La Corse et les Outre-mer vont produire de l’électricité à partir de colza

Les agrocarburants sont issus d'huiles végétales alimentaires, comme de colza. - Publicdomainpictures/CC0/George Hodan
Les agrocarburants sont issus d'huiles végétales alimentaires, comme de colza. - Publicdomainpictures/CC0/George Hodan
Durée de lecture : 7 minutes
En Corse et dans les Outre-mer, EDF convertit ses centrales électriques aux agrocarburants. Un programme au bilan écologique controversé.
Au nom de la sortie des énergies fossiles, EDF a démarré une opération industrielle pilote dans les Outre-mer et en Corse. La préfiguration a été lancée à La Réunion où, depuis le mois de juin, la centrale du Port-Est produit de l’électricité en brûlant des agrocarburants, ces huiles végétales alimentaires. Dans les quatre années à venir, c’est l’ensemble des centrales au fioul d’EDF implantées ou en projet à La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe, en Corse et en Guyane qui seront converties au colza, au canola et, pourquoi pas, au tournesol.
Cette politique d’un genre nouveau en France soulève pourtant incertitudes et protestations. Premier élément fâcheux : les surcoûts. Rien que pour la centrale de La Réunion, qui couvre 40 % des besoins électriques de l’île, ils atteindront « 1 milliard d’euros » en dix ans, selon la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Élément important : ces surcoûts seront supportés par l’ensemble des contribuables français.
Les critiques portent aussi sur la question écologique, la quantité d’agrocarburants et donc de terres nécessaires pour les produire. Pour Guyane Nature Environnement, qui a ferraillé sur le terrain judiciaire, « les agrocarburants sont une ressource en tension au niveau mondial et qui coûte cher […], le consensus scientifique reconnaît qu’ils ont un impact négatif sur la biodiversité ».
De l’huile sur le feu
Selon nos estimations, basées sur des éléments fournis par EDF et les collectivités locales, pour maintenir la cadence de production du parc ultramarin et corse qui totalise 1 GW de puissance (autant qu’un réacteur de l’ancienne centrale nucléaire de Fessenheim), il faudra brûler chaque année l’équivalent de quatre à six fois la superficie de la Guadeloupe en champs cultivés de manière intensive, pour le moment en Europe, au Canada et en Australie...
« Ce type de centrales comme celle de La Réunion, à cette échelle de puissance, ça n’existe pas en Europe », observe Stéphane His, consultant climat et énergies renouvelables à Saint-Denis de La Réunion.

Mêmes reproches portés à Cayenne, où le projet électrique très controversé du Larivot en zone inondable et alimenté par un oléoduc, a redémarré au mois de juillet après deux années de procédures contentieuses. Les effets sur la biodiversité, le foncier et le coût ne passent pas non plus du côté des opposants.
« Je ne dis pas que c’est la panacée, mais on a exigé que l’approvisionnement n’entraîne pas de déforestation et que la consommation des terres agricoles se fasse de manière raisonnée », se défend Julien Paolini, conseiller exécutif (nationaliste) de la collectivité de Corse, laquelle a donné son feu vert le 30 mars dernier pour que d’ici 2027 la centrale de Bastia et celle en projet à Ajaccio brûlent les huiles végétales.
Le « bilan décevant » des agrocarburants
EDF, de son côté, « répond aux normes européennes les plus exigeantes », selon Antoine Jourdain, directeur de la branche Outre-mer, qui exclut le recours aux huiles de palme et de soja et met en avant le « colza » prétendument tricolore, car « élaboré en France ».
Selon les réponses apportées par EDF à Reporterre, le « colza » actuellement distribué à La Réunion n’est pas uniquement issu d’une filière française. Il est aussi acheté par la société agro-industrielle Saipol auprès d’intermédiaires installés au Canada et en Australie et est pour partie OGM. C’est le fameux « canola », une variété de colza brevetée et résistante aux herbicides qui intègre déjà pleinement les circuits de l’alimentation humaine et non humaine, des transports et qui fait aussi courir des risques de dispersion incontrôlée de pollen, comme l’a récemment rappelé l’actualité.
