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ReportagePollutions

L’incompréhensible soutien de Hulot à la très polluante papeterie de Tarascon

L’usine de pâte à papier Fibre excellence à Tarascon (Bouches-du-Rhône) rejette en toute impunité ses polluants dans l’atmosphère et dans l’eau, au vu et au su des autorités. Pourtant, Nicolas Hulot a décidé de soutenir le projet de production d’électricité avec du bois-énergie de cette entreprise.

  • Tarascon (Bouches-du-Rhône), reportage

Au bout de deux heures passées à quelques centaines de mètres de l’usine Fibre excellence, qui fabrique de la pâte à papier à Tarascon (Bouches-du-Rhône), la gorge gratte, les yeux et la peau sont irrités. Arboriculture, maraîchage et viticulture font le paysage de cette berge du Rhône située entre Avignon et Arles, à quelques encablures des parcs régionaux de Camargue et des Alpilles. Depuis 1951 se sont multipliées les cheminées industrielles, qui recrachent leurs fumées nuit et jour.

Dans ce périmètre se trouvent l’école privée du Petit-Castelet et ses 200 élèves. Les trois enfants de Laurence Caillieret y sont scolarisés. « Mon grand, qui a sept ans, a souvent une forte toux. D’autres parents disent que leurs enfants souffrent d’asthme, de maux de tête », témoigne-t-elle. « Certains jours, on a des difficultés respiratoires. Il y a des odeurs très fortes de soufre ou de chlore et il m’arrive de retrouver des cendres dans ma piscine », expose Michel Dufy, qui habite dans un lotissement à 1,5 km de la papeterie. Xavier Body est directeur de la base nautique de Baucaire, située à moins de 3 km. « Par vent de sud, on se choppe toute leur merde. Je m’interroge sur l’effet sur la santé des pratiquants d’aviron et des 280 scolaires par semaine que je reçois », dit-il. La pollution n’est pas neuve. « Dans les années 1970, les poussières ont rendu les cultures impropres à la consommation. Moi, je n’ai plus d’amygdales, rongées par les rejets. C’est ce qu’ont constaté des médecins de l’hôpital, à Marseille », dit Daniel Gilles, un paysan septuagénaire qui a vu se construire l’usine. Pour Philippe Chansigaud, de l’Association pour la défense de l’environnement rural (Ader), « c’est la santé des 90.000 habitants de ce bassin de vie qui est menacée ».

Xavier Body, directeur de la base nautique de Baucaire, Daniel Gilles, agriculteur riverain, et Philippe Chansigaud, de l’Association pour la défense de l’environnement rural (Ader).

L’entreprise conteste systématiquement la redevance de l’Agence de l’eau pour « pollution non domestique »

Le site, classé Seveso 2, est propriété du géant indonésien Asia Pulp & Paper (APP). La firme a été pointée du doigt par l’émission de France 2, Cash Investigation, pour sa responsabilité dans les gigantesques feux de forêt et la déforestation en Indonésie. À Tarascon, elle transforme plus d’un million de tonnes de bois en 250.000 tonnes de pâte à papier par an. Une production à l’origine de pollutions extrêmement graves. Avant que les services de l’État ne l’attestent, il a fallu la mobilisation des riverains et d’associations environnementales, réunis au sein du collectif Halte à la pollution de Fibre excellence.

Le site de Fibre excellence en bord de Rhône. Au sud, les stockages de bois. À l’est, l’école du Petit-Castelet.

Le 2 août 2016, la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) est venue faire un contrôle inopiné. Parmi les résultats, le constat d’un niveau d’émission de poussières de la chaudière à écorce atteignant 2.700 mg/Nm3, quand les mesures faites par l’industriel annoncent 400 mg/Nm3. Soit un dépassement 27 fois supérieur à la norme (100 mg/Nm3) imposée en 2010 par arrêté préfectoral. « L’absence d’éléments de votre part sur l’origine de ce mauvais fonctionnement […] et l’absence de plans d’action pour y remédier est inquiétante », écrit le contrôleur de la Dreal. Les analyses montrent également des dépassements de seuil 14 fois supérieurs pour les poussières, 12 fois supérieurs pour le cadmium, 6 fois supérieurs pour les métaux lourds et 3 fois supérieurs pour les gaz NOx.

