L’exploitation minière transforme les fonds marins en déserts

Deux fumeurs noirs actifs colonisés par des anémones. Ces cheminées hydrothermales recèlent du cobalt et des terres rares. - Ifremer/CC BY 4.0
Deux fumeurs noirs actifs colonisés par des anémones. Ces cheminées hydrothermales recèlent du cobalt et des terres rares. - Ifremer/CC BY 4.0
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Océans Mines et métauxCuivre, nickel, cobalt... L’extraction minière dans les profondeurs marines fait fuir les animaux. Des scientifiques craignent même l’extinction de certaines espèces.
Notre appétit pour les minerais pourrait transformer une partie de l’océan en désert. Alors que l’Autorité internationale des fonds marins se réunit en Jamaïque, jusqu’au 28 juillet, pour décider des conditions d’autorisation de l’exploitation minière dans les abysses, une étude met en lumière les dangers de cette activité industrielle nouvelle. Publiée le 14 juillet dans la revue Current Biology, elle montre que les créatures marines abandonnent les zones soumises au passage des machines excavatrices utilisées pour extraire des profondeurs les minerais (cuivre, cobalt, manganèse, nickel…) sur lesquels lorgnent les industriels.
L’exploitation des fonds marins étant un projet relativement nouveau, la communauté scientifique manquait jusqu’à présent de données expérimentales pour évaluer ses conséquences sur les écosystèmes. Le travail mené par cette équipe de quatre chercheurs vient en partie combler ce vide. En juillet 2020, le Japon a mené une excavation « test » d’un mont sous-marin riche en cobalt situé à 900 mètres sous la surface de l’eau, au nord-ouest de l’océan Pacifique. L’opération n’a duré, au total, que 1 h 49, sur une surface mesurant à peine 130 mètres de long. Elle a pourtant eu des effets considérables sur cet écosystème, qui ont perduré pendant de très longs mois.

L’équipe de scientifiques est parvenue à cette conclusion en comparant des enregistrements vidéos réalisés un mois avant le début de ce test à des images captées un mois puis treize mois après sa fin. Les résultats sont frappants : plus d’un an après l’excavation, la densité des animaux marins mobiles — poissons, crevettes, crabes, cténaires, etc. — était inférieure de 43 % à la normale dans les zones directement affectées par le déplacement de sédiments généré par les machines.
Dans les zones adjacentes, elle avait chuté de 53 %, ce qui suggère que l’excavation minière pourrait avoir une empreinte spatiale bien plus large que ce que l’on pensait. « Si les animaux marins mobiles évitent les endroits situés hors de l’aire de dépôt des sédiments, il pourrait être plus difficile d’identifier et de placer de manière appropriée les zones de contrôle et de préservation », dit à Reporterre Travis Washburn, l’auteur principal de cette étude.
« Des extinctions, des destructions d’écosystèmes »
Les chercheurs émettent plusieurs hypothèses pour expliquer cet exode. « La faune vivant autour des sédiments contaminés par les sous-produits miniers et les déblais de forage pourrait constituer une nourriture de moindre qualité », pensent-ils. Les nuages de matières soulevés par les machines pourraient également être toxiques. Dans le cadre de cette excavation-test, ces organismes ont peut-être eu la possibilité de fuir vers des habitats moins pollués. « Mais cela pourrait devenir impossible si de multiples opérations minières avaient lieu en même temps » dans l’océan, avertissent les scientifiques.
Ces nouvelles données suggèrent, selon les auteurs de cette étude, que « même l’exploitation à très petite échelle » des fonds marins peut compromettre de manière « substantielle » les espèces qui y vivent. L’exploitation minière des abysses peut « fortement perturber » ces habitats, et entraîner « des extinctions, des destructions d’écosystèmes d’intérêt mondial, et des dommages encore inconnus à un environnement essentiel pour la santé humaine et la planète ».

Avant eux, d’autres scientifiques ont alerté sur les conséquences pérennes de l’exploitation des abysses. Dans une étude publiée en 2019 dans Scientific Reports, une équipe de chercheurs avait notamment montré que l’écosystème d’un bassin sédimentaire situé au large du Pérou était encore en mauvaise santé vingt-six ans après qu’on y ait simulé, en 1989, les effets d’une opération minière.
La présence d’espèces « suspensivores » — c’est-à-dire qui se nourrissent d’organismes ou de particules flottant dans l’eau, comme les éponges ou les anémones — y a considérablement diminué, observaient-ils. La faune est également bien moins diversifiée qu’avant cette expérimentation. Les auteurs de cette étude en ont déduit que les fonctions de certains écosystèmes pourraient être détruites de manière « irréversible » par l’exploitation minière.
« Une catastrophe environnementale annoncée »
Selon François Chartier, chargé de campagne Océans au sein de Greenpeace France, les données récemment publiées dans Current Biology confirment la nécessité de mettre un coup d’arrêt au déploiement de cette activité industrielle en germe : « Lancer l’exploration minière des eaux profondes serait une catastrophe environnementale annoncée », affirme-t-il. Tout reste à découvrir sur ces écosystèmes : « À chaque fois qu’on y fait des prélèvements scientifiques, on trouve de nouvelles espèces. Mettre en péril cette diversité pourrait avoir des effets sur l’ensemble de l’écosystème marin et la chaîne alimentaire. »
Selon le spécialiste de l’océan, les arguments brandis par les industriels pour justifier cette activité — notamment la nécessité d’extraire ces minerais pour électrifier le parc automobile et réussir la transition écologique — ne tiennent pas la route. « Il ne faut pas partir de notre modèle actuel, mais penser une refonte de nos mobilités en profondeur, avec des véhicules plus petits, moins consommateurs d’énergie, dans le cadre d’une économie circulaire… Pas aller détruire une nouvelle frontière. » La lutte contre le changement climatique, rappelle-t-il, ne doit pas se faire au détriment du vivant : « On n’y arrivera que si l’on protège aussi la biodiversité. »
Les États membres de l’Autorité internationale des fonds marins réunis en Jamaïque l’entendront-ils ? François Chartier l’espère. Plus de vingt pays — dont la France — défendent actuellement un moratoire sur l’exploitation minière des abysses. « Il faut que d’autres affirment leur soutien à cette dynamique », dit le membre de Greenpeace France. L’idée : « Que l’on arrive à une décision au plus vite, avant que l’exploitation ne puisse démarrer. » Et transformer les recoins les plus mystérieux de l’océan en cimetières.