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Climat

La crise de l’eau au cœur des élections en Espagne

Le parc national de Doñana en Andalousie. La gestion de l'eau est au coeur de la campagne espagnole pour les municipales et les régionales alors qu'une sécheresse terrible sévit.

Les élections municipales et régionales ont lieu ce dimanche 28 mai en Espagne. Alors que la sécheresse s’installe, les partis politiques balaient les mesures d’économies d’eau et tentent ainsi de plaire aux agriculteurs.

Séville, correspondance

L’Espagne va voter, ce dimanche, pour désigner ses dirigeants dans douze régions et dans l’ensemble des communes. Or ces dernières semaines ont été marquées par une sécheresse historique, à laquelle les pluies torrentielles n’ont rien changé, et par un conflit sur l’accès à l’or bleu. Selon les projections, peu étonnantes, la chaleur va augmenter et les ressources en eau diminuer à l’avenir. Les trois quarts du territoire risquent la désertification.

Mais jusque-là, aucun programme sérieux d’adaptation à cette nouvelle réalité n’a été lancé. Aucun politique n’ose réellement engager le débat sur la nécessaire transformation du système espagnol. Tous les grands partis parient sur les grandes infrastructures — barrages, retenues d’eau, usines de désalinisation de l’eau de mer... Sans jamais s’attaquer au problème majeur : la ressource s’amenuise, il faut donc utiliser moins d’eau.

Le barrage de La Baells (ici en 2009), qui approvisionne Barcelone et ses alentours, est à 27 % de ses capacités. Xaf / Flickr / CC BY-NC 2.0

« Les groupes politiques ont beaucoup parlé de l’impact ponctuel de cette sécheresse, mais très peu de l’impact du changement climatique. Ils ne parlent pas du fait qu’il faut adapter nos usages, car le système de gestion actuel ne fonctionnera plus quand il pleuvra moins et qu’il fera plus chaud », regrette Rafael Seiz, coordinateur des campagnes sur les politiques de l’eau à WWF Espagne.

Le gouvernement de gauche a bien adopté, le 11 mai, un plan de 2,19 milliards d’euros — près des deux tiers serviront à la construction de nouvelles infrastructures, pour augmenter la réutilisation des eaux usées ou pour désaliniser l’eau de mer. « Quand les politiques parlent d’adaptation, il s’agit généralement d’augmentation de la disponibilité de la ressource. Mais rien de tout cela ne peut compenser les pertes attendues », selon Julia Martínez et Rafael Seiz, directrice technique de la Fondation nouvelle culture de l’eau (FNCA).

Cet immobilisme a toujours été de mise, en dépit d’une conscience de plus en plus aiguë du problème. « Dans les plans hydrologiques [plans de gestion sur six ans], l’adaptation au changement climatique apparaît comme un sujet important. Des chiffres sont publiés sur la baisse attendue des ressources hydriques. Mais cela ne se traduit pas par une réduction de la demande à la mesure de ces baisses, » dit Julia Martínez.

L’agriculture boit 80 % de l’eau consommée en Espagne

Si les politiques sont frileux, c’est parce que le principal secteur concerné est l’agriculture, qui boit 80 % de l’eau consommée en Espagne. Cela remettrait en question le modèle espagnol, premier producteur et exportateur de fruits et légumes de l’Union européenne (UE), qui arrose des zones sèches mais très ensoleillées pour produire massivement et pas cher en toutes saisons.

Le Parti populaire (PP - droite classique) « brandit la bannière de défenseur du monde agricole, qui se confond souvent avec la défense du monde rural. Il est en concurrence avec Vox (extrême droite) qui fait des appels directs aux agriculteurs en niant le problème du changement climatique. Les partis de gauche, eux, sont plus proches des positions écologistes », dit à Reporterre Jaime Ferri-Durá, professeur de sciences politiques à l’université Complutense de Madrid. « Traditionnellement, le vote des agriculteurs est plus conservateur », rappelle-t-il. Or le système électoral espagnol fait qu’un vote dans une zone peu peuplée pèse plus lourd qu’un vote dans une ville.

« L’extrême droite nie le changement climatique »

« Les politiques ont peur d’être punis dans les urnes, confirme Rafael Seiz. En Espagne, on a longtemps défendu l’idée qu’il y avait assez d’eau pour tous les usages [grâce aux grandes infrastructures], que ce n’était pas un facteur limitant. Il y a une grande peur de lancer des politiques qui vont contre. »

Un parc naturel menacé par l’irrigation des cultures

Cette compétition électorale sur le sujet entraîne la démagogie, voire ce que certains qualifient de « populisme hydrique ». Le conflit autour du parc national de Doñana en Andalousie, dans le sud de l’Espagne, en est l’illustration. Cette zone humide classée au patrimoine mondial de l’Unesco a déjà perdu 59 % de ses lagunes à cause du changement climatique et de la surexploitation de la nappe phréatique qui l’alimente. Celle-ci est notamment pompée pour arroser les fraises sous serre, une culture extrêmement rentable mais gourmande en eau. Un projet de loi présenté en mars devant le Parlement régional par la majorité de droite, appuyée par l’extrême droite, prévoit d’élargir les surfaces arrosables dans les alentours du parc.

« Le PP andalou voulait gagner les mairies du secteur, pour renforcer son pouvoir et s’assurer la députation locale », décrypte Jaime Ferri-Durá. Mené par une coalition de gauche, sous la houlette du socialiste Pedro Sánchez, le gouvernement central s’est bruyamment opposé au projet. La gauche y a vu une occasion en or d’attaquer le PP et a fait de cette affaire le premier acte de la précampagne.

« Cette tendance renforce la polarisation et donne lieu à des messages politiques qui sortent complètement de la connaissance technique et des preuves scientifiques », s’agace le responsable de campagne de WWF. En Andalousie, le PP s’évertue à répéter que son texte ne présente aucun risque pour Doñana, contrairement à ce que disent les scientifiques qui travaillent sur la zone, aux avertissements que martèle la Commissaire européenne et à la préoccupation exprimée par l’Unesco.

Une employée marocaine ramasse des fraises en Andalousie. L’Espagne est considéré comme le potager de l’Europe. © Abdelhak Senna / AFP

Aux barons de la fraise, qui ont pour l’instant l’interdiction de pomper dans la nappe phréatique, la droite promet des solutions... qui n’aboutiront pas, à moins de détricoter la réglementation actuelle, nationale comme européenne.
« C’est souvent le cas avec les sujets relatifs à la transition écologique. Il y a un débat intellectuel et scientifique d’un côté, et de l’autre, un discours populiste qui s’adresse à ceux qui peuvent se sentir lésés par des politiques qui demandent des efforts », dénonce le député Juan Antonio Lopez de Uralde. Il est le coordinateur général d’Alliance verte, un des très rares partis écologistes du pays, fondu dans la formation de gauche radicale Unidas Podemos. Cette attitude rend très difficile la mise en place de programmes pertinents : « Doñana en est l’illustration parfaite. Nous expliquons qu’il faut fermer les puits et réduire les surfaces irriguées. La droite promet de les étendre. »

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