L’appel du bouddhiste le plus connu de France pour le respect des animaux

Avec son Plaidoyer pour les animaux, Matthieu Ricard, livre une réflexion indignée sur le sort réservé à ceux-ci par l’homme. Malgré quelques lacunes, l’ouvrage est un réquisitoire convaincant contre la consommation de viande planétaire, aux conséquences désastreuses.
Matthieu Ricard est un auteur à succès et un écrivain atypique. À une époque où la réussite individuelle et la course à la consommation sont célébrées ad nauseam, ses livres célèbrent les vertus de l’altruisme, de la méditation, et du bonheur attaché aux petites choses. Cette voix singulière ne prêche pas dans le désert. Elle a trouvé un public.
La continuité entre l’homme et l’animal
Le parcours atypique de Matthieu Ricard a fait le reste. Fils d’un intellectuel engagé dans les combats de son siècle (Jean-François Revel, avec qui il a d’ailleurs cosigné un livre d’entretiens), biologiste de formation, Matthieu Ricard a opté il y a près de quarante ans pour le bouddhisme dont il est devenu en France, au fil du temps, la figure la plus emblématique avec le dalaï-lama.
Le dernier ouvrage de Matthieu Ricard s’inscrit dans la lignée philosophique des précédents mais son ambition est autre. S’il continue à célébrer les vertus de la bienveillance, de l’altruisme et de la compassion, ce n’est plus au profit des êtres humains mais des animaux dont, plaide-t-il, nous ne sommes pas séparés par une « frontière infranchissable ».
À ses yeux, il n’existe pas de barrière infranchissable entre l’animal et l’homme mais une continuité. Et cette proximité nous oblige. « Il ne s’agit nullement de vouloir animaliser l’homme ni d’humaniser l’animal mais d’accorder à chacun le respect de sa valeur propre, quelle qu’elle soit », résume Matthieu Ricard.
Un débat ancien
Le débat sur la place de l’homme face au monde animal ne date pas d’aujourd’hui. Il court depuis l’Antiquité mais le plus souvent exalte l’homme et rabaisse l’animal. Aristote ne doutait pas de la prééminence de l’homme (« les plantes existent pour le bien des animaux et les bêtes sauvages pour le bien de l’homme »), tout comme Cicéron, Saint Augustin, Saint Thomas d’Aquin (« la vie des animaux […] est préservée non pour eux mais pour l’homme »), Kant, Spinoza… Toutes ces grandes consciences ont abondé dans le même sens. Le Judaïsme et l’Islam auraient pu promouvoir une vision différente. Ce ne fut pas le cas.
Certes, dans ce concert monocorde, des voix dissidentes ont réussi à se faire entendre. Ovide en fût une, Voltaire également mais il faudra attendre Charles Darwin pour proclamer qu’entre l’homme et l’animal il n’existe pas de différence de nature.
Aujourd’hui, la cause parait entendue. Plus personne ne conteste la filiation commune entre l’homme et le monde animal, et pourtant jamais l’homme n’a autant mangé d’animaux.
"Zoocide"
Plus de 60 milliards (essentiellement des poulets) sont élevés et tués chaque année – dans des conditions souvent barbares - pour nourrir les humains. Pour qualifier cette boucherie à grande échelle, Matthieu Ricard a forgé un mot : zoocide, qui n’est pas sans rappeler celui de génocide.
On connait les conséquences de cette fringale de viande. Puisant dans les travaux de multiples auteurs, Matthieu Ricard ne nous épargne rien des dégâts qu’elle occasionne. Déforestation massive, émission de gaz à effet de serre, pollution des sols, épuisement des nappes phréatiques, utilisation massive des antibiotiques… L’acte d’accusation est accablant.
L’auteur ne vise d’ailleurs pas que les consommateurs de viande. Sont également cloués au pilori les laboratoires de recherche, grands consommateurs d’animaux, les trafiquants de faune sauvage, les amateurs de corridas, les zoos, les parcs animaliers, les amateurs de chasse à courre, les chasseurs et les pêcheurs... Personne n’en sort indemne.
McDo, absent du raisonnement

Matthieu Ricard a raison de plaider pour le bien-être animal mais, au-delà de quelques erreurs factuelles qui nuisent à la crédibilité de l’ouvrage, la démonstration aurait été plus convaincante s’il avait dénoncé avec une fougue similaire les groupes agroalimentaires qui nourrissent la « planète viande ».
McDonald’s est le premier acheteur mondial de bœuf et de porc. C’est aussi McDonald’s avec ses hamburgers qui nourrit le plus de jeunes sur la planète tout comme les poulets du géant Tyson Foods, élevés dans des conditions barbares, monopolisent les assiettes des Américains. Comment plaider pour le bien-être animal sans s’intéresser à ces groupes agro-alimentaires ? Ils détruisent davantage la planète que les amateurs de chasse à courre.
Sur le plan philosophique l’argumentaire de Matthieu Ricard est imparable. L’homme s’accommode d’une hécatombe animalière que – honteux – il prend soin de cacher. Les écoliers visitent des musées, des monuments historiques. Il ne viendrait à l’idée de personne de les amener voir des abattoirs en activité.
Pourquoi alors continuer à consommer de la viande ? Probablement parce-que dans nos sociétés la consommation de viande est associée à l’appartenance à la classe moyenne. Elle en est un signe distinctif durable, sans être éternel.
Aux Etats-Unis, la consommation de viande décline depuis plusieurs années alors qu’elle augmente en Asie, en particulier en Chine devenue le premier pays producteur et consommateur mondial de viande. Si l’explication est la bonne, il y a peu de chance que le vibrant plaidoyer pour les animaux de Matthieu Ricard soit entendu de sitôt.

Plaidoyer pour les animaux. Vers une bienveillance pour tous, de Matthieu Ricard, Allary Editions, 369 pages, 29,90 euros.