L’école doit montrer aux élèves les lieux ravagés par la crise climatique

En Californie, la ville de Paradise, un mois après l'incendie meurtrier Camp Fire, en décembre 2018. - Flickr/CC BY-NC 2.0/Cal OES
En Californie, la ville de Paradise, un mois après l'incendie meurtrier Camp Fire, en décembre 2018. - Flickr/CC BY-NC 2.0/Cal OES
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De même que des scolaires visitent des camps de concentration pour lutter contre le négationnisme, nous pourrions organiser des voyages scolaires dans les endroits ravagés par le dérèglement climatique, selon l’auteur de cette tribune. De quoi entraîner des prises de conscience et changer les comportements.
Thomas Delavergne est autoentrepreneur, ex-animateur d’ateliers de journalisme web pour la jeunesse.
Le lourd silence de Dachau, camp de concentration nazi, a marqué à l’encre indélébile l’adolescent que j’étais, à l’été 1995. Un demi-siècle après la Shoah, à cet endroit précis, la chaleur accentuait la pesanteur des images montrant le quotidien innommable des condamnés — l’une d’elles reproduisait une fosse commune, sur un mur de dix mètres sur trois (peut-être le choc visuel m’a-t-il fait perdre le sens des proportions...).
Imaginer, sur le lieu même des faits, ces femmes et ces hommes rachitiques récupérer des miettes sur la table voisine vous prend davantage aux tripes que regarder, assis confortablement sur un canapé, un documentaire à la télévision ou sur internet, si poignant soit-il. Ce choc émotionnel à l’adolescence a inconsciemment construit le citoyen adulte que je suis devenu, prompt à réfuter les discours haineux et extrémistes.
Aujourd’hui, les images de feux en Grèce, Sibérie ou Canada, de tempête et d’inondations s’enchaînent, sans réaction d’ampleur. Et ce, malgré les nombreux morts climatiques recensés notamment en Californie, l’un des plus riches États d’Amérique, lors du meurtrier mois de novembre 2018. Fin décembre, les derniers restes humains de l’incendie, nommé Camp Fire, attestaient de quatre-vingt-cinq morts.

Une actualité en chasse une autre
À cela, plusieurs raisons. D’abord, il est difficile pour tout un chacun de se représenter, sans les avoir constatés, les ravages des déforestations dues à des feux embrasant tout sur leur passage, ou les destructions provoquées par les inondations. Et puis une actualité chassant l’autre, les conséquences de ces événements traumatiques sont difficiles aussi à conscientiser. Dix mois après la tempête Alex survenue en 2020, France TV était revenue dans la vallée de la Roya pour rappeler qu’un de ses villages était encore coupé du monde un an plus tard. Une initiative intéressante pour marquer nos esprits, mais trop rare. Objectivement, une fois la canicule estivale achevée et l’actualité médiatique passée à autre chose, combien de téléspectateurs s’interrogent sur leur rapport à une consommation d’eau responsable ?
À cette trépidation de l’actualité s’ajoutent l’anxiété produite par la précarisation des emplois et l’emprise exercée par ce consumérisme aveuglant, générateur d’émissions carbonées. Si l’on pense aux SUV, par exemple, tant vantés par la publicité, un rapport du WWF de 2020 indiquait que ceux vendus durant la dernière décennie « émettaient en moyenne 20 % de CO2 de plus que leur équivalent standard pour chaque kilomètre parcouru ». Et pourtant, selon le média indépendant Les Jours, 63 % des pubs des constructeurs automobiles dans la presse écrite lui sont dédiés. Comment s’étonner dès lors que nous en oublions d’agir dans notre propre existence pour conserver à notre monde son habitabilité ?
Sans compter que notre cerveau est habile à se débarrasser de toute réalité ressentie comme menaçante en utilisant ce mécanisme de défense psychique que les psychanalystes appellent le « déni ».
The town of Lytton, north of Vancouver, broke Canada's all-time heat record 3 days in a row (49.6°C).
The entire area is now burning down.
We are in a #ClimateEmergency.pic.twitter.com/dPoIC4eBop
— ᴊᴏᴀɴɪᴇ ʟᴇᴍᴇʀᴄɪᴇʀ (@JoanieLemercier) July 1, 2021
Des témoins nécessaires
C’est pourquoi je pense que les écoliers de Los Angeles devraient arpenter les terres de cendres de Paradise, ville californienne détruite à 90 % sous l’impact des feux de forêt de pins en 2018. Ou que les enfants des villes voisines de Lytton, au Canada, devraient aller observer le paysage lunaire advenu après une vague de chaleur proche des 50 °C cet été. « Il s’est écoulé environ quinze minutes entre le premier signe de fumée et le moment où, tout à coup, il y a eu le feu partout », soulignait le maire.
À quelques kilomètres de la frontière française, le témoignage des habitants de Liège, en Belgique, victimes en juillet d’inondations meurtrières, et la visualisation du glissement de terrain meurtrier dû aux pluies diluviennes, près de la ville allemande de Cologne, mériteraient eux aussi un voyage scolaire. Car la parole des témoins en train de reconstruire leur habitat n’a pas d’égal pour permettre la compréhension d’une catastrophe naturelle, et les souffrances qu’elle occasionne.
Au risque d’insister, il faut voir pour comprendre la destruction accélérée de lieux de vie semblables aux nôtres. Sinon, l’adolescent d’aujourd’hui continuera à vivre comme l’adulte borgne de 2021, qui ne fait pas de liens entre ses pulsions consommatrices et les ravages du monde. Déjouons donc cette irresponsabilité de nos comportements en éduquant les habitants de cette Terre pour changer de modèle sociétal.
Réagissons avant qu’il ne soit trop tard.