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ReportageLuttes

L’étonnant combat de la commune de Dolus contre McDonald’s

Depuis plusieurs années, McDonald’s cherche à s’installer sur l’île d’Oléron. Deux communes et plusieurs maires s’y sont successivement opposés. Alors qu’une décision de justice a donné raison à la multinationale du fast-food cet automne, l’opposition locale ne faiblit pas et le maire de Dolus a lancé une souscription pour payer les amendes de la justice.

  • Dolus-d’Oléron (Charente-Maritime), reportage

« Je me faisais justement la réflexion : il y a encore un endroit où il n’y a pas de McDo ! » En cette journée de janvier frisquette malgré le retour du soleil, Christophe s’est donc rabattu sur la boulangerie, où il termine son sandwich. Hors-saison, il n’y a pas foule dans les rues de Dolus-d’Oléron. Lui vient de Limoges, et travaille sur un chantier pour quelques jours. « Pour nous, c’est pratique, le McDo, c’est toujours ouvert. On n’y va pas pour se délecter d’un bon hamburger ! »

Un peu plus loin, dans le cœur de ce village de plus de 3.000 habitants, Marie amène ses enfants à l’école. « Je ne suis pas contre McDo, mais contre McDo à Dolus, déclare la trentenaire. Le maire a bien redynamisé le village : il y a du bio à la cantine, les petits commerçants marchent… ce n’est pas pour qu’une chaîne vienne casser tout ce travail. Il sait ce qu’il a en tête, et il est courageux, car il se met une partie de la population à dos. »

Depuis son élection comme maire de Dolus en 2014, Grégory Gendre a refusé deux permis de construire à McDonald’s France. Comme, avant lui, le maire de Saint-Pierre, autre commune insulaire. C’est que la multinationale rentre mal dans les projets de cet écologiste (non encarté), « du soutien à des pratiques agricoles destructrices jusqu’à l’évasion fiscale, en passant par le contournement du droit social pour ses salariés », rappelle-t-il.

Grégory Gendre, le maire de Dolus-d’Oléron.

Né ici, d’abord journaliste économique, puis chargé de communication chez Greenpeace, il est revenu sur l’île en 2007 pour fonder Roule ma frite, une association qui récupère les huiles de friture pour faire tourner les moteurs des voitures. « On n’aime pas trop être contre, on préfère créer des choses : mettre 40 % d’alimentation bio et locale à la cantine, favoriser l’agriculture paysanne, etc. » se vante-t-il.

« Je préférerais conserver le patrimoine, les huîtres et le beurre » 

Mais face aux demandes insistantes de McDo, l’élu, bien aidé par la mobilisation citoyenne, n’a pas cédé : « On a refusé leurs permis de construire sur la base des règles d’urbanisme. D’abord, ils annoncent une affluence de 120 voitures par heure à leur drive, ce qui donne plus de 17.000 bagnoles par jour, sur l’axe principal de Dolus : on a fait des simulations, ça ne rentre pas. Ensuite, il veulent supprimer un gros fossé qui est au bord de leur terrain, une “noue”, qui sert à évacuer l’eau de toute cette zone commerciale articifialisée. On ne peut pas cautionner ça. »

La route principale de Dolus, sur laquelle pourrait déboucher le « drive » du McDonald’s.

Pour les Dolusiens et les Oléronnais en général, le sujet est devenu clivant — même si les débats restent polis. Christian et Gabriel, rencontrés à la sortie d’un petit restaurant adossé au supermarché, ne sont pas du même avis, mais continuent de partager leur pause-déjeuner. « Chacun est libre de manger où il veut, on ne peut pas interdire », avance le premier, en pensant à ses enfants : « Je préférerais qu’ils aillent à McDo ici plutôt que de prendre leur scooter pour aller faire des conneries plus loin. » Tandis que le second se veut « un peu respectueux de l’île d’Oléron » : « Je préférerais conserver le patrimoine, les huîtres et le beurre. Quand vous travaillez dans le bâtiment, on vous dit “respectez le site d’Oléron”, mais McDo ne respecte pas nos traditions. »

Situé à peu près au milieu de l’île, près d’une zone commerciale fréquentée, l’emplacement promet de juteux profits pour le vendeur de hamburgers, s’il parvenait à s’installer. Bloqué dans son projet, il a décidé de poursuivre la commune devant la justice, contestant les motifs de rejet de ses permis de construire.

Le terrain acheté par McDonald’s.

Fin septembre, le tribunal administratif de Poitiers s’est prononcé en sa faveur, enjoignant Dolus à accorder le permis dans un délai d’un mois. Sans quoi la commune devrait payer une astreinte : 300 € par jour de retard. Elle a fait appel, et demandé un sursis à exécution de la peine. Car, pour l’instant, Grégory Gendre n’entend pas lâcher : le tribunal « ne s’est pas prononcé sur la totalité de nos arguments », estime-t-il.