« Les biocarburants végétaux sont probablement la chose la plus stupide »
Chez EDF, dont le parc actuel au fioul est très polluant, on invoque les bénéfices climatiques. Antoine Jourdain, directeur de la branche Outre-mer, s’attache à mettre en avant la « réduction très significative de l’ordre de -65 % » des émissions de CO2 que permettrait d’atteindre le futur bouquet ultramarin. « Les biocarburants végétaux sont probablement la chose la plus stupide jamais promue au nom du climat », regrettait pour sa part en mars la Fédération européenne pour le transport et l’environnement. Même la Cour des comptes n’est pas convaincue par le modèle.
Elle signait en 2022 un rapport soulignant « le bilan décevant » des cultures destinées aux transports en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre (GES) notamment. C’est pour ces raisons que « l’Europe est en train de sortir les agrocarburants du marché de l’automobile, explique l’expert réunionnais Stéphane His. Je ne comprends pas comment d’un côté on peut dire que les agrocarburants dans les transports ça n’est pas bien et de l’autre, dire que c’est bien pour en faire de l’électricité. Ça n’a aucun sens ».
Vers une autre dépendance ?
Autre donnée qui fâche : l’impossibilité pour les îles et la Guyane d’atteindre rapidement l’autonomie énergétique comme le prévoit pourtant la loi. C’est ainsi qu’en Martinique, aussi en proie au développement des centrales à bois importé, le conseiller territorial d’opposition et député (Nupes) Marcellin Nadeau est très critique vis-à-vis de la programmation en cours validée par les autorités régionales.
Selon lui, elle suppose, dans chaque territoire, des approvisionnements réguliers de dizaines de milliers de tonnes d’huiles par cargos maritimes. « On est dans du bricolage, dans un modèle qui donne l’impression d’atteindre les objectifs en matière de transition énergétique, mais qui ne règle évidemment pas la dépendance aux énergies fossiles et aux importations. »
En mai dernier, Antoine Pellion, secrétaire d’État à la Planification écologique, avait affirmé lors d’une audition par des parlementaires qu’à Matignon « on ne souhaite pas remplacer une dépendance aux énergies fossiles que l’on importe par une autre dépendance, qui serait celle de la biomasse que l’on importe ». C’est raté.
Le géant Sofiprotéol-Avril se positionne sur le secteur de l’électricité
Grâce à la centrale EDF de La Réunion, Sofiprotéol-Avril, le géant des huiles et des protéines végétales, dirigé par Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, premier syndicat agricole français, a fait son entrée dans le secteur de l’électricité. Le groupe approvisionne, par le biais de sa filiale Saipol, la centrale du Port-Est en huiles issues « de graines françaises ou d’importation comme le canola canadien, voire australien », indique à Reporterre le porte-parole de la société, laquelle dispose de terminaux industriels sur la façade atlantique et méditerranéenne.
Pour la filiale de Sofiprotéol-Avril, le programme Outre-mer pourrait être une aubaine. « Saipol commercialise aujourd’hui du biodiesel, distribué dans les stations-services, qui est amené à se tarir à moyen terme avec le déploiement des véhicules électriques et l’arrêt des ventes de moteurs thermiques en 2035. Cette évolution du marché laisse des possibilités pour se développer pour de nouveaux secteurs. »
Pour l’heure, le groupe agro-industriel ne confirme pas son intérêt de répondre à l’ensemble des besoins du futur parc EDF. Cela étant, partant du principe qu’une graine fournit à parts égales du tourteau et de l’huile, EDF et Sofiprotéol-Avril font d’ores et déjà valoir que « le développement [de la culture d’oléoprotéagineux] permet[trait] de répondre à un objectif d’autonomie protéique tout en servant un besoin énergétique ».
Un argument qui fait évidemment écho au plan France relance, qui veut une plus grande « production française de protéines végétales » pour nourrir les humains et les élevages et y consacre une enveloppe de 100 millions d’euros.