui fait réfléchir Michaël Foessel, celle de l’anthropocène : la théorie selon laquelle la puissance de l’humanité est devenue telle que l’humanité est maintenant une force géologique, si bien que l’on pourrait caractériser l’époque actuelle, ouverte par la Révolution industrielle, comme une nouvelle ère géologique, l’anthropocène.
« L’anthropocène, observe Foessel, est une hypothèse qui réalise le tour de force de consacrer l’humiliation de l’humanité (elle n’est qu’un épisode de l’histoire naturelle) tout en flattant son narcissime (l’homme est la cause de la brièveté de sa propre espèce). La boucle est alors bouclée : le temps nous échappe parce que nous en avons bouleversé le cours.
L’apocalypse n’est plus ni le nom d’un avenir ouvert par Dieu, ni celui d’une émancipation voulue par l’homme. Il signifie une fin du monde que personne n’a voulue, mais que nous avons pourtant provoquée. Responsable de la fin de son aventure et coupable de l’avoir tentée, l’homme ne peut plus trouver dans l’apocalypse la moindre consolation ».
- Revue Esprit, « Apocalypse : l’avenir impensable », n°405, juin 2014, 20 €.
