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TribuneÉnergie

L’éolien industriel en Périgord : une fausse bonne idée

Les projets éoliens sont nombreux dans les zones rurales et forestières du Périgord, le plus souvent dans l’ignorance de populations qui n’en recueilleront qu’un avantage minime, selon les auteurs de cette tribune.

Asso 3D, l’association de défense du val de Dronne et de la Double, s’est constituée en 2013 contre le projet de quatre centrales de la société ABO Wind.


Portés par des sociétés privées, les projets éoliens se sont multipliés en Périgord en seulement quelques années, à l’insu des populations concernées. Choix stratégique, c’est dans les zones les plus rurales et forestières du département qu’ils s’implantent, loin des secteurs les plus touristiques du Sarladais et de la vallée de la Vézère. Ainsi sont-ils apparus dans la forêt de la Double (Puymangou, Parcoul, Saint-Vincent-de-Jalmoutiers, Saint-Aulaye, La Roche Chalais, Eygurande-et-Gardedeuil, Servanches, Échourgnac, Bardenac, Brossac, Yviers, La Barde) ; dans le Mareuillais et le Verteillacois (La Rochebeaucourt-et-Argentine, Champagne-Fontaines, Verteillac, Cherval) ; au nord-ouest de Périgueux (Savignac-les-Églises) ; dans le Nontronnais (Saint-Saud-La-Coussière, Miallet, Saint-Jory-de-Chalais, Milhac-de-Nontron), en plein dans le parc naturel régional Périgord-Limousin. Et la liste n’est certainement pas exhaustive.

Derrière ces projets, Eole-RES, filiale du groupe RES, géant mondial des énergies renouvelables, EDPR, troisième constructeur mondial de centrales éoliennes, ABO Wind, filiale d’une société allemande implantée dans neuf pays, et Soleil du Midi Développement, petite société française basée dans l’Aude.

Asso 3D, association de défense du val de Dronne et de la Double, s’est constituée en décembre 2013 contre le projet porté par la société ABO Wind de quatre centrales éoliennes sur la forêt de la Double. Un projet connu des seuls élus locaux, promu de manière ambiguë par certains, et formé sans que la population n’en ait aucunement connaissance. Un projet d’envergure, puisque les centrales éoliennes devraient être réparties sur les huit communes, avec des aérogénérateurs de 180 mètres de hauteur. C’est par le bouche-à-oreille, par hasard, ou par un avis tardif dans la boîte aux lettres, que les habitants ont pris connaissance de ce projet. Entre la stupeur et l’inquiétude, deux questions se sont posées, et se posent toujours.

- Pourquoi implanter des aérogénérateurs dans une forêt ?
La Double est reconnue par tous comme un espace remarquable, dont les bois, les étangs et les landes abritent de nombreuses espèces patrimoniales, comme le vison d’Europe, le circaète Jean-le-Blanc ou la cistude d’Europe. Elle se situe sous un important couloir pour les oiseaux migrateurs, notamment les grues cendrées. Avec ses cinquante mille hectares, c’est un véritable poumon vert pour la métropole bordelaise toute proche. Pour y implanter une vingtaine d’aérogénérateurs de 180 mètres, il faudrait non seulement déboiser les parcelles où seraient dressés les mâts, mais aussi déboiser pour aménager les routes conduisant aux sites. Avec des départs de feu fréquents au niveau des moteurs, leur présence augmenterait le risque d’incendie, tout en empêchant l’intervention de canadairs en raison de leur hauteur. C’est donc une destruction de la forêt que ce projet engage.

- Quels avantages ce projet a-t-il pour les habitants ?
L’électricité produite ne sera pas consommée localement, mais exploitée par une société différente du promoteur et revendue à EDF pour être réinjectée sur le réseau.

Le promoteur et les élus impliqués dans le projet promettent des emplois. On peut pourtant raisonnablement douter que les aérogénérateurs prévus (conçus par l’entreprise espagnole Gamesa pour Puymangou et Parcoul) seront construits localement, et leur implantation sur site exige des compétences que n’ont pas les entreprises du secteur. Leur maintenance sera assurée par le promoteur depuis son siège, situé à Toulouse.

Quant aux retombées financières, elles seront peu élevées : France Énergie Éolienne, porte-parole des professionnels éoliens, dont fait partie ABO Wind, promet des loyers de 2 000 à 3 000 euros par an et par éolienne pour les propriétaires des sites d’implantation. En revanche, leur démantèlement n’est garanti que très partiellement à ce jour par le promoteur : son coût est estimé à plusieurs centaines de milliers d’euros.

Plus généralement, du point de vue de l’utilité collective de ce projet, sa rentabilité énergétique est très incertaine. Bien que le promoteur peine à communiquer des résultats précis des études de mesures du vent, on sait que le secteur est peu venté, d’où la nécessité d’implanter des aérogénérateurs géants. On peut d’ailleurs noter que l’ADEME a évalué, pour l’énergie éolienne, le coût du mégawatt-heure à 132 euros pour l’Aquitaine, loin devant toutes les régions françaises.

Une première grande victoire a été remportée par Asso 3D en août dernier, avec l’abandon par le conseil municipal de La Roche Chalais de la zone éolienne de 187 hectares en périphérie de la commune prévue dans le projet de Plan local d’urbanisme (PLU). Des membres de l’association avaient en effet découvert fortuitement cette zone éolienne dans le dossier du projet de PLU soumis à enquête publique. Il a fallu alerter les communes voisines, frapper à toutes les portes des hameaux concernés pour présenter le projet aux habitants surpris : le plus souvent, ils n’en avaient jamais entendu parler. Les réactions ont été variées : parfois, la discussion devenait un débat sur la transition énergétique ; parfois, notre interlocuteur était pris d’une envie subite d’aller chercher son fusil pour protéger la forêt. Mais l’opposition au projet a été générale : seuls les propriétaires des sites d’implantation pressentis y étaient parfois favorables.

Dans les quinze derniers jours précédant la clôture de l’enquête publique, le commissaire enquêteur a reçu plus de 850 interventions contre l’introduction d’une zone éolienne dans le PLU... Neuf conseils municipaux voisins et dix associations, dont la Sepanso de Dordogne, se sont également prononcés contre, tandis que les conseillers départementaux et le préfet étaient interpellés. Seule favorable au projet, l’intervention d’ ABO Wind dans l’enquête publique a frappé les membres d’Asso 3D par son contenu autoritaire, contrastant avec son slogan « l’éolien citoyen ».

« Rejet massif de la population »

Tout n’est pas gagné pour autant, car cette réussite ne marque pas encore l’abandon définitif du projet éolien sur La Roche Chalais ni sur l’ensemble de la Double. Pour le site de Parcoul et Puymangou, ABO Wind a déposé en mars 2015 une demande de défrichement, de permis de construire et d’autorisation d’exploiter une Installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) pour 5 aérogénérateurs de 182 mètres, à 600 mètres seulement des premières habitations. Nous attendons actuellement l’avis de l’Autorité environnementale et les dates de l’enquête publique concernant ce projet, pour laquelle nous appelons à la mobilisation de tous.

Le vent tournera-t-il contre l’éolien industriel en Périgord ? Pour le projet éolien de Champagne-Fontaines et La Rochebeaucourt-et-Argentine, le permis de construire a été refusé par le préfet de Dordogne en mars 2015. Ce refus se fondait notamment sur l’avis très défavorable rendu par le commissaire enquêteur en janvier 2015, qui mettait en avant « le rejet massif de la population », « les doutes sur la production réelle d’électricité et sur la rentabilité économique de la centrale sans la pérennité du système d’achat garanti par EDF », et « la mise à mal de la cohésion sociale par l’instauration d’un climat de défiance constaté à tous niveaux ». Le constat des incohérences et des méfaits de ces projets doit être aussi net pour les autres sites du Périgord, et pour cela, la mobilisation de la population locale, mais aussi de tous ceux qui apprécient cette région encore préservée, est primordiale.

Contrairement à ce que laissent entendre les partisans des projets éoliens, nous ne souhaitons pas nous enfermer dans « un village d’Indiens », pas plus que nous sommes partisans de la relance de l’énergie nucléaire. Mais nous pensons qu’il est possible de construire, de travailler et d’entreprendre dans notre territoire et notre lieu de vie sans le détruire. Depuis la déforestation de naguère pour la construction des navires de la marine royale, jusqu’à la déforestation d’aujourd’hui pour la construction des centrales éoliennes, la forêt de la Double a parfois été considérée comme un espace déshérité, tout juste bon à exploiter de manière prédatrice. Le renouvellement de ses habitants permet aujourd’hui de penser une autre orientation, fondée sur l’autonomie, notamment par le développement des énergies renouvelables domestiques et des filières courtes de bois de chauffage et de bois d’œuvre.

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