L’aspirateur balai, un gâchis écologique

- © Étienne Gendrin / Reporterre
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Durée de lecture : 6 minutes
QuotidienLes ventes d’aspirateurs balais sans fil explosent. Or, ils tombent bien plus vite en panne que les modèles traditionnels à roues : après quatre ans d’utilisation, un tiers a rendu l’âme. Voici les raisons de leur obsolescence prématurée.
Trois aspirateurs en huit ans, ça commence à faire beaucoup. Cette fois, sur l’aspirateur balai sans fil de Sophie, c’est une pièce en plastique qui a cédé : celle qui relie le pistolet amovible au manche. Sans ce « clips », le modèle de marque Rowenta est inutilisable. Il avait pourtant moins d’un an. « Le plastique est de piètre qualité, pas étonnant que ça casse », s’agace cette quinquagénaire résidant dans l’Eure.
Malgré ses déboires, Sophie n’a pas envie de renoncer à ce type d’appareils, fonctionnant sur batterie : « C’est drôlement pratique de ne plus avoir à se brancher partout pour nettoyer la maison. » Ses deux précédents balais sans fil, un Dyson et un modèle de marque premier prix, avaient rapidement connu d’autres problèmes rédhibitoires. Le Rowenta, lui, est réparé. Pour l’instant…
La faute à pas de chance ? Sans doute pas. Les aspirateurs-balais sans fil peinent à tenir la distance. Pourtant, l’engouement pour ces appareils est réel : en 2021 et 2022, il s’en est vendu autant que d’aspirateurs-traîneaux, les modèles traditionnels à roues qui se branchent sur secteur. Mais les faiblesses de ces nouveaux aspirateurs occasionnent des remplacements prématurés. Et donc bientôt des montagnes de déchets à recycler.
Une durée de vie réduite de 30 %
Plusieurs études récentes, passées un peu inaperçues, soulignent ce manque de fiabilité. Pour l’association UFC-Que Choisir, l’« espérance d’utilisation » d’un aspirateur traditionnel (traîneau) est de huit ans et un mois en moyenne. Celle d’un aspirateur balai sans fil est de seulement cinq ans et huit mois, selon des données publiées début 2023. Soit 30 % de durée de vie en moins. L’association de consommateurs calcule cet indicateur dans le cadre d’une étude sur la fiabilité de l’électroménager menée à l’aide d’un questionnaire rempli par plus de 40 000 utilisateurs en France et chez nos voisins européens. Elle estime aussi qu’après quatre ans d’utilisation, un tiers des aspirateurs balais sans fil a déjà rendu l’âme.
« L’écart de fiabilité avec les aspirateurs-traîneaux est énorme »
« L’écart de fiabilité avec les aspirateurs-traîneaux est énorme », confirme Régis Kœnig, directeur réparation et durabilité de Fnac Darty. Le groupe réunissant les deux enseignes publie un baromètre du service après-vente. La méthodologie est différente, pas le résultat. Le taux de panne, enregistré par son service après-vente pour les appareils de moins de deux ans (couverts par la garantie légale), permet d’établir un score de fiabilité. Il dépasse 120 sur 200 pour les aspirateurs classiques (traineaux, avec ou sans sac), contre 26 (toujours sur 200) pour les aspirateurs balais sans fil. Parmi les 80 familles d’appareils évaluées dans le baromètre du SAV Fnac Darty publié à l’automne 2022, seules deux font pire : les aspirateurs robots (qui ne sont pas plus fiables, mais sont moins répandus) et les trottinettes électriques.