Conclusions de la visite de la Dreal en août 2016 à Fibre excellence.

Depuis le contrôle de la Dreal, Air Paca, l’organisme régional agréé de surveillance de la pollution atmosphérique, a installé des capteurs au voisinage de la papeterie. Celui installé à l’école du Petit-Castelet indique un taux de pollution aux particules de moins de 10 micromètres (PM10) équivalent en moyenne — régulièrement supérieur en pointe — aux grands centres-villes du département.

Moyennes journalières en PM10 analysées par Air Paca du 22 décembre 2017 au 5 février 2018.

Des polluants auxquels il faut ajouter les dioxines, furanes, PCB, HAP et autre benzène. L’eau — celle des nappes phréatiques et du Rhône — est également polluée. Depuis 2013, l’entreprise conteste systématiquement la redevance que lui demande l’Agence de l’eau pour « pollution non domestique ». Les sommes dues s’élèvent à 16 millions d’euros.

Lettre de renseignement de l’agence de l’eau à l’Ader concernant la redevance de pollution de Fibre excellence.

Dans une note transmise au préfet, le 8 juin 2017, l’Agence régionale de santé (ARS) écrit que « les rejets atmosphériques du site ne semblent pas maîtrisés ». Puis, elle recommande « de ne pas attendre la survenue d’effets sanitaires graves pour agir et d’abaisser les émissions de ce site aux valeurs réglementaires au plus vite ». Pour les nuisances olfactives, l’ARS rappelle que « 800 plaintes ont été enregistrées » entre 2010 et 2014. Elle informe également que « les mesures de bruit réalisées lors des dernières campagnes (2007 et 2010) mettent en évidence plusieurs dépassements des valeurs limites réglementaires. […] Au vu des plaintes des riverains, les mesures mises en place sur le site ne semblent pas suffisantes ».

Note du 8 juin 2017 de l’ARS au préfet sur les pollutions et nuisances de Fibre excellence.

De l’amiante dispersé lors d’un incendie

Le 4 novembre 2017, un incendie s’est déclaré dans le silo à bois de Fibre excellence. 1.000 tonnes de copeaux sont parties en fumée. 2009, 2012, 2016… ce genre d’incendies se produisent régulièrement, posant une question évidente de sécurité. Lors du feu de 2016, qui a ravagé 100.000 m3 de bois, « il a fallu une lutte acharnée pour éviter la propagation au sein de l’usine et notamment protéger les stockages de produits inflammables utilisés dans le processus industriel », signalait le Centre opérationnel départemental d’incendie et de secours des Bouches-du-Rhône (Codis 13). On trouve de l’amiante parmi les polluants dégagés par celui du 4 novembre 2017. La préfecture le note dans l’arrêté portant application de mesures d’urgence pris le 12 décembre à la suite de l’accident.

L’arrêté préfectoral à la suite à l’incendie du 4 novembre 2017 à Fibre excellence.

La préfecture y demande de « faire réaliser une campagne de mesure des retombées de particules et de concentrations de fibres d’amiante dans l’environnement proche de l’usine » dans un délai de 15 jours. « Nous n’avons pas eu accès aux résultats de ces mesures », déplore Philippe Chansigaud, de l’Ader.

Stockage de bois et installations de production de Fibre excellence, à Tarascon.

L’ensemble de la situation, reconnue par les services de l’État, reste impunie. Pourtant, les arrêtés préfectoraux de mise en conformité s’amoncellent depuis huit ans. L’Ader a déposé plainte au pénal en février 2017 pour « mise en danger de la vie d’autrui, pollution atmosphérique et pollution des eaux superficielles et souterraines ». Le dossier est toujours en attente d’instruction. Le collectif de lutte contre la pollution de Fibre Excellence Tarascon, dont l’Ader fait partie, alerte le ministère de la Transition écologique et solidaire par une pétition.