En attendant, la mairie a provisionné les sommes qu’elle risque de devoir payer (130.000 € pour une année entière), tout en faisant appel aux citoyens pour éviter de puiser dans les fonds publics. Une association a été constituée pour cela : Mouvement pour une alimentation citoyenne sur Dolus-d’Oléron … ou « MacDol ». Le 22 janvier dernier, trois mois après le début des astreintes, Grégory Gendre annonçait fièrement que le compte en banque de MacDol affichait près de 27.000 €, soit le coût de 3 mois d’astreinte (depuis le 22 octobre 2017). « Cette somme provient des indemnités des élus et des dons de 304 particuliers qui, de la France entière (26 départements représentés) se sont mobilisés », poursuivait-il.

Les alentours manquent de lieu accueillant pour les jeunes (ou moins jeunes) 

« Je ne pensais pas que ce sujet deviendrait aussi important. Nous avons reçu des dons de toute la France, des “citoyens solidaires et reconnaissants” qui nous écrivent “tenez bon”  », raconte-t-il en montrant la pile de lettres et mails reçus. Le nouvel objectif : trouver 900 personnes donnant chacune 10 € par mois, de manière à assurer le provisionnement des astreintes jusqu’au jugement en appel (aucune date d’audience n’a encore été fixée).

Bien sûr, l’acharnement du maire fait des mécontents. Depuis plusieurs semaines, un collectif « pour l’ouverture du McDonald’s » s’est lancé sur les réseaux sociaux. « Nous ne voulons pas qu’on nous impose une façon de penser, de consommer. Ce n’est pas un choix personnel du maire de dire quelle entreprise peut s’installer ou non », soutient Valérie Vanrechem, l’une de ces « pro-McDo », qui travaille dans le tourisme sur l’île. Le 30 décembre, ils ont organisé un pique-nique sur la zone commerciale, qui aurait rassemblé 300 personnes selon eux. Deux autres collectifs d’opposition se sont constitués depuis.

Il n’en reste pas moins que les alentours manquent de lieu accueillant pour les jeunes (ou moins jeunes). Confirmation avec Louise et Matthieu, Dolusien.ne.s de 17 ans, qui attendent leurs copains devant le supermarché : « Ici, l’hiver, c’est mort, et même pire que ça. Pour s’amuser, il faut aller à Saintes », affirme Matthieu. « S’il y avait un McDo, c’est sûr qu’on irait. Aujourd’hui, il faut aller sur le continent, faire 15 bornes, en scooter, passer le pont avec le vent… » raconte Louise.

Les « vieux » s’en sont effectivement rendu compte. « Au moment du premier refus de permis de construire, en enquêtant à gauche à droite, on s’est aperçu qu’il manquait quelque chose pour les jeunes, pour la première fois où ils vont au resto sans les parents, avec la petite copine », avoue Jean-François Périgné, ostréiculteur sur l’île, membre du secrétariat national de la Confédération paysanne, et soutien de la première heure du maire.

« Mais là, ça va trop loin, ça divise trop les gens » 

Justement, à l’autre bout de la commune, une ancienne colonie de vacances désertée depuis 20 ans, adossée à une maison de maître et un terrain de quatre hectares, a été rachetée par la mairie. On l’appelle « la Cailletière ». Un petit collectif travaillait déjà à sa rénovation, mais l’« affaire » du McDo a donné une autre ampleur au projet.

L’entrée de la Cailletière.

Entre les cinq longs bâtiments désaffectés, trois ânes profitent du soleil. Des chantiers bénévoles ont permis de nettoyer le site, et il accueille déjà un « apéro bricolo » et une troupe de cirque. Un collectif informel, structuré en commissions, s’y réunit chaque semaine. « La mairie a le portage politique de l’action, ensuite on laisse la société civile s’emparer du sujet », annonce Grégory Gendre.

L’édile a pourtant ses idées en tête, pour faire de la Cailletière une alternative à McDo : « Un lieu de vie et d’échanges autour d’une offre de restauration privilégiant les circuits courts et les produits de saison », écrit-il dans un communiqué de presse. « Nous allons y construire un skatepark couvert, le wifi, que les jeunes puissent s’y retrouver pour faire la teuf. » Le collectif, lui, refuse d’assimiler la Cailletière à l’opposition au McDo. Ses membres ont d’ailleurs préféré ne pas donner d’entretien à Reporterre, craignant les amalgames.

Devant les bâtiments de l’ancienne colonie de vacances.

Maxime, jeune papa dolusien, vient se promener sur la friche avec son fils Manek. « Ici, il y a la plage, le city stade, et c’est tout. Quand tu as 12-13 ans, tu t’ennuies vite. Ce serait mieux que les jeunes traînent ici qu’à McDo, c’est sûr. Mais là, ça va trop loin, ça divise trop les gens, regrette-t-il. Ils feraient mieux de faire marche arrière, le maire comme McDo. Et même s’ils finissent par le monter, ce McDo, certains iront le démonter. »

Maxime et Manek.

De son côté, Grégory Gendre s’est récemment associé au restaurateur parisien Xavier Denamur pour annoncer un prochain évènement en avril : un « printemps de l’alimentation durable » (PAD) qui ferait de la Cailletière une « zone d’alimentation durable » (ZAD), « réunissant pendant trois jours citoyens, artistes, agriculteurs, enfants, chefs de cuisine, agents de service, élus, restaurateurs autour de débats, d’ateliers, de forums, de spectacles et de concert ».

Le McDonald’s le plus proche de l’île d’Oléron est sur le continent, à Marennes (une quinzaine de kilomètres de Dolus).

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