Les fabricants ne se pressent pas pour répondre
Bref, pour nettoyer nos logements, nous sommes en train de remplacer des appareils à la conception simple et éprouvée par d’autres, plus sophistiqués et plus fragiles. L’évolution n’est pas spécifique aux aspirateurs : « C’est une tendance de fond de notre modèle de production : vendre toujours plus de fioritures permet de maintenir les prix industriels », commente Philippe Bihouix, ingénieur, auteur de L’Âge des low tech (Seuil, 2014). « Si on multiplie les éléments sur un appareil, il y a presque automatiquement une augmentation de la fragilité potentielle. »

Les fabricants ne se pressent pas pour commenter. Aucune des trois grandes marques sollicitées par Reporterre, Dyson, Rowenta (groupe Seb) et Bosch, n’a trouvé le temps de répondre. Elles n’ignorent sans doute pas le sujet. Ainsi, Dyson offrait une garantie gratuite de cinq ans pour ses aspirateurs-traîneaux (la marque n’en propose presque plus). Elle ne s’y hasarde pas pour les balais sans fil, gamme sur laquelle elle a recentré sa production : la garantie est limitée à deux ans.
La praticité au prix d’une moindre durabilité
En tout cas, cette fragilité ne freine pas (pas encore ?) l’engouement des consommateurs. Il est porté par la liberté d’utilisation que procurent ces aspirateurs sans fil. Jadis confidentielles, les ventes ont explosé : en une décennie, de 2012 à 2022, elles auraient été multipliées par quatre, pour atteindre environ deux millions par an sur le marché français, selon un spécialiste du secteur. Et cela malgré des prix deux fois plus élevés que les aspirateurs-traîneaux : 230 euros de prix moyen contre 120 euros.
Il faut dire que les faiblesses de ces aspirateurs sont largement méconnues. L’indice de réparabilité que les aspirateurs neufs doivent afficher depuis fin 2022, peut même rassurer, à tort, l’acheteur soucieux de durabilité. En effet, certains aspirateurs sans fil atteignent des notes excellentes, dépassant 8 sur 10, voire 9 sur 10. Mais comme son nom l’indique, cet indice évalue la facilité à réparer, pas la fréquence des pannes…
Cette moindre robustesse est-elle inhérente à tous les appareils fonctionnant sur batterie ? Une chose est sûre : « La plupart des interventions sur les aspirateurs sans fil portent sur la batterie », dit Thierry Colonna, réparateur indépendant d’électroménager, dont l’entreprise 2AM (Assistance audiovisuel et ménager) est installée près de Périgueux.
Un grand malentendu sur l’usage possible de ces aspirateurs
Plutôt optimiste, Régis Kœnig, de Fnac Darty, veut y voir un défaut de jeunesse : « Les aspirateurs à batterie sont un type d’appareils récent dans l’histoire de l’électroménager. Il est normal que les marques aient besoin d’un peu de temps pour les fiabiliser. »
Mais l’obsolescence rapide de nombreux exemplaires s’explique aussi par un grand malentendu sur les capacités de l’appareil. Plusieurs professionnels font valoir un usage jugé trop intensif de la part des utilisateurs, générateur d’usure prématurée. « Les aspirateurs balais sans fil sont souvent utilisés pour des passages quotidiens ou pour entretenir une grande maison. Or, au départ, ils ne sont pas prévus pour cela », estime le réparateur Thierry Colonna. « Ils sont plutôt destinés à servir d’aspirateur d’appoint », confirme Régis Kœnig. Pas sûr que tous les consommateurs soient correctement informés de ces limites au moment de leur achat.
« Un appareil plus sophistiqué “consomme” davantage de ressources »
Pour l’environnement, ces nouveaux aspirateurs représentent donc une double peine. D’une part parce que leur faible durée de vie va accroître le volume de déchets. Selon Ecosystem, éco-organisme gérant les déchets électriques et électroniques, les aspirateurs sans fil représentaient 5,6 % des volumes d’aspirateurs collectés en 2021. Cette proportion encore faible devrait logiquement s’envoler dans les prochaines années.
D’autre part, leur conception moins basique que les aspirateurs traîneaux rend leur production et leur élimination plus coûteuse pour la planète, relève Philippe Bihouix : « Un appareil plus sophistiqué “consomme” davantage de ressources : exploitation minière, chimie, métallurgie, etc. C’est vrai en particulier des éléments électroniques, énergivores à fabriquer et difficiles à traiter au stade de déchets » commente-t-il. Ainsi le câble en cuivre d’alimentation d’un aspirateur traditionnel, relativement aisé à recycler, est remplacé par une batterie au lithium qui l’est beaucoup moins…