Des projets de production d’énergie renouvelable qui « seront soutenus par un complément de rémunération garanti pendant 20 ans » 

Rien de tout cela n’a retenu l’État de choisir ce site industriel, en février 2018, pour l’aider à développer la production d’électricité par la combustion de bois-énergie, au nom de la transition énergétique. Pollutions et non-conformité, les services de l’État savent tout. Pourquoi diable Nicolas Hulot soutient-il un tel projet au sein de cette usine ?

« Notre pays doit monter en puissance sur le développement des énergies renouvelables pour répondre aux objectifs fixés dans le Plan climat. Les projets annoncés aujourd’hui répondent à cette ambition de soutenir des filières créatrices d’emplois », dit le ministre de la Transition écologique et solidaire dans un communiqué daté du 28 février. Il adoube ainsi 11 projets de biomasse partout en France qui « seront soutenues par un complément de rémunération garanti pendant 20 ans ».

Avec sa turbine de 25 MW, le projet de Tarascon est de loin le plus important. Depuis décembre 2009, la papeterie brûle déjà ses déchets pour une puissance de 12 MW. Avec la nouvelle aide du ministère, l’entreprise a trois ans pour changer la turbine et améliorer le rendement énergétique, qui doit être supérieur à 82 %. Cette mutation entraînera-t-elle la mise aux normes ? Rien n’est moins sûr. « On garde le même outil de production, sans remplacement des chaudières défectueuses », précise Philippe Chansigaud, de l’Ader.

Un champ de blé mitoyen du site industriel de Fibre excellence.

En 2017, l’industriel dit avoir dépensé 13 millions d’euros pour réduire ses émissions de polluants. « En 2018, Fibre excellence investira 16 millions d’euros pour poursuivre la mise en conformité de l’usine avec les normes à venir », explique-t-il dans la presse locale. Des électrofiltres devraient être posés sur les cheminées d’ici juin. Ordonnées par la préfecture, des travaux de mise en conformité devraient avoir lieu sur la chaudière à liqueur noire (qui traite les produits chimiques) avant le 30 mars et sur les fours à chaux avant le 30 avril. Si les délais ne sont pas respectés, la préfecture prendra-t-elle ce coup-ci des sanctions ?

« Préoccupation majeure pour l’emploi »

Michel Chpilevsky, le sous-préfet d’Arles, a été désigné pour gérer le dossier. Auprès de France 3, il justifie son manque de coercition par l’argument de l’emploi : « Le taux de chômage sur ce bassin d’emploi est de 13 %. Vous avez sur Fibre excellence 250 emplois. Vous imaginez ce que signifierait une fermeture de l’entreprise. Pour autant, cette préoccupation majeure pour l’emploi n’est en rien prioritaire sur les conditions de santé des riverains et le respect des règles environnementales », qui ne sont toujours pas appliquées.

« On ne veut pas la fermeture de l’usine. On veut juste qu’elle travaille dans le respect de la santé et de l’environnement. Les ouvriers ont signé un contrat de travail avec pollution, on s’occupe aussi de leur santé », dit Philippe Chansigaud, de l’Ader. « On nous fait un chantage à l’emploi, mais à ce compte-là il faudrait intégrer le risque de perte d’emplois dans l’agriculture et le tourisme, qui sont touchés par les pollutions », considère de son côté Xavier Body, directeur de la base nautique.

À l’entrée de l’usine Fibre excellence de Tarascon.

À Tarascon comme à Fos-sur-Mer, le combat des associations et des citoyens sera encore long. Avantage des Tarasconnais par rapport aux Fosséens : les risques qui pèsent sur leur santé sont reconnus par la préfecture. Mais, dans les deux cas, celle-ci n’apporte pas de réponse adéquate aux dégâts sur l’environnement et à la sécurité sanitaire des populations. « J’avais confiance en l’État. Je pensais que pour lui la santé des populations était primordiale. En fait, avec Fibre excellence, il n’y a aucune maîtrise et aucun garde-fou », soupire Laurence Caillieret, la mère de famille.

  • Contactés, le maire de Tarascon, le directeur de Fibre excellence et le ministère de la Transition écologique et solidaire n’ont pas donné suite aux sollicitations de Reporterre. Le sous-préfet d’Arles a fait connaître son indisponibilité à répondre dans les temps impartis à la publication de cet article.